Mobile Suit Gundam : Author’s Cut (7)

Image tirée de l'artbook M.S. Era - Mobile Suit Gundam 0001-0080 - The Documentary Photographs Of the One-Year-WarSommaire :

1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace
6. La métaphore
7. Le newtype (le présent billet)
8. Conclusion et sources

Le newtype

Véritable colonne vertébrale de Mobile Suit Gundam, le concept newtype demeure à ce jour encore la marque de fabrique de Tomino qui, seul, l’a abordé dans ses scénarios, qu’ils soient écrits, fixes ou animés, en lui donnant une place véritablement centrale. Pour cette raison, il ne se trouve que dans les productions de la franchise réalisées par lui – à l’exception notable de Mobile Suit Gundam: The 08th MS Team (Takeyuki Kanda & Umanosuke Iida ; 1996) où, cependant, il joue un rôle somme toute assez mineur (1). Néanmoins, sa place et son rôle dans l’ensemble de la franchise font qu’il mérite qu’on s’y attarde.

Si ce concept resta longtemps assez obscur, la structure même du terme newtype – de « new » signifiant nouveau et « type » qu’on peut bien sûr traduire par type, mais dans le sens de genre ou encore de modèle, voire même d’espèce – permet d’affirmer qu’il suppose l’idée d’une descendance de la race humaine, d’une évolution d’Homo sapiens. Bref, de ce qu’on se trouve souvent tenté de qualifier du terme assez lourd de sens de « surhumain » même si, au fond, il ne s’agit que d’une étape suivante de l’adaptation du genre humain à son milieu.

Alors, pour commencer, qu’est-ce qu’un surhumain ?

Au-delà des différents gadgets qu’on lui attribue, qu’il s’agisse de capacités physiques supérieures ou de perceptions extrasensorielles, soient d’espèces de « super pouvoirs » en fin de compte assez superposables les uns aux autres dans le sens où ils se réclament plus ou moins tous du thème de l’invincibilité (2) en se cantonnant à un ascendant coercitif sur les humains moyens, c’est-à-dire qu’ils se bornent à illustrer le triomphe de la force brute sur la raison, « le surhomme est d’abord l’enfant de la défiance vis-à-vis de l’homme » (3). Du moins si on retient comme contexte celui de la période historique qui suivit immédiatement la Première Guerre mondiale et où la notion moderne de surhomme trouve ses origines : en effet, devant les capacités que venait de démontrer l’espèce humaine à s’autodétruire, il fallait bien théoriser quelque chose de mieux que l’humain, qui en quelque sorte lui survivrait pour mieux poursuivre sa mission (3). Or, dans Gundam, le surhomme newtype apparait justement au cours d’une autre guerre, celle d’Un An, où l’espèce humaine, encore une fois, transcenda les limites de l’horreur…

Bien sûr, il tombe sous le sens que des newtypes existaient déjà avant que Zeon déclare sa guerre d’indépendance à la Fédération. Ainsi en va-t-il de toutes les évolutions : elles n’apparaissent pas brusquement mais au contraire résultent d’un processus progressif – nous y reviendrons. Mais, comme la plupart des conflits militaires, la Guerre d’Un An joua le rôle d’accélérateur de l’histoire, au cours duquel certaines découvertes et leurs applications subséquentes trouvèrent une utilité qu’on ne soupçonnait pas auparavant. Nous avons déjà eu l’occasion de voir dans une partie précédente comment le mobile suit devint un élément prépondérant de la guerre spatiale dans l’avenir que présente Gundam ; le newtype, au fond, s’inscrit dans un mouvement comparable : toute la différence tient dans ce qu’il ne s’agit pas ici d’un élément artificiel et mécanique mais d’un élément naturel et vivant. Là aussi, nous y reviendrons plus loin ; pour l’heure, tâchons plutôt de cerner le concept newtype en termes aussi objectifs que possible, et en considérant bien sûr les connaissances scientifiques telles qu’elles sont présentées dans l’univers de Gundam.

Artwork du MS-06Z Psycommu System Zaku
MS-06Z Psycommu System Zaku : un prototype de mobile suit équipé du système psycommu qui permet à un pilote newtype de contrôler son appareil avec le plus haut degré de précision possible.

Selon le professeur Flanagan, de l’institut éponyme, l’établissement responsable des recherches les plus abouties sur le sujet à l’époque de la Guerre d’Un An, le newtype ne présente aucune des caractéristiques d’un génie, ni même d’un surdoué car son Q.I. et ses aptitudes intellectuelles, littéraires et artistiques en général restent dans la moyenne de la population. En fait, il s’agit avant tout de gens non seulement capables de se pencher sur plusieurs problèmes en même temps mais aussi de projeter leurs pensées vers d’autres newtypes ; ce dernier point est le plus important : il ne s’agit pas de personnes capables de lire les pensées des autres, c’est-à-dire d’entrer par effraction dans leur esprit, mais de rendre leurs pensées intelligibles à la perfection pour les gens comme eux. En d’autres termes, alors que la télépathie consiste dans la plupart des œuvres de science-fiction à lire les pensées d’autrui et appartient donc de la sorte au domaine de la perception (4), la projection de pensées du newtype, elle, appartient nettement au domaine de l’expression. Les newtypes s’avèrent donc bien mieux capables de se comprendre entre eux que n’importe quels êtres humains, y compris les plus intelligents et les plus érudits. Enfin, et peut-être plus anecdotique, du moins dans le sens où le récit de Gundam se borne pour l’essentiel à utiliser ce dernier ingrédient dans les scènes d’action, le newtype dispose d’un sens de l’intuition supérieur à tout ce qu’on a jamais pu observer – et pour autant que la science s’avère bel et bien capable de mesurer une qualité aussi ésotérique, faute d’un meilleur terme…

On le voit, ces données brutes se montrent en fin de compte assez peu satisfaisantes, incapables qu’elles sont de nous renseigner sur la portée humaine véritable du concept newtype – sur ce qu’il peut effectivement changer dans la civilisation humaine au lieu de ce qu’il se borne à être.

Sur ce point, l’avis de Zeon Zum Deikun nous intéresse davantage. Selon ce penseur et révolutionnaire, le newtype reste avant tout un homme normal mais disposant d’une intuition immensément développée et d’une humanité unique. Si le premier des deux concepts cités ici – l’intuition – reste aussi obscur que dans l’explication précédente, le second – l’humanité – se montre plus clair sur le plan scientifique, surtout à la lumière d’études récentes menées depuis le milieu des années 90 à peu près par des spécialistes des grands singes mais aussi des préhistoriens, et aussi paradoxal qu’il puisse paraître au premier abord de tenter de lier ces deux domaines – je parle bien à présent de recherches réelles menées par des scientifiques sérieux, non d’études fictives plus ou moins farfelues accomplies par des personnes imaginaires et destinées à rendre l’univers de Gundam plus crédible par ses créateurs. Encore que les chercheurs dans ces secteurs du comportementalisme animalier et de la paléontologie parlent plus volontiers d’empathie et de développement de structures sociales, respectivement. Il vaut d’ailleurs de mentionner que ces études amenèrent peu à peu la communauté scientifique à reconsidérer d’un œil neuf la théorie de l’évolution, ceci non dans le but de la contester mais bel et bien de la compléter avec des éléments moins concrets sur le plan matériel que des caractéristiques physiologiques ou génétiques héritées de comportements bien précis dans un milieu naturel – la compléter avec des éléments en quelque sorte civilisationnels, là encore faute d’un meilleur terme.

Artwork du MSN-01 High Mobility Psycommu System Zaku
MSN-01 High Mobility Psycommu System Zaku : une évolution majeure du MS-06Z où les jambes du mobile suit sont remplacées par des propulseurs verniers à très haut rendement de poussée qui améliorent considérablement la mobilité de l’appareil.

Pour faire bref, si l’empathie permet aux individus de mieux comprendre leurs besoins mutuels et réciproques afin de se soutenir les uns les autres au sein d’un groupe (5), les structures sociales, elles, permettent de développer des techniques d’entraide et de coopération dans le but d’accomplir des desseins plus vastes que ceux à la portée d’individus isolés. Inutile de préciser qu’empathie et structures sociales restent, au fond, les deux facettes d’une même pièce, que l’une et l’autre s’épaulent et se complètent.

Ainsi, de nombreux chercheurs pensent que si l’Homme de Néandertal disparut, alors que ses capacités physiques dépassaient celles d’Homo sapiens et que ses capacités intellectuelles étaient au moins égales, et alors même que nous avons toujours entretenu des relations cordiales avec notre cousin – des restes découverts démontrent même que nous avons partagé nos demeures avec lui –, c’est parce-que ses capacités d’empathie et ses structures sociales étaient moins élaborées que celles de nos ancêtres. Néandertal s’avérait donc moins capable de venir à l’aide de ses congénères que nos très lointains aïeuls (6). Or, à l’époque de grandes fluctuations climatiques où il disparut, ces qualités d’entraide et de coopération dans lesquelles excellaient déjà Homo sapiens s’affirmaient comme décisives dans la survie d’une espèce à un moment où les conditions de vie se montraient particulièrement rudes.

Dans un registre semblable, on peut bien sûr citer la transmission des techniques de chasse comme celles de taille des silex qui, transmises de générations en générations, permirent peu à peu aux hominidés de s’affirmer comme l’espèce la mieux adaptée de la planète alors qu’il s’agissait au départ d’une des plus faibles, qui fuyait se réfugier dans les arbres devant n’importe quel prédateur ; de même, l’agriculture qui, comme on l’a d’ailleurs déjà vu dans une partie précédente, permit de fonder la civilisation, ne put se développer que grâce aux efforts conjugués de plusieurs groupes d’humains qui, dans ce but, durent apprendre à s’organiser pour mener à bien les différents travaux de labourage comme ceux de détournements de cours d’eau pour irriguer les sols, parmi d’autres efforts. L’Histoire regorge d’exemples où ces capacités d’entraide et de coopération tout comme l’importance des structures sociales firent toute la différence et permirent ainsi à l’Homme d’en arriver au fil des millénaires au niveau de civilisation qu’il connaît aujourd’hui. Au contraire de ce qu’affirment beaucoup trop de gens, surtout dernièrement, l’homme n’est pas un loup pour l’homme, pas plus que le progrès s’est bâti sur la compétition perpétuelle – et il ne s’agit pas là d’interprétations philosophiques ou assimilées mais bel et bien des résultats de recherches scientifiques aussi rigoureuses que possible…

Entendons-nous bien cependant. Il n’est pas question ici d’affirmer avec une naïveté plus ou moins affligeante que le « bon sauvage » des temps jadis s’avérait bien plus humain que nous et que la préhistoire peut se comparer à une sorte de paradis perdu. Bien au contraire, il s’agit de souligner que si nos ancêtres parvinrent d’abord à survivre dans des conditions de vie aussi difficiles, puis à développer des techniques de survie à l’efficacité prouvée, et enfin à construire des sociétés qu’ils réussirent à garder isolées de la loi de la jungle pendant autant de millénaires, c’est bel et bien en se serrant les coudes contre l’adversité perpétuelle d’une nature ultra-violente qui ne pardonne aucune erreur. Notons au passage que le parallèle avec la situation économique et sociale actuelle se fait de lui-même, tout en gardant à l’esprit que notre présent reste bien sûr d’une immense clémence par rapport aux temps préhistoriques.

Image tirée de l'artbook M.S. Era - Mobile Suit Gundam 0001-0080 - The Documentary Photographs Of the One-Year-WarEt, pour en revenir à notre sujet initial, le parallèle s’établit aussi tout seul avec l’univers de Gundam où l’Homme se lance depuis peu à la conquête de l’espace, celui-là même qui reste le milieu le plus défavorable à la vie qu’on connaisse. En d’autres termes, le newtype s’affirme surtout comme l’adaptation de l’Homme à cette nouvelle forme de civilisation qu’induit la colonisation de l’espace et que nous avons déjà examinée en détails dans une autre partie précédente de ce dossier. Dans cet avenir où l’espèce humaine s’aventure en orbite proche, les conditions de vie présentent une rudesse alors jamais vue dans toute l’Histoire connue, qui demande donc une évolution majeure du genre humain. L’intuition et l’empathie que Deikun attribue au newtype servent par conséquent à ce dernier, dans un tel contexte, à mieux coopérer avec son prochain afin d’assurer sa survie et par extension celle de toute l’espèce ; quant à sa capacité à se pencher sur plusieurs problèmes en même temps que lui prête le docteur Flanagan, elle lui sert à mieux maîtriser cette technique dont il dépend entièrement dans ce milieu par définition impropre à la vie.

La boucle est donc bouclée maintenant que nous avons fini d’examiner le comment. Reste encore à nous pencher sur le pourquoi, au sens littéraire du terme, afin de tenter de saisir pour quelle raison Tomino inséra ce concept newtype dans son récit en lui donnant un rôle aussi central.

Car le newtype n’est pas un de ces mutants dotés de pouvoirs mentaux auxquels une certaine science-fiction souvent assez simple nous a habitués, et encore moins un super-héros de carnaval dont l’unique fonction consiste à ajouter des scènes d’action en fin de compte tout à fait gratuites dans des productions populaires destinées à un public peu exigeant ; il ne s’agit pas non plus d’un bête élément narratif dont l’unique fonction consiste à faire avancer l’intrigue en fournissant un moyen ponctuel à un ou plusieurs protagonistes du récit pour résoudre un problème lui aussi tout autant passager, et qui s’affirme donc de la sorte incapable d’illustrer quelque véritable problématique que ce soit ; enfin, il n’entre pas non plus dans le registre du courant New Age ou assimilé qui, pourtant, avait le vent en poupe à l’époque de la création de Gundam, même s’il entretient avec celle-ci des analogies qu’il semble toutefois plus pertinent de mettre sur le compte des origines asiatiques communes entre ce courant spirituel et le concept newtype – nous y reviendrons là aussi. Peut-être plus ésotérique encore, le newtype se présente en fait comme une sorte d’« homme nouveau » dans un monde tout aussi nouveau, un monde encore à venir à l’époque de la Guerre d’Un An, celui d’après la Fédération et du règne de la Terre sur les colonies spatiales, où la race humaine partira enfin accomplir son destin dans l’espace, au prix toutefois d’un ancien modèle de civilisation désormais obsolète.

Entre les théories du docteur Flanagan, qui annoncent une transformation à la portée de toute l’humanité, et les réflexions de Deikun, qui voit un être à l’empathie supérieure, le newtype se place surtout dans la continuité logique de l’antimilitarisme caractéristique de Gundam en s’affirmant comme la parfaite solution pour éviter les conflits en général et en particulier les guerres : à travers une meilleure compréhension de l’autre, de ses besoins et de ses désirs, un entendement ici permis par la capacité de projeter ses pensées le plus clairement possible vers l’interlocuteur et doublée d’une intuition sans égale, une civilisation de newtypes s’avérera tout à fait à même d’avancer de concert vers un futur meilleur. Notons au passage que le Gestalt décrit par Theodore Sturgeon (1918-1985) dans son roman Les Plus qu’humains (1953), un grand classique de la science-fiction et notamment du thème du surhomme dans le genre (7), n’est pas très loin, mais surtout qu’on retrouve assez nettement dans ce concept newtype une des multiples définitions de la science-fiction qui « est à l’origine un genre intellectuel issu de l’utopie et son objectif n’est pas de chanter la guerre, mais de la dénoncer comme un désordre et un scandale et de décrire les moyens propres à l’éviter » (8).

Line art du mobile armor MAN-03 Braw Bro
MAN-03 Braw Bro : ce mobile armor conçu pour un pilote newtype possède des canons à particules disposés sur des extensions mobiles contrôlées par câbles qui peuvent se séparer du corps principal de l’engin afin d’attaquer une cible de plusieurs directions à la fois, en tirs croisés.

Pourtant, et parce-qu’ils se situent dans la tradition darwinienne qui repose sur une évolution progressive des espèces, pouvant s’étendre sur des milliers ou des dizaines de milliers, voire même des centaines de milliers d’années au moins, les newtypes présentés dans le récit de Gundam restent avant tout des individus isolés et donc inaptes à changer quoi que ce soit par eux-mêmes : ainsi deviennent-ils les jouets des puissances étatiques en guerre qui ne voient en eux qu’un moyen de remporter des victoires militaires alors pourtant qu’ils représentent bel et bien « le descendant, l’étape provisoire d’un processus naturel, le rejeton fragile qu’il faut protéger et chérir » (9).

La faute en revient ici, explique le récit, pour la plus grande part aux Zabi qui, d’une part, plongèrent la sphère humaine dans le chaos de la Guerre d’Un An et, d’autre part, employèrent comme pilotes de mobile suits le potentiel des quelques newtypes sur lesquels ils parvinrent à mettre la main et qu’ils considéraient comme des monstres pour commencer – à l’instar, d’ailleurs, des pontes de la Fédération. Bref, c’est de leur raisonnement de « old types », c’est-à-dire qui s’appuie sur des réflexions à l’ancienne, en suivant donc des processus de pensée d’avant la colonisation de l’espace et par conséquent mal adaptés à cette nouvelle ère, que la compréhension mutuelle permise par le newtype s’effaça devant le conflit. Quant à ce qu’il adviendra de ces newtypes après la guerre, où ils ne servent au fond que d’outils de destruction à la solde des politiques, quel que soit leur bord, et si les premiers concernés se demandent bien sûr s’ils seront héros, bourreaux, victimes ou boucs émissaires selon dans quel sens soufflera le vent de l’opinion publique une fois la paix revenue, rien n’est moins sûr pour eux…

À vrai dire, pourtant, leur déploiement au combat et le nombre toujours croissant de leurs victoires, y compris sur des pilotes bien plus expérimentés, amènent ces surhumains eux-mêmes à redouter l’idée de devenir rien de moins que de pures machines à tuer une fois parvenus à un certain niveau de développement ; en témoigne le personnage d’Amuro qui en vient à souhaiter pouvoir se débarrasser du Gundam lui-même dont la mécanique pourtant optimale finit par s’avérer trop lente pour ses réflexes supérieurs et lui donne l’impression de l’handicaper : le pouvoir du newtype, ici, finit donc par corrompre le pilote en quelque sorte. On s’en étonne d’autant moins que, suivant la tradition du surhomme nietzschéen, qui transpire littéralement de Gundam (10), le newtype évolue entre autres en se mesurant sans cesse à un adversaire digne de lui (11) : si le premier livre du roman porte pour titre Awakening c’est parce-que c’est de son combat contre Lalah Sune que s’éveillent pleinement les capacités de newtype jusque-là latentes d’Amuro, et c’est dans le second volume, lors de son affrontement avec Kusko Al – qui s’affirme comme une adversaire bien plus redoutable que Lalah – que ces dons parviennent au niveau supérieur de puissance ; c’est donc bel et bien dans la guerre que se révèle une des dérives possibles de ce chaînon suivant de l’évolution prôné par Zeon Zum Deikun, dérive qui s’oppose donc radicalement aux idéaux contolistes de ce dernier. À vrai dire, ce surhumain s’avère en fin de compte bien humain, ce qui soit dit en passant ne surprend guère de la part de l’auteur du récit, et même si cette corruption dont le newtype devient victime reste avant tout une conséquence des pressions d’une époque où des tensions sociales très fortes et restées irrésolues pendant trop longtemps se cristallisèrent sous la forme de la Guerre d’Un An

Pour en finir avec ce chapitre, nous pouvons encore nous pencher sur au moins deux éléments qui persistent peut-être à échapper au lecteur. Le premier concerne le lien, dans Gundam et à travers le newtype, entre le concept de surhomme en général et le genre mecha en général, lien d’ailleurs déjà évoqué dans la seconde partie de la biographie de Tomino. Si nous avons vu que le domaine mecha entretient de fortes analogies avec celui des super-héros, en présentant des personnages a priori normaux acquérant des capacités surhumaines grâce au pilotage d’une machine, et si on admet que le super-héros n’est au fond qu’une extension du thème du surhomme, alors le genre mecha s’affirme par définition comme une autre extension du même thème : rien de surprenant ici puisque cette problématique se trouve évoquée dès les premières planches du manga Mazinger Z (1972) de Go Nagai, une autre œuvre fondatrice du domaine.

Line art du mobile armor MAN-08 Helmet
MAN-08 Helmet : ce mobile armor destiné aux newtypes d’élite est équipé de « bits » (ici représentés en bas à droite), des canons à faisceau mobiles et indépendants du corps principal, que le pilote manipule par la pensée pour attaquer à très hautes vitesses des cibles très éloignées.

Ce fait appelle cependant deux remarques. D’abord que cette extension du thème du surhomme dans le genre mecha se base sur la technique, un élément jamais innocent chez les japonais (12)(13), d’une part, et que ceci confère au domaine une certaine parenté avec la notion de transhumanisme, d’autre part, même si là non plus on ne trouve rien de bien nouveau : depuis les tripodes martiens de La Guerre des Mondes (H. G. Wells ; 1898) jusqu’aux armures de combat mécanisées de Starship Troopers (Robert A. Heinlein ; 1959) et après, les mechas ont toujours servi à augmenter les capacités naturelles de leur pilote, bien que dans l’écrasante majorité des cas seulement sur le plan physique, par exemple en décuplant sa force musculaire et sa résistance ainsi que ses perceptions.

Ensuite, ce focus de Gundam sur le thème du surhomme, et bien qu’il présente là un aspect alors jamais vu à ma connaissance dans le genre mecha, comme on vient de le voir, souligne bien que l’« école réaliste » du domaine, ou du moins ses bases fondatrices, ne parvient pas vraiment à se débarrasser des fondements du genre mecha tels qu’ils se virent posés par le Mazinger Z déjà cité, et ce en dépit des intentions affichées des inventeurs de Gundam ; bien au contraire, elle en fait son leitmotiv principal, sa raison d’être, son message : ceci, d’une part, souligne encore une fois l’état d’abâtardissement, faute d’un meilleur terme, qui caractérise Gundam depuis toujours et qui pour les éléments examinés jusqu’ici sur le plan de la facture, trouve ses racines dans les origines pour le moins troublées de cette production (14), alors que, d’autre part, il pousse ce thème du surhomme dans la même voie qu’il a poussé le concept mecha, comme on l’a vu dans une autre partie précédente, celle consacrée à l’innovation, soit la voie d’un certain réalisme techno-scientifique – la différence principale tenant dans le fait qu’il s’agit dans le cas du newtype d’une forme de darwinisme au lieu de contraintes de conception industrielles.

Le second élément qu’il reste à examiner avant de conclure concerne les origines possibles du concept newtype dans l’imaginaire de Tomino. Dans ce but, il vaut d’abord de préciser que Tomino ne connaît que très peu la science-fiction (15), même si, d’une façon assez paradoxale qui n’étonne plus vraiment de sa part, l’écrasante majorité de ses œuvres s’en réclame ; il semble donc assez peu pertinent de chercher dans cette culture une inspiration quelconque quant au sujet qui nous occupe. Ensuite, il faut bien sûr conserver à l’esprit que Tomino est non seulement japonais mais qu’il appartient de plus à cette génération qui vit de ses propres yeux l’effondrement du Japon traditionnel, impérialiste et monarchiste, ainsi que son remplacement progressif par un autre, bien plus moderne mais surtout pacifiste et démocratique ; même s’il était jeune à cette époque, il va de soi qu’il ressentit cette transition, par les témoignages de ses proches comme par son expérience personnelle lors de la reconstruction du pays qui s’étala jusqu’au milieu des années 50. Cet aspect nous intéresse davantage car en touchant de la sorte l’éducation même de Tomino, il s’affirme comme bien plus personnel.

En effet, la notion de communauté joue un rôle prépondérant dans la mentalité japonaise (16) : à l’instar de la plupart des civilisations asiatiques, la société nipponne met un très net accent sur la vie de groupe en général, et notamment sur l’importance de l’unité de ce groupe et l’attention que chacun porte à ses membres, en particulier à travers les impératifs du cérémonial et de l’étiquette ainsi que des apparences mais par-dessus tout par un esprit de coopération dont on trouve peu d’équivalents dans d’autres cultures – du moins pour celles qui bénéficient d’un haut niveau de technicité, c’est-à-dire de confort. Pour reprendre une idée déjà examinée dans cette partie, l’origine de cet esprit d’entraide permanente se trouve peut-être dans les conditions de vie assez difficiles que connurent les Japonais d’antan, ceux qui forgèrent la culture nipponne au fil des millénaires : car nul n’ignore combien l’archipel se trouve exposé aux cataclysmes naturels, qu’il s’agisse de tremblements de terre, de raz-de-marée, d’éruptions volcaniques ou de typhons qui rendent tous la vie particulièrement rude et que seule la modernité permit d’adoucir, mais depuis à peine un peu plus d’un demi-siècle ; on peut donc là aussi trouver un certain parallèle avec la vie des hommes préhistoriques décrite plus haut, et l’influence de celle-ci sur l’élaboration et l’évolution des structures sociales des premiers hommes : il ne semble pas incongru de voir dans cette précarité quotidienne et millénaire une des raisons du développement de cette notion de communauté qui importe tant au peuple japonais.

Image tirée de l'artbook M.S. Era - Mobile Suit Gundam 0001-0080 - The Documentary Photographs Of the One-Year-WarIl vaut aussi de rappeler que cet esprit de corps joua un rôle fondamental dans le Japon d’après-guerre, celui-là même qui vit Tomino sortir peu à peu de l’enfance pour entrer dans l’adolescence – soit une période fondamentale dans une vie pour développer sa personnalité. Car dans cette nation défaite où tous luttaient contre la famine au milieu des décombres tant moraux que physiques d’une grande puissance déchue (17), seules l’entraide et la coopération garantissaient la survie de la civilisation ou du moins d’un certain ordre social ; quant aux soldats américains, ils restaient des étrangers dont on ne tolérait la présence que par le privilège des vainqueurs : on sait en effet que les États-Unis gardèrent l’empereur Hirohito (1901-1989) sur le trône parce-que lui seul garantissait l’unité de l’archipel et permettait ainsi d’éviter l’insurrection contre l’occupant gaijinTomino eut donc l’occasion de mesurer très tôt l’efficacité d’une communauté solide, même si l’importance de cette notion mit probablement un certain temps à se frayer un chemin dans son esprit alors assez jeune, et il ne paraît pas impossible que cette expérience joua un rôle dans son élaboration du concept newtype. Pour terminer sur ce point, on peut aussi évoquer l’importance qu’accorde Tomino au travail de groupe dans l’exercice de son métier de créateur d’animations (18), car il s’agit bel et bien pour lui d’un travail collectif où chaque artiste impliqué coopère avec les autres en apportant sa pierre à un édifice dont la construction surpasse les qualités individuelles de chacun.

Nous pouvons donc voir clairement que si le concept newtype dépasse de loin les clichés les plus éculés ou du moins les plus simplistes des thèmes du mutant et du surhomme, il s’insère surtout dans une réflexion sur un avenir possible de la race humaine – celui décrit dans le chapitre sur la colonisation de l’espace – tout en reflétant l’expérience personnelle comme le mode de pensée de son auteur. Pour ces diverses raisons, le considérer comme un simple moyen narratif destiné à développer une intrigue ou bien une bête astuce pour pimenter des scènes d’action s’avérerait pour le moins réducteur…

Au lieu de ça, il convient peut-être de le voir comme une réflexion de fond sur ce besoin de lien humain qui nous fait tellement défaut dans un paysage social rendu délétère par de faux progrès, tant sur les plans techniques et écologiques que politiques et économiques, et dont les illusions de confort matériel nous ont fait perdre de vue ce qui constitue pourtant notre essence même d’animal civilisé.

Une réflexion, on en conviendra, très humaniste, car en dénonçant ainsi les dérives de notre présent, au moins indirectement, elle nous permet de tenter d’y remédier et s’affirme de la sorte comme porteuse d’espoir pour des lendemains plus beaux.

C’est bien là un optimisme typique de la science-fiction.

Suite et fin du dossier (Conclusion et sources)

Image tirée de l'artbook M.S. Era - Mobile Suit Gundam 0001-0080 - The Documentary Photographs Of the One-Year-War

(1) il vaut néanmoins de mentionner, dans ce cas précis, que la réalisation pour le moins chaotique de cette OVA dont le réalisateur original, Takeyuki Kanda, décéda brutalement avant de pouvoir conclure son ouvrage fut peut-être responsable, au moins en partie, de l’infléchissement de thème que présente le tout dernier épisode de cette courte série.

(2) Jacques Goimard, Du Surnaturel au supranormal, préface à Histoires de pouvoirs (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3770, 1975, ISBN : 2-253-00739-0).

(3) Gérard Klein, Surhommes et Mutants, préface à Histoires de mutants (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3766, 1974, ISBN : 2-253-00063-9) ; lire ce texte en ligne.

(4) Jacques Goimard, op. cité.

(5) Frans de WaalL’Âge de l’empathie (Les Liens qui libèrent, 2010, ISBN : 2-918-59707-4).

(6) j’ai trouvé cette donnée dans plusieurs documentaires distincts diffusés sur Arte mais dont les titres et les noms des réalisateurs persistent à m’échapper en dépit de toutes mes recherches ; je compte donc sur l’indulgence du lecteur…

(7) outre l’opus de Gérard Klein déjà évoqué ici, le lecteur pourra se pencher sur les divers Conseils de lecture et autres Bibliothèques idéales listés sur cette page, qui citent tous l’ouvrage de Sturgeon comme parmi les plus incontournables du genre.

(8) Jacques Goimard, Une Fantasy parfois heroic, préface à Histoires de guerres futures (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3819, 1985, ISBN : 2-253-03629-3).

(9) Gérard Klein, op. cité.

(10) Patrick Drazen, The Shock of the Newtype: The Mobile Suit Gundam Novels of Tomino Yoshiyuki, Mechademia vol.1 (2006), pp. 174-177.

(11) voir l’œuvre maîtresse de Friedrich Nietzsche sur le thème du surhumain, Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885) ; il vaut néanmoins de préciser que l’idée d’affrontement pour une évolution de l’individu que présente cet auteur évoque une lutte sur le plan intellectuel ou du moins spirituel et non sur le plan physique, à travers le corps-à-corps ou bien la guerre pure et simple, comme on le laisse penser bien trop souvent…

(12) Jacques Ellul, Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).

(13) Antonia Levi, Samurai from Outer Space: Understanding Japanese Animation (Open Court Publishing Company, 1996, ISBN : 978-0-8126-9332-4).

(14) je renvoies au besoin le lecteur à la seconde partie de la biographie de Tomino présentée dans ce dossier où j’exposais les raisons qui amenèrent les artistes de Sunrise à reconsidérer leur projet pour le faire correspondre aux exigences des sponsors.

(15) propos tenus lors d’une séance de questions/réponses avec le public après la conférence de Tomino du 7 juillet 2009 au Club des Correspondants étrangers du Japon : la retranscription (en) complète du 14 septembre 2009 chez Anime News Network – voir sa réponse à la toute dernière question en page 2.

(16) Tachyon, Underlying Themes in Classic Tomino Sci-Fi Anime (article paru le 25 septembre 2010 sur le blog du site GearsOnline.net).

(17) Jean-Marie Bouissou, Du Passé faisons table rase ? Akira ou la Révolution self-service (La Critique Internationale n°7, avril 2000).

(18) propos tenus lors d’une séance de questions/réponses avec le public après la conférence de Tomino du 7 juillet 2009 au Club des Correspondants étrangers du Japon : op.cité – voir sa réponse à la toute première question en page 2.

Sommaire :

1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace
6. La métaphore
7. Le newtype (le présent billet)
8. Conclusion et sources