1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace
6. La métaphore
7. Le newtype
8. Conclusion et sources (le présent billet)
Conclusion
« Espoir » : voilà, selon Tomino, le message de Mobile Suit Gundam (1).
Espoir, car en dépit des menaces qui pèsent sur nous, qu’il s’agisse de la raréfaction des ressources comme du dérèglement climatique, parmi bien d’autres exemples, et de l’incapacité des politiques comme du système économique à faire face à ces épreuves, entre autres barrières, un futur nous attend. Sous bien des aspects, à vrai dire, l’espoir reste peut-être notre meilleur moyen de triompher de ces calamités. Notons au passage qu’il s’agit là d’une autre caractéristique de la science-fiction, un genre optimiste par excellence puisque même lorsqu’il décrit un univers post-apocalyptique, synonyme de mort par définition (2), il nous en présente les survivants, c’est-à-dire la possibilité d’un futur meilleur…
En effet, en dépit de son portrait d’un avenir sombre, pour dire le moins, le récit de Gundam parvient malgré tout à proposer des solutions, certes qui peuvent paraître d’abord bancales ou du moins inappropriées, voire franchement dangereuses, mais qui peuvent aussi donner des résultats positifs sur ce long terme qui seul permet d’écrire l’Histoire, c’est-à-dire l’avenir.
Voilà pourquoi, en fin de compte, le propos de fond de Gundam reste plus que jamais d’actualité. D’une part parce-que la nécessité d’un nouveau paradigme social se fait toujours plus pressant, et qu’il se concrétise à travers la colonisation de l’espace proche ou bien par d’autres moyens restant encore à définir – comme une meilleure répartition des richesses ou une lutte plus efficace contre les paradis fiscaux, par exemple. D’autre part parce-que Gundam nous rappelle ce en quoi consiste notre plus grande force : cette capacité d’adaptation unique en son genre qui a transformé au fil du temps une troupe de minuscules primates arboricoles tout juste bons à fuir le danger en l’espèce la plus plus apte à plier l’environnement à ses besoins – et même si, justement, ce pouvoir-là a amené son cortège de problèmes, et parmi ceux-là certains déjà cités ici. Certains affirment que notre époque appelle davantage d’empathie envers notre prochain, que la solution se trouverait dans des espèces de simili-newtypes qui laisseraient mieux s’exprimer leur sensibilité en communiquant plus facilement avec leurs semblables, et ils ont peut-être raison.
Bien sûr, tout ceci paraît à première vue assez cryptique, voire peut-être même naïf sous certains aspects. Pourtant, ce serait oublier un peu vite que la pensée de Tomino s’exprime à travers un langage asiatique, c’est-à-dire à base d’idéogrammes, ou plus précisément de logogrammes, soient d’éléments visuels au lieu de lettres. Pour cette raison, parce-que dans de telles civilisations le mot est une image, ce type de langage facilite une expression souvent très imagée et donc souvent métaphorique, voire même allégorique parfois – faute de meilleurs termes. De plus, le métier de réalisateur de Tomino et sa carrière artistique en général le prédisposent bien sûr à exercer son intuition à défaut de sa pure réflexion à proprement parler ; en fait, tout porte à croire qu’il exprime ses idées d’abord et n’en cherche les significations qu’après coup – ce qui, à y regarder de près, reste le lot de l’écrasante majorité des créatifs et même de certains penseurs.
De sorte que nombre des thèmes jetés par Gundam peuvent sembler incomplets, inaboutis, fragmentaires,… Tomino lui-même affirme que son ouvrage demeure un travail en cours, non terminé, et qu’il en découvre encore des significations parfois, qu’il s’agit au final bien plus d’un concept que d’une œuvre au sens strict du terme (3) – et même si tous ceux qui ont un jour tenté de créer quelque chose savent bien qu’une création n’est jamais vraiment finie. Mais pour imparfait qu’il soit, Gundam n’en demeure pas moins loquace, et dans ce qui semble des ratiocinements épars chacun peut trouver une part de vérité…
Ainsi, nombre de ces idées firent au fil du temps irruption dans le monde réel ou bien semblent sur le point de le faire. Non parce-que Gundam les avait inventées mais parce-qu’il les avait popularisées. Ce genre de privilège échoit souvent aux œuvres de science-fiction : en s’immisçant dans l’inconscient collectif par l’intermédiaire d’un appétit pour l’imaginaire, le récit introduit aussi le rêve d’abord, puis le désir ensuite de nouveaux possibles qu’on juge meilleurs, à tort ou à raison, qu’une réalité qui laisse à désirer, pour une raison ou une autre. À travers les fictions du genre, les moyens de la science se fraient un chemin dans la culture populaire et aident ainsi à en relever le niveau intellectuel.
Certains diront que c’est bien là la marque des grandes œuvres du genre : participer à alimenter la réflexion personnelle de chacun sur des problématiques actuelles – ou bien, dans le cas présent, qui perdurent depuis trop longtemps – afin de concourir à les résoudre, ou plus simplement d’en prendre conscience pour mieux alimenter le débat.
Pour cette raison au moins, donc, Gundam mérite bien toute votre attention.
(1) propos tenus dans une conférence du 7 juillet 2009 au Club des Correspondants étrangers du Japon – la retranscription (en) du 14 septembre 2009 chez Anime News Network. ↩
(2) Jacques Goimard, Le Thème de la fin du monde, préface à Histoires de fins du monde (Le Livre de poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3767, 1974, ISBN : 2-253-00608-4). ↩
(3) conférence citée. ↩
Sources
– Abreviations used in “Gundam” (en), glossaire publié dans le premier numéro du magazine Mecha Press (Ianus / New Order Publications, janvier-février 1992).
– Andrew Tei, Anime Expo New York – Yoshiyuki Tomino Panel – the daddy of Gundam! (28 septembre 2004) (en), retranscription d’un échange entre Tomino et le public lors de l’Anime Expo 2002 à New York.
– Antonia Levi, Samurai from Outer Space: Understanding Japanese Animation (en) (Open Court Publishing Company, 1996, ISBN : 978-0-812-69332-4).
– Arte et ses différents documentaires…
– Asimov’s Three Kinds of Science Fiction (en), article paru sur TVtropes.org.
– Bandai’s Top Franchises: Gundam, Rangers, Dragon Ball (en), article paru sur ANN (18 février 2008).
– Bernadette Bensaude-Vincent, Se libérer de la matière ? Fantasmes autour des nouvelles technologies (INRA Éditions, 2004, ISBN : 2-7380-1185-3).
– Bounthavy Suvilay, Robot géant : de l’instrumentalisation à la fusion (Belphegor, Dalhousie University, vol. 3, no 2, Terreurs de la science-fiction et du fantastique, 2004).
– Christian Nutt, CEDEC 09: Keynote – Gundam Creator: ‘Video Games Are Evil’ (en) (2 septembre 2009).
– Dominique Durocher, Space Flight (en) (Mecha-Press n°1, Ianus / New Order Publications, janvier-février 1992, ISSN : 1183-5443).
– Dossier Gundam, Animeland n°8 (Animarte, décembre 1992/janvier 1993, ISSN : 1148-0807).
– Fiche sur la série TV Mobile Suit Gundam dans l’encyclopédie en ligne d’ANN.
– Fiche sur Y. Tomino dans l’encyclopédie en ligne d’ANN.
– Frans de Waal, L’Âge de l’empathie – Leçons de la nature pour une société solidaire (Les Liens qui libèrent, 2010, ISBN : 2-918-59707-4).
– Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885).
– Gerard K. O’Neill, The High Frontier: Human Colonies in Space (en) (Collector’s Guide Publishing, 2001, ISBN : 1-896-52267-X).
– Gérard Klein, Surhommes et Mutants, préface à Histoires de mutants (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3766, 1974, ISBN : 2-253-00063-9).
– Guilhem Bedos, Akira : 20 ans après, 2008.
– Guilhem Bedos, Le Bon, La Brute et le Truand (Sergio Leone ; 1966), 2010.
– Gundam Unofficial (en).
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– Isaac Asimov, Social Science Fiction (en) (Modern Science Fiction: Its Meaning and Its Future, Reginald Bretnor, New York: Coward-McCann, 1953).
– Jacques Ellul, Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).
– Jacques Goimard, Du Surnaturel au supranormal, préface à Histoires de pouvoirs (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3770, 1975, ISBN : 2-253-00739-0).
– Jacques Goimard, Le Thème de la fin du monde, préface à Histoires de fins du monde (Le Livre de poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3767, 1974, ISBN : 2-253-00608-4).
– Jacques Goimard, Une Fantasy parfois heroic, préface à Histoires de guerres futures (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3819, 1985, ISBN : 2-253-03629-3).
– Jean-Marie Bouissou, Du Passé faisons table rase ? Akira ou la Révolution self-service (La Critique Internationale n°7, avril 2000).
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– Shinbo, Tomino Want to Do New Madoka Magica, Ideon (en), article paru sur ANN (18 mars 2011).
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– Tomino in Chicago: Audio and Transcript (en), article paru sur ANN (23 octobre 2006).
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– Yoshiyuki Tomino, conférence du 7 juillet 2009 au Club des Correspondants étrangers du Japon – la retranscription (en) chez ANN (14 septembre 2009).
– Yoshiyuki Tomino, interview accordée à Egan Loo pour Anime News Network – la retranscription (en) sur le site d’ANN (19 juin 2009).
– Yoshiyuki Tomino, interview accordée à Mark Simmons pour Anime News Network – la retranscription (en) sur le site d’ANN (23 octobre 2009).
– Yoshiyuki Tomino, interview accordée à Chopsticks NY – Japanese Culture in New York pour la rubrique Celebrity Talk en page 2 de leur numéro de septembre 2009 (en).
Mobile Suit Gundam: Awakening, Escalation, Confrontation (Kidou Senshi Gundam)
Yoshiyuki Tomino, 1979-1981
Stone Bridge Press, 3 avril 2012
520 pages, env. 16 €, ISBN : 978-1-611-72005-1
Et bien !
Félicitations pour être venu à bout de ce dossier ! 🙂
Merci beaucoup !
Je te cache pas que j’en ai eu sérieusement marre sur la fin mais bon, je pense que ça valait le coup que je m’y colle quand même… ^^
Ah, et puis j’ai fais quelques modif’ et autres mises à jour de diverses parties de l’ensemble ces dernières semaines : les plus acharnés pourront donc s’amuser au fascinant jeu des différences. 😉
Chapeau bas, Guilhem. Oh que oui, ça valait le coup et la peine. Et, devant le résultat, je crois que tu le sais, même si on n’est jamais vraiment satisfait.
J’attendais cette conclusion depuis un certain temps pour pouvoir vraiment commencer à lire ce dossier. Résultat des courses, 5 heures de lecture, sans se presser ni s’appesantir, en revenant par moments sur quelques paragraphes. Mes yeux ne te remercient pas. 🙂
Reste plus qu’à se reposer pour digérer tout ça et y revenir plus tard.
Depuis combien de temps travailles-tu sur ce projet ? Je vois que la publication a pris du temps, mais quand l’idée t’est-elle venue ? Les phases de réflexions et de documentation doivent représenter pas mal d’années aussi — s’il est possible de quantifier.
À la lecture de ce dossier, on réalise aussi qu’il est la colonne vertébrale d’une grande partie du blog via les billets connexes, mais on cerne difficilement la place qu’occupe Gundam dans tes passions, bien qu’on mesure son importance. Qui es-tu en fait ? On apprend à te connaître davantage après la lecture d’une entreprise aussi titanesque, mais je me pose toujours cette question de la place de Gundam : une origine, un catalyseur ou un jalon dans un parcours de passionné ? Pardonne-moi toutes ces questions personnelles, mais, à chaud, elles priment sur toutes les autres.
Autre chose, je vais enfin pouvoir trouver le courage de le lire ce fichu livre. Il attend depuis des mois et lire en anglais sur une longue distance me faisait peur.
Bonne soirée.
Et bien si ça t’a décidé à lire ce bouquin, je pourrais dire que je n’aurais pas écris ce dossier pour rien. ^^
Pour répondre à ta question, et désolé si je ne le fais qu’assez tardivement mais j’ai été assez pris ces derniers temps, ce n’est pas tant que Gundam se trouve au centre de mes passions mais plutôt que mes passions englobent Gundam : j’aime la science-fiction, la vraie, pure et dure, qui respecte les aspects techno-scientifiques d’un récit et n’hésite pas à montrer leurs impacts sur un système social donné, et de ce point de vue là Gundam correspond tout à fait à ce que j’appelle de la SF – ça en est même un des meilleurs exemples dans l’animation japonaise en particulier et dans les productions audiovisuelles en général, quelle que soit leur provenance…
Quant à ta remarque de la place prépondérante de Gundam sur ce blog, disons que d’autres que moi parlent mieux de la SF littéraire ou cinématographique que ce que je le fais, ou plutôt qu’il y a déjà bien assez de gens qui le font pour que je n’emprunte pas la même voie en quelque sorte toute tracée ; me concentrer sur la SF japonaise dans les animes et les mangas me permet de faire un travail de fond qui me semble plus constructif, d’une part parce-que je parle de choses connues mais en adoptant un point de vue rarement exploité dans la blogosphère ou ailleurs, et d’autre part parce-que ça me permet de la sorte de sensibiliser un public un peu profane en matière de SF traditionnelle à ce genre qui rend possible un exercice de pensée dont notre monde a de plus en plus besoin et qui deviendra toujours plus prépondérant à l’avenir : c’est un peu ma manière de me livrer à un enseignement si tu veux, à la manière de l’école du gai savoir de Nietzsche.
Voili-voilou. Et un grand merci à toi pour ton retour : ce sont aussi ce genre de choses qui encouragent et aident à avancer. :]
Félicitations pour cette immense dossier. Je viens d’en faire un livre pdf et ça donne 150 pages de références ^^!
Tant que ça ? Et ben…
Merci pour l’info, et pour ton soutien aussi bien sûr :]
J’ai sacrifié ma soirée jeux vidéo pour lire ton dossier et franchement, étant un fan absolue de Gundam, je ne suis en aucun cas déçu! Merci beaucoup, c’était très intéressant ! 😀
Il n’y a vraiment pas de quoi, c’est un travail qui me tenait à cœur depuis longtemps et je suis très heureux de voir qu’il plaît à autant de gens.
Merci pour ton commentaire 🙂
Salut, est-ce que tu penses faire de ce dossier un bon gros pdf un jour ? J’adorerais le relire tranquillement pendant un déplacement !
Salut, non, je n’ai pas de projet concret de .pdf pour le moment mais ça pourrait éventuellement se faire un jour… En attendant, tu peux toujours enregistrer les pages correspondantes de mon blog pour les consulter hors connexion quand tu le souhaites. Merci de ton intérêt pour mon travail 🙂
Merci pour ce dossier vraiment extraordinaire. Je suis tombé dessus par harsard. Je ne pensais pas que l’on pouvait aller aussi loin dans les détails.
C’est extrêmement bien écrit, avec des sources citées à chaque fois… que dire ! Féliciation !
Je suis désolé mais j’ai copié les textes et me les suis imprimés (77 pages) pour pouvoir les lire tranquillement car je n’aime vraiment pas lire des articles tels que ceux-ci sur un écran.
Aucun problème : j’ai écris ce dossier pour qu’il soit lu, alors si tu préfères le lire sur papier, ça ne me gène pas du tout ; et puis tu n’es pas le premier à l’avoir imprimé, donc bon… 😉
Merci à toi pour ton commentaire : reviens quand tu veux 🙂