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Robot Ghosts and Wired Dreams

Couverture de l'essai Robot Ghosts and Wired Dreams

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale – et en particulier au cours de la dernière décennie – la science fiction japonaise a fortement influencé la culture populaire. Au contraire de la science fiction américaine et anglaise, ses exemples les plus populaires ont été visuels, depuis Gojira (Godzilla) et Astro Boy dans les années 1950 et 1960 aux chef-d’œuvres de l’animation Akira et Ghost in the Shell des années 1980 et 1990, alors que peu d’attention était portée à la science fiction en prose au Japon. Robot Ghosts and Wired Dreams remédie à cette négligence à travers une profonde exploration du genre qui connecte la science fiction littéraire à celle contemporaine en animation. Examinant un ensemble remarquable de textes – depuis le polar fantastique de Yumeno Kyusaku à la franchise interculturelle de films et de jeux vidéo Final Fantasy – cet ouvrage établit fermement la science fiction japonaise comme un genre aussi crucial que passionnant. (1)

Ce recueil d’articles d’universitaires américains et japonais, dont la plupart parurent dans l’éminent Science Fiction Studies et qui se voient ici repris sous la direction de Christopher Bolton, Istvan Csicsery-Ronay Jr. et Takayuki Tatsumi, explore les tout débuts de la science-fiction japonaise depuis les premiers exemples en prose des années 30 pour suivre son évolution jusqu’à nos jours en passant par ses mutations de l’après-guerre et des années 60 et 70. L’ouvrage fait en seconde partie les liens entre cette science-fiction littéraire et ses différentes incarnations audiovisuelles contemporaines en tâchant de montrer combien ce passage sur un média différent ne se fait pas forcément au prix de la qualité des idées. Tout au plus notera-t’on deux articles décevants ; le premier de Susan Napier dont l’examen d’Evangelion (Hideaki Anno, 1995) rappelle nombre des élucubrations de fanboys sur le sujet, bien qu’ici couvert par un dialecte intellectuel qui ne trompe pourtant personne, et le second de Livia Monnet dont le travail sur Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit (Hironobu Sakaguchi, 2001) reste au mieux obscur.

Nombre des thèses défendues ne manquent pas d’audace, en particulier celle que présente Sharalyn Orbaugh sur le Ghost in the Shell de Mamoru Oshii (1995) et qui parvient à sortir avec autant de brio que d’originalité des réflexions récurrentes et pour tout dire vite lassantes sur l’allégorie de la caverne ou assimilé qu’on prête le plus souvent à cette œuvre décidément bien diverse. En dépit de quelques approximations envers la science-fiction occidentale, voire de confusions et même de franches erreurs ici ou là, ce dont on s’étonne peu de la part d’universitaires puisque ces gens-là méconnaissent souvent le genre, on se voit néanmoins très agréablement surpris par leurs différentes interprétations de cette incarnation du domaine qui montre vite bien plus de subtilité qu’elle peut en avoir l’air depuis chez nous où on ne trouve que les œuvres les plus commerciales ou bien les plus en vue. De plus, et comme on peut s’y attendre, cette science-fiction japonaise reprend à sa manière bien à elle les différents thèmes et les mutations principales du genre, reflétant ainsi sa culture nipponne dans le sens le plus large du terme.

Si je craignais de voir les différents articles s’abîmer dans les travers habituels, assez métaphysiques et plutôt poussiéreux, des érudits tendance littéraire qui le plus souvent ne connaissent rien ou presque des techno-sciences, et c’est parfois le cas, l’ensemble se montre malgré tout d’une excellente tenue, tout à la fois éclairant et maintes fois surprenant à plus d’un titre.

Pour les otakus comme pour les érudits de la science-fiction, ou plus simplement pour les esprits curieux désireux de se pencher sur une facette encore bien méconnue du genre.

(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur.

Robot Ghosts and Wired Dreams: Japanese Science Fiction from Origins to Anime
University Of Minnesota Press, 15 novembre 2007
288 pages, env. 15 €, ISBN : 978-0-816-64974-7

Pourquoi les Japonais ont les yeux bridés

Couverture de l'édition française de l'essai Pourquoi les Japonais ont les yeux bridésLe Japon est un pays riche en contradictions. Jusqu’à aujourd’hui, il fallait, pour le connaître, en passer par les récits de voyages d’Occidentaux perplexes, ou par les traductions d’anciens et grandiloquents ouvrages nippons. Cela dit, ces deux accès à la culture coïncident tellement peu qu’on en vient à imaginer l’existence de deux pays totalement différents. Keiko Ichiguchi nous raconte ici les traditions japonaises les plus bizarres. Installée depuis une dizaine d’années en Italie, elle nous dévoile des curiosités, des légendes urbaines, des traditions, des activités de la vie quotidienne, des festivités, et bien plus encore. Tout cela à travers un journal autobiographique et le regard malicieux d’une vraie Japonaise, qui retourne régulièrement là-bas, mais qui sait aussi prendre le recul nécessaire. Un précieux vade-mecum pour ceux qui ne connaissent pas encore le Japon, pour ceux qui croient le connaître, et pour ceux qui y voient leur « terre promise ».

C’est à travers les 35 chapitres de ce court recueil de miscellanées que Keiko Ichiguchi esquisse un portrait du Japon pour le moins inattendu : tour à tour drôle, poétique et charmant, mais aussi austère, superstitieux et conservateur, l’archipel montre ici des facettes aussi diverses que contradictoires qui illustrent à merveille l’expression bien connue servant à décrire ce pays encore « entre tradition et modernité » – en fait, une terre de contrastes qui persiste à trouver des difficultés à s’inscrire dans l’esprit de ce modernisme imposé par l’occupant américain après la guerre du Pacifique. Chacun de ces très courts chapitres explore l’un des nombreux aspects de cette nation mais en faisant néanmoins un assez net focus sur l’industrie du manga et de l’animation, ce qui n’étonne pas compte tenu de la profession de l’auteur.

Ainsi y trouverez-vous l’occasion d’en apprendre quelques-unes sur la provenance réelle du terme « otaku » et sur la manière dont les japonais l’utilisent vraiment ; sur les foires aux mangas et la façon dont cette culture se vit pointée du doigt par les médias en raison de certains faits divers tragiques auxquels elle fut associée ; sur le marché des mangas amateur et leurs créateurs dont l’ego n’a souvent rien à envier à celui des auteurs professionnels ; sur la troupe de théâtre qu’est la Revue Takarazuka et sur l’effet qu’elle produit chez nombre de jeunes japonaises ; sur l’évolution de la censure au cinéma en raison des doléances d’auteurs étrangers qui refusaient de voir leur œuvre massacrée, ainsi que – surtout – pourquoi les japonais ont les yeux bridés… Et puis bien d’autres choses.

Keiko Ichiguchi fait ici preuve à la fois d’humour et de recul alors qu’elle nous présente son pays, certes merveilleux comme tous les autres mais dont les qualités se voient souvent enjolivées par de nombreux fans d’animes et de mangas parfois trop enthousiastes ou bien qui prennent trop au pied de la lettre certaines choses aperçues dans leurs œuvres favorites. Pourtant, il s’agit bien d’une invitation à la découverte que nous propose ici l’auteur, et non d’une quelconque remise à l’heure des pendules : Ichiguchi n’a pas quitté le Japon car elle ne l’aime pas mais bien parce qu’elle s’y sentait à l’étroit comme mangaka, de sorte que son affection pour son pays transpire à chaque phrase. Et comme elle a appris à raconter, de par sa profession même, on tombe très vite sous le charme…

Ouvrage aussi court que ce que les sujets qu’il aborde sont divers, Pourquoi les Japonais ont les yeux bridés s’est vite affirmé comme une référence dans la multitude de livres qui permettent de se faire une idée du Japon contemporain, mais sans la froideur intellectuelle qui caractérise souvent ce type de productions. À noter d’ailleurs que cette édition française est enrichie d’une dizaine de courtes bandes humoristiques en fin d’ouvrage, en plus de celles qui se trouvent entre plusieurs chapitres et qui contribuent beaucoup à rendre la lecture très agréable.

Pourquoi les Japonais ont les yeux bridés, Keiko Ichiguchi, 2005
Kana, collection Kiko, janvier 2007
173 pages, env. 8 €, ISBN : 978-2-505-00038-9

America

Couverture de l'édition française du manga AmericaOsaka, 1988, six jeunes gens presque sans aucun point commun fréquentent pourtant le même bar où ils parlent de ce rêve qu’ils veulent tous voir de leurs propres yeux : cette Amérique aux accents d’idéal pour une jeunesse qui se sent entravée par les traditions, cette Amérique aux reflets d’eldorado pour de grands enfants qui ne savent encore rien du monde. Mais ce rêve américain va vite s’étioler derrière des réalités bien plus amères que les leurs : celles de ces proches dont en fin de compte ils savent si peu…

America dresse les portraits de deux nations bien distinctes. La première est bien sûr cette Amérique qui tient lieu de sujet central au récit, au moins de manière sous-jacente. Encore qu’il s’agit de l’Amérique d’une certaine époque, celle de la fin des années 80, soit un temps où le bloc soviétique arborait encore une solidité et une force qui rendaient les États-Unis plus que circonspects – l’URSS ne devait rendre les armes qu’un an plus tard. En quelque sorte modérée par la puissance de son ennemi, donc, l’Amérique se montrait alors plus attrayante : le rêve américain ne se tachait pas encore des excès de l’ultra-libéralisme, ou du moins ceux-là restaient discrets, et il inspirait encore des jeunes gens.

La seconde de ces nations est bien évidemment le Japon. Keiko Ichiguchi nous présente ici une demi-douzaine de jeunes gens dont on sent assez bien qu’ils représentent ses amitiés d’alors. Parmi leurs divers traits de caractère, on constate très vite leur affection pour cette Amérique décrite ci-dessus, qu’ils enjolivent d’autant plus que leur vie dans l’archipel les insupporte, chacun pour ses propres raisons. En fait, ils rêvent d’une Amérique idéalisée par leur déception de leur propre pays, et en analysant cette déception, l’auteur nous décrit surtout une société japonaise beaucoup plus complexe qu’on veut bien le croire au premier abord – surtout quand on la découvre à travers une certaine culture populaire qui tend à d’assez nets enjolivements…

De sorte qu’America nous renvoie au final à nombre d’entre nous, ou du moins ceux-là qui idéalisent le Japon comme les personnages de ce récit embellissent cette Amérique qu’ils n’ont pourtant jamais vu. Mais America raconte aussi des tranches de vie où rêves et réalisme se télescopent parfois avec grand fracas, et il le raconte d’une voix aussi fine qu’élégante où ici et là perce un cri à la force rare.

Planche intérieure du manga America

America, Keiko Ichiguchi, 1997
Kana, collection Made In…, février 2007
204 pages, env. 12 €, ISBN : 978-2-505-00037-2

Un robot pour la formation des dentistes

Photmontage représentant une femme robotLa chaîne Youtube du site DigInfo TV a posté il y a peu une présentation du Showa Hanako 2, un robot conçu par l’université Showa de Tokyo pour aider les dentistes en formation. Cette machine possède une peau et une bouche en silicone, produites par Orient Industry, présentée dans la vidéo comme fabriquant des « love dolls » : le professeur Koutaro Maki, de l’université Showa, affirme que le robot doit paraître humain car l’attitude du chirurgien en présence du patient reste un facteur fondamental.

Showa Hanako 2, peut cligner et rouler des yeux mais aussi éternuer et secouer la tête ainsi que remuer la langue et tousser afin de simuler le réflexe pharyngé servant à expulser les corps indésirables du fond de la gorge. Mais le robot peut aussi parler et utiliser une technologie de reconnaissance du vocabulaire, de sorte qu’il s’avère tout à fait capable d’apprendre de nouveaux mots.

L’appareil sera vendu par Yoshida Dental Manufacturing Co. Ltd. mais aucune date de lancement du produit n’a été annoncée pour le moment…

Yokai Attack!

Couverture de l'édition américaine de l'essai Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival GuideComment échapper à un arbre à visage humain ?

Vous voulez garder votre maison à l’abri du Suceur de Tuyaux de Salles de Bain ?

Il vous faut aller à un rendez-vous avec une femme dont le cou ferait honte à un anaconda ?

Oubliez Godzilla. Oubliez les monstres géants réduits en charpie à coups de karaté par les incarnations en série d’Ultraman, de Kamen Rider et des Power Rangers. Oubliez les Pokémon. Oubliez Sadako dans The Ring et le gamin tout pâle fouteur de jeton dans The Grudge. Oubliez tout ce que vous savez sur les bestiaires fantastiques du Japon. Les yokai sont les plus effrayantes des créatures japonaises dont vous entendrez parler, et il est plus que temps qu’ils obtiennent la reconnaisse qu’ils méritent. (1)

Illustration intérieure du livre Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival GuideCe que l’on peut retenir des yôkai, ce sont leurs spécificités. À l’instar de la plupart des créatures légendaires et mythologiques issues de cultures non occidentales, ils ne ressemblent à rien de ce qu’on connaît ici ; au contraire des dieux et demi-dieux grecs ou latins, ou encore germaniques ou celtes, dont la proximité géographique et historique explique leur ressemblance, ou du moins leurs points communs, ces démons, fantômes, elfes ou gobelins – pour autant que ces tentatives de traduction présentent une réelle pertinence – du folklore japonais n’entretiennent aucun point commun, ou alors à peine, avec les créatures surnaturelles « classiques » – ou assimilé.

Illustration intérieure du livre Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival GuidePourtant, c’est oublier un peu vite que la soi-disant universalité de notre bestiaire surnaturel occidental tient uniquement dans cette colonisation imposée par l’Europe au reste du monde à partir de la fin du Moyen Âge : si l’Asie s’était livrée à une telle conquête culturelle et économique à notre place, c’est nous qui connaîtrions les yôkai comme le reste du monde connaît aujourd’hui les vampires et les loup-garous – sans oublier les autres… Encore que ces monstres venus d’Europe restent encore assez mal connus en Asie et conservent une bonne partie de cet exotisme, ou assimilé, que nous autres occidentaux pouvons attribuer à ces êtres surnaturels que sont les yôkai.

Illustration intérieure du livre Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival GuideMais à cet exotisme se combine un autre aspect moins souvent souligné par les commentateurs comme par les spécialistes historiens : celui que je qualifierais de psychologique, faute d’un meilleur terme, car cet angle d’étude peut se montrer assez révélateur sur l’esprit de la nation dont on examine les mythologies, sur sa mentalité, son mode de pensée, bref son identité profonde – mythes et légendes, en effet, s’avèrent souvent explicites sur certains rapports qu’entretient une civilisation avec le monde qui l’entoure : ainsi, ils permettent de se faire une représentation somme toute bien assez instructive de cette culture… Et les yôkai donnent une image bien précise du Japon.

Illustration intérieure du livre Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival GuideLes auteurs de cet ouvrage l’évoque dès la préface du livre d’ailleurs, et les connaisseurs de l’histoire de ce pays ne s’étonneront pas de la voir prendre l’allure de cet animisme qui sert de clé de voute à la religion emblématique du Japon : le shintoïsme. Les yôkai restent donc avant tout des manifestations des éléments de la nature, au sens le plus large du terme, mais aussi – ce qui est moins attendu – des créations de la main humaine assez anciennes pour avoir développé une vie propre, soit un aspect somme toute assez typique de cette civilisation qui reste encore très patriarcale – et dont nombre de yôkai, d’ailleurs, personnifient leur crainte des femmes. Entre autres.

Illustration intérieure du livre Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival GuideEn raison de ces racines animistes, cette mythologie japonaise comprend un nombre incalculable de créatures. De sorte que les auteurs de Yokai Attack! n’ont pu choisir l’exhaustivité ; au lieu de ça, ils ont préféré l’emblématique. Voilà pourquoi les spécialistes des productions japonaises, quel que soit leur média, y trouveront des figures familières, ou en tous cas assez voisines de celles qu’ils connaissent. Je vous en laisse la surprise. Les autres y trouveront la possibilité de s’initier à la culture traditionnelle de l’archipel à travers un de ses aspects les plus typiques – dans l’esprit comme dans l’apparence, qui d’ailleurs n’est pas sa composante la plus commune.

Le tout complété à merveille par les illustrations très explicites de Tatsuya Morino qui permettent de se faire une représentation tout à fait claire de créatures dont, pourtant, la nature surnaturelle les rend particulièrement difficiles à décrire en détail – ce qui fait une excellente raison supplémentaire de vous pencher sur cet ouvrage décidément très recommandable.

Illustration intérieure du livre Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival Guide

(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur.

Notes :

N’ayant pas pu trouver l’opportunité de l’indiquer dans le corps de cette chronique, je vous le précise ici : cet ouvrage n’est pour le moment disponible qu’en anglais et sans aucun prévision de publication en France, en tous cas à ma connaissance. Les lecteurs désireux de se pencher sur un livre similaire en français pourront s’intéresser à Yôkai : Dictionnaire des monstres japonais (Shigeru Mizuki ; 2008), disponible en deux volumes chez Pika Édition.

Yokai Attack!: The Japanese Monster Survival Guide, Hiroko Yoda & Matt Alt
Kodansha International Ltd, 2008
192 pages, env. 10 €, ISBN : 978-4-770-03070-2

Mémoires d’une geisha

Jaquette DVD du film Mémoires d'une geishaLe Japon des années 30. Alors que leur mère se meurt, Chiyo et sa sœur Satsu sont vendues à une maison de geishas. Vite séparée de son aînée, Chiyo endure toute la rudesse de l’apprentissage qui doit faire d’elle une maîtresse de cet art majeur du Japon féodal ; mais les brimades et les privations restent des épreuves bien moins pires que les jalousies et les rivalités qui agitent la maison. Alors que tous ses espoirs semblent envolés, Chiyo rencontre un homme qui lui donne la force d’aller jusqu’au bout de son apprentissage.

Et pourtant, l’amour reste la seule chose interdite aux geishas…

Mémoires d’une geisha présente les défauts de ses qualités. Si on ne peut considérer ce film comme un documentaire, puisque l’intention assez évidente de son réalisateur ne se trouve pas là, c’est néanmoins cet aspect de la production qui étonne le plus. Car la fable qui se dissimule sous ces paillettes reste hélas bien assez classique pour paraître plutôt convenue, voire même téléphonée. Certains, d’ailleurs, y virent une démarcation à peine enrobée sur le célèbre conte de Cendrillon et je ne leur donne pas tort – pas tout à fait en tous cas… Au reste, le récit ne commence à faiblir que dans son dernier tiers et il faudra encore attendre la toute fin pour le voir friser une certaine mièvrerie.

Mais s’en tenir là serait oublier un peu vite que le cinéma reste fait d’images et de sons avant tout, et que ceux-ci une fois juxtaposés de la meilleure manière produisent une magie à nulle autre pareille. Pour cette raison, Mémoires… se hisse au niveau des plus grands enchantements, et notamment grâce à un dosage tout à la fois subtil et adroit de finesse et de brutalité – ce qui, en plus de ne pas appartenir au registre du facile, et à y regarder d’assez près, correspond à une parfaite définition de ce Japon féodal où, justement, l’intrigue de ce récit se déroule.

Car en fin de compte, c’est bien dans cette dictature de l’apparence que prend racine le pouvoir des geishas, dans cette austérité zen que s’exprime une notion fondamentale de l’esthétique au sein de la culture japonaise traditionnelle. Si on sait depuis longtemps que la beauté s’obtient à travers souffrances et sacrifices, il ne faut pas non plus perdre de vue que beauté rime avec pouvoir : dès lors, la mentalité nipponne ne peut qu’élever cette beauté au rang d’art.

Et un art auquel on sacrifie toute sa vie, autrement c’est qu’on en n’est pas digne. En tous cas du point de vue de ce Japon féodal dont l’extrémisme échappe souvent aux occidentaux. En fait, Mémoires… exprime à merveille toute la dureté du Japon traditionnel sans présenter un seul samouraï et au lieu de ça se focalise sur l’élément inverse du guerrier pour finalement aboutir aux mêmes conclusions qu’un cinéma plus classique.

Au final, Mémoires… reste un film fascinant. Non pour son intrigue somme toute aussi simple que convenue, ni pour ses paillettes pourtant orchestrées de main de maître, mais bel et bien pour sa parfaite adéquation entre son fond et sa forme où les apparences reflètent – au lieu de les dissimuler – des passions à la violence rare.

Récompenses :

Oscars : Meilleure direction artistique, Meilleure photographie & Meilleure création de costumes.
British Academy of Film and Television Arts : Meilleure musique de film, Meilleure photographie & Meilleurs costumes.
Golden Globes : Meilleure bande originale de film.

Notes :

La présence au casting de comédiennes de nationalités chinoise et malaisienne pour interpréter les personnages principaux, pourtant japonais, déclencha une polémique en Asie : alors que des japonais s’estimèrent offensés de ne pas voir certaines de leurs compatriotes dans ces rôles-clés, des Chinois exprimèrent de vifs regrets de voir des comédiennes de premier plan dans l’industrie chinoise du cinéma tenir le rôle de personnages japonais.

Cette polémique se vit exacerbée par des interprétations du terme « geigi » au sens proche de « geisha » dans certaines régions du Japon mais qui peut se traduire par « prostituée » en chinois. De plus, l’époque du récit, au cours de la guerre du Pacifique, raviva les nationalismes locaux en raison des crimes de guerre du Japon. Au final, Mémoires d’une geisha se vit interdit en Chine.

Bien que décrivant une intrigue située au Japon, le tournage de ce film se déroula en fait dans divers lieux et studios des États-Unis, essentiellement en Californie, et à l’exception de certaines scènes qui furent réalisées à Kyoto en fin de production.

Ce film est une adaptation du roman américain Geisha (1997) d’Arthur Golden. L’ouvrage est disponible au Livre de Poche, collection Littérature & Documents, mai 2006, ISBN : 978-2-253-11795-7.

Mémoires d’une geisha (Memoirs of a Geisha), Rob Marshall, 2005
StudioCanal, 2006
145 minutes, env. 10 €

En attendant… (3)

Samurai from Outer Space

Couverture du livre Samurai from Outer SpacePourquoi les occidentaux de toutes générations sont à présent aussi attirés par les films d’animation japonais, des productions réalisées exclusivement par des animateurs japonais pour une audience japonaise ?

Leurs spectateurs américains comptent des millions de gens ignorant que ce qu’ils regardent est japonais, mais aussi le croissant « culte anime », avec des clubs de fans dans presque chaque lycée et campus ainsi que des magazines spécialisés et des sections dédiées dans les vidéo-clubs.

Dans Samurai from Outer Space, Antonia Levi révèle les significations cachées de l’animation japonaise : les symboles et les mythes tirés du shintoïsme, du bouddhisme et de l’art traditionnel japonais – autant de détails que des spectateurs occidentaux ne saisiront pas à moins de les leur préciser.

Avec 20 illustrations couleur, Samurai from Outer Space est à la fois une introduction pour les profanes et une mine d’informations pour les fans confirmés. (1)

Voilà un livre fascinant, car en dépit de son âge pour le moins avancé – surtout dans un domaine comme la culture manga où les choses évoluent assez vite – il parvient à conserver la plus grande partie de sa force. C’est le privilège de l’Histoire, qui propose des données le plus souvent inaltérables, à la différences des histoires, dont l’intérêt fluctue souvent sur des périodes de temps variables.

Car ici, l’accent est mis sur les données historiques propres à l’animation japonaise ; il ne s’agit pas pour autant d’un exposé chronologique de ce média asiatique bien particulier, mais bel et bien d’un examen détaillé des divers truismes narratifs et artistiques propres aux animes en regard de leurs racines historiques – c’est-à-dire culturelles. L’ouvrage est donc, du moins en quelque sorte, immortel (2).

La raison en est que son auteur, Antonia Levi, est historienne spécialisée dans l’Histoire du Japon – où elle a d’ailleurs vécu de très nombreuses années : pour dire comme elle connait doublement bien son affaire. Ainsi, et au contraire d’autres auteurs d’ouvrages sur l’animation japonaise, elle se trouve tout à fait à même de relier entre eux les éléments propres à la culture du Japon traditionnel et les productions modernes de ce pays.

Mais il ne s’agit pas juste de données purement historiques, car elle démontre aussi l’influence directe du théâtre Nô sur la mise en scène dans les animes ; ou bien le poids de l’art pictural traditionnel japonais de la gravure sur bois dans ces même productions ; ou encore l’adaptation des techniques de représentation minimaliste caractéristiques des compositions zen sur ces œuvres modernes. Je vous laisse découvrir le reste…

De plus, comme toutes les créations artistiques du monde, celles-ci reflètent toujours plus ou moins la société qui les a engendrées. Je dis bien « plus ou moins » car, on s’en doute un peu, il y a toujours des exagérations, ou plutôt des interprétations qui varient selon les individus et les idées qu’ils souhaitent transmettre dans leurs œuvres.  C’est l’avantage de la démocratie et de la « pensée libre » qui la caractérise.

Antonia Levi s’efforce néanmoins de généraliser le plus possible, ce qui est bienvenu car ceci lui évite de se perdre dans des exégèses risquant vite de devenir épineuses, mais aussi tout à fait admirable quand on voit le nombre de productions qu’elle évoque et dont elle parvient malgré tout à saisir les idées de fond communes – en dépit de différences notables qui constituent en fait de simples variations sur un thème.

Articulé autour de cinq thèmes principaux, allant des divinités aux femmes, en passant par la notion de héros, les nombreuses itérations des robots et diverses métaphysiques de l’existence telle que la mort, Samouraï fron Outer Space examine en détail de quelle manière le Japon contemporain s’exprime sur des sujets certes universels mais que cette civilisation interprète d’une manière fort différente de l’Occident.

Or, c’est bien de ces interprétations que découle une culture, celle-là même à partir de laquelle les conteurs et les artistes créent leurs œuvres. Voilà comment cet ouvrage s’affirme non comme une bible mais au moins comme un instrument de découverte, et peut-être même de référence, tout à fait indispensable pour qui veut mieux comprendre le Japon moderne – du moins à travers ses productions les plus populaires dans le reste du monde.

Toutefois, n’escomptez pas y trouver de quoi satisfaire votre soif de découverte de nouveaux titres – et surtout pas ceux de productions récentes, pour des raisons évidentes – car la plupart des œuvres citées sont bien connues, parfois même du grand public. Voyez plutôt ce livre comme une tentative pour éclairer ces œuvres sous un jour qui peut sembler nouveau à un occidental mais qui est en réalité ancestral.

Antonia Levi témoigne ici d’une érudition proprement étourdissante, non seulement sur l’Histoire du Japon et ses mythes et légendes traditionnels mais aussi sur la société japonaise actuelle dans tout ce qu’elle peut présenter de paradoxal – du moins à nos yeux d’occidentaux. Conformément aux racines de cette culture manga – et donc anime – qu’elle examine, son livre plonge dans le passé pour mieux expliquer le présent (3).

À mi-chemin entre l’Histoire et la sociologie, Samurai from Outer Space est un ouvrage-clé pour qui veut comprendre les tenants et les aboutissants de l’animation japonaise. En fait, son seul véritable défaut est qu’il n’est disponible qu’en anglais… ce qui en découragera hélas plus d’un.

(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur.

(2) il n’est pas exclu que la récente ouverture de la culture manga / anime au reste du monde ait un tant soit peu altéré les spécificités évoquées, mais les évolutions que doivent engendrer une telle exportation restent encore à déterminer avec précision et me semblent pouvoir être considérées comme négligeables pour le moment.

(3) ce qui est certes typique des historiens, mais que l’auteur ait ici choisi de se pencher sur un sujet aussi moderne – voire postmoderne – compte tenu de son cursus entièrement académique reste pour le moins inhabituel et tout à fait digne de louanges.

Samurai From Outer Space: Understanding Japanese Animation, Antonia Levi
Open Court Publishing Company, 1996
169 pages, pas d’édition française à ce jour

Le retour du Japanbar !

Logo du nouveau site JapanbarC’est après quelques mois d’interruption que le Japanbar rouvre enfin ses portes : des soucis d’ordre technique ayant perduré bien trop longtemps avaient en effet amené son équipe – dont je fais désormais partie d’ailleurs, au passage – à le retirer de la toile, au grand regret de ses nombreux habitués.

Cette période est maintenant révolue et le site se trouve à nouveau disponible, précisément depuis hier, avec un webdesign tout neuf. Vous y trouverez entre autres des infos sur l’actualité de la japanime, des chroniques et des articles sur des œuvres majeures (1), une liste de liens à ne pas manquer pour parfaire votre culture du domaine, un lexique des principaux termes utilisés dans les mangas et les animes, et puis – bien évidemment – un forum : j’espère d’ailleurs vous y retrouver bientôt…

Et même si vous connaissez mal la japanime – ce genre de chose arrive à beaucoup de gens – n’hésitez pas à venir y faire un tour quand même : ça peut être un excellent moyen de combler vos lacunes dans le domaine et, pourquoi pas, de vous découvrir une passion que vous n’auriez peut-être pas soupçonné – sans compter que cette communauté reste une des plus enthousiastes et des plus sympathiques que j’ai pu connaître (2).

D’ailleurs, ses chroniqueurs font tous preuve du plus grand sérieux dans la rédaction de leurs articles et critiques, et tous les écrits publiés sont systématiquement corrigés par l’ensemble de l’équipe pour en vérifier le bien-fondé et les qualités d’écriture avant publication (3) : simple question de respect du lecteur qui échappe à beaucoup…

Alors, si ça vous dit, et vous ne risquez bien entendu strictement rien à y jeter un simple coup d’œil, le site se trouve juste . Je vous y souhaite un très excellent séjour…

(1) rubriques encore assez peu fournies puisque la majorité des éléments écrits pour l’ancien Japanbar ont hélas été perdus, mais elles devraient s’étoffer dans les semaines qui viennent…

(2) non, je ne dis pas ça parce que je fais partie de son équipe : c’est ce que je pensais déjà avant de la rejoindre  ^^

(3) c’est entre autres à leurs efforts et leur dévouement que je dois une grande partie de la qualité de mon dossier sur Akira et de mes chroniques sur Mobile Suit Gundam: The Origin.


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