Depuis la fin de la seconde guerre mondiale – et en particulier au cours de la dernière décennie – la science fiction japonaise a fortement influencé la culture populaire. Au contraire de la science fiction américaine et anglaise, ses exemples les plus populaires ont été visuels, depuis Gojira (Godzilla) et Astro Boy dans les années 1950 et 1960 aux chef-d’œuvres de l’animation Akira et Ghost in the Shell des années 1980 et 1990, alors que peu d’attention était portée à la science fiction en prose au Japon. Robot Ghosts and Wired Dreams remédie à cette négligence à travers une profonde exploration du genre qui connecte la science fiction littéraire à celle contemporaine en animation. Examinant un ensemble remarquable de textes – depuis le polar fantastique de Yumeno Kyusaku à la franchise interculturelle de films et de jeux vidéo Final Fantasy – cet ouvrage établit fermement la science fiction japonaise comme un genre aussi crucial que passionnant.(1)
Ce recueil d’articles d’universitaires américains et japonais, dont la plupart parurent dans l’éminent Science Fiction Studies et qui se voient ici repris sous la direction de Christopher Bolton, Istvan Csicsery-Ronay Jr. et Takayuki Tatsumi, explore les tout débuts de la science-fiction japonaise depuis les premiers exemples en prose des années 30 pour suivre son évolution jusqu’à nos jours en passant par ses mutations de l’après-guerre et des années 60 et 70. L’ouvrage fait en seconde partie les liens entre cette science-fiction littéraire et ses différentes incarnations audiovisuelles contemporaines en tâchant de montrer combien ce passage sur un média différent ne se fait pas forcément au prix de la qualité des idées. Tout au plus notera-t’on deux articles décevants ; le premier de Susan Napier dont l’examen d’Evangelion (Hideaki Anno, 1995) rappelle nombre des élucubrations de fanboys sur le sujet, bien qu’ici couvert par un dialecte intellectuel qui ne trompe pourtant personne, et le second de Livia Monnet dont le travail sur Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit (Hironobu Sakaguchi, 2001) reste au mieux obscur.
Nombre des thèses défendues ne manquent pas d’audace, en particulier celle que présente Sharalyn Orbaugh sur le Ghost in the Shell de Mamoru Oshii (1995) et qui parvient à sortir avec autant de brio que d’originalité des réflexions récurrentes et pour tout dire vite lassantes sur l’allégorie de la caverne ou assimilé qu’on prête le plus souvent à cette œuvre décidément bien diverse. En dépit de quelques approximations envers la science-fiction occidentale, voire de confusions et même de franches erreurs ici ou là, ce dont on s’étonne peu de la part d’universitaires puisque ces gens-là méconnaissent souvent le genre, on se voit néanmoins très agréablement surpris par leurs différentes interprétations de cette incarnation du domaine qui montre vite bien plus de subtilité qu’elle peut en avoir l’air depuis chez nous où on ne trouve que les œuvres les plus commerciales ou bien les plus en vue. De plus, et comme on peut s’y attendre, cette science-fiction japonaise reprend à sa manière bien à elle les différents thèmes et les mutations principales du genre, reflétant ainsi sa culture nipponne dans le sens le plus large du terme.
Si je craignais de voir les différents articles s’abîmer dans les travers habituels, assez métaphysiques et plutôt poussiéreux, des érudits tendance littéraire qui le plus souvent ne connaissent rien ou presque des techno-sciences, et c’est parfois le cas, l’ensemble se montre malgré tout d’une excellente tenue, tout à la fois éclairant et maintes fois surprenant à plus d’un titre.
Pour les otakus comme pour les érudits de la science-fiction, ou plus simplement pour les esprits curieux désireux de se pencher sur une facette encore bien méconnue du genre.
(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur.↩
Robot Ghosts and Wired Dreams: Japanese Science Fiction from Origins to Anime University Of Minnesota Press, 15 novembre 2007 288 pages, env. 15 €, ISBN : 978-0-816-64974-7
AD 2027. Alors que la démission des états a laissé le champ libre aux multinationales, la biomécanique permet depuis peu d’augmenter les capacités de l’humain. Mais cette révolution en marche laisse bien des gens sur le bord de la route : entre les nantis, qui peuvent se payer le luxe de devenir plus qu’humains, et les exclus, qui voient leur situation se détériorer un peu plus à chaque jour, les tensions montent pendant que les premiers méprisent les seconds et que ces derniers voient les autres comme une menace.
Ancien policier, Adam Jensen travaille comme chef de la sécurité pour Sarif Industries, une multinationale leader sur ce marché des augmentations qu’il n’apprécie guère. Après une attaque des locaux de Sarif par une organisation terroriste inconnue durant laquelle son ex-fiancée trouve la mort et qui le laisse très diminué, Adam doit accepter de se faire augmenter pour pouvoir continuer à travailler. Sitôt de retour à son poste après des mois de rééducation, une nouvelle alerte le renvoie sur le terrain : une usine de Sarif est aux mains d’un groupe anti-augmentation qui menace de tout faire sauter en tuant le personnel, et très vite un lien bien net apparaît entre ceux-là et les mercenaires qui ont attaqué Sariff quelques temps plus tôt…
Vu comme la résurrection d’une franchise jugée morte et enterrée depuis le fiasco tant public que critique de Deus Ex: Invisible War (Ion Storm ; 2004) dont le principal défaut, à mon sens, est surtout qu’il s’agit de la suite d’un titre considéré comme un des plus révolutionnaires de l’industrie du jeu vidéo, Deus Ex: Human Revolution reste avant tout une excellente réalisation. D’abord pour ses mécaniques de jeu, toutes très actuelles, ensuite pour son univers, qui illustre avec brio les tendances d’aujourd’hui tout en les prolongeant à travers une sensibilité et une finesse d’esprit rarement égalées dans le domaine, et enfin pour la manière dont ces deux éléments se combinent afin d’illustrer certaines préoccupations de notre époque.
Pour cette raison, il ne paraît pas très utile de se pencher en détail sur le game design du titre qui, à y regarder de près, n’invente rien et au lieu de ça recycle tout ou presque, mais avec intelligence et une certaine subtilité malgré tout, notamment en sachant briser le mur séparant les genres – je pense bien sûr au passage à la troisième personne pour les séquences d’infiltration. De même, il y a peu d’intérêt à examiner les éléments cyberpunk de l’univers du jeu puisque, dans les grandes lignes, ils ne présentent rien de vraiment original, que ce soit pour les lecteurs de science-fiction ou pour les gamers dont les œuvres de prédilection s’inspirent souvent des récits du genre depuis près de 30 ans à l’époque de la sortie de Human Revolution.
Au lieu de ça, il semble plus juste de regarder en détail comment ce nouveau Deus Ex combine ses mécaniques de jeu à son univers pour offrir une réflexion de fond sur un des sujets les plus brulants de l’actualité de ces dernières années – comme le fit en son temps Bioshock (Irrational Games ; 2007) quoique sur un terrain intellectuel radicalement différent – : je veux parler de la vaste esbroufe de ce qu’on appelle le transhumanisme. Car même s’il s’agit là encore d’un thème déjà examiné depuis longtemps dans la fiction spéculative, il connaît depuis peu et en raison des grandes avancées récentes dans le domaine un regain d’intérêt inversement proportionnel à l’absence de réflexion qu’il devrait pourtant susciter.
Je rappelle à toute fin utile que le transhumanisme présente rien de moins comme but avoué d’améliorer l’homme à l’aide de toutes les avancées possibles de la science et de la technologie afin, selon les dires des plus exaltés dans le domaine, de donner à l’humanité les rênes de sa propre évolution. Bref, de jouer à Dieu, pour simplifier à l’extrême. Tout le problème étant, comme à chaque fois qu’on aborde un tel sujet, qu’on ignore encore tout ou presque du premier concerné. On a vu dans un passé pas si lointain comment l’eugénisme bascula sans crier gare dans des horreurs sans nom quand certains imposèrent leur point de vue à d’autres qui n’en demandaient pas tant, et pour ainsi dire rien du tout.
Si sur le plan biologique la définition de l’humain, et par conséquent du plus qu’humain, se fait toujours plus précise à chaque nouvelle avancée de la science, elle reste bien moins claire sur le plan intellectuel. La notion de l’intelligence même demeure sujette à caution, pour dire le moins, la preuve étant que les intelligences artificielles restent encore à venir, et peut-être même pas avant un futur bien lointain, au mieux (1). En fait, le transhumanisme prétend améliorer ce qu’il ne comprend pas. La question qui s’ensuit, et qu’on connaît bien depuis les abominations nazies au moins (2), est donc de savoir sur quels critères améliorer l’homme bien avant de savoir si on peut l’améliorer tout court – le modifier ne pose aucun problème.
Et sur ce sujet, Human Revolution se montre d’une clairvoyance rare, car si les modifications que subit Adam Jensen augmentent bel et bien ses capacités physiques, on ne peut en dire autant de ses capacités intellectuelles. La preuve en est que tout le long de l’aventure, le personnage se conduit comme il doit se conduire : il s’agit avant tout d’un bon chien de garde – l’expression vient du jeu lui-même – qui obéit scrupuleusement à ses maîtres car incapable de remettre leurs ordres en question ; et même quand il parvient à douter du bien-fondé de leurs motivations, il n’en continue pas moins sa mission comme si de rien n’était, bien qu’avec une réflexion différente moins liée à ses augmentations qu’à son expérience personnelle.
En fait, Human Revolution démontre surtout que la curiosité et le libre-arbitre, soient deux éléments que non seulement la technologie reste bien loin d’améliorer mais qui de plus constituent les principales qualités de l’humain depuis l’aube des temps (3), demeurent encore et toujours hors du propos du transhumanisme – et pour cause : à force de se focaliser sur les éléments purement mécaniques du corps humain, il ignore tout de leur fonctionnement. Comme le docteur Moreau sur son île, les transhumanistes planifient depuis leur tour d’ivoire de transformer des animaux en humains tout en oubliant que les premiers ne possèdent pas ce qui fait l’apanage des seconds. En d’autres termes, des béquilles ne guérissent pas un homme d’une jambe cassée, seule la nature le peut.
Sans conteste une des plus grandes réussites du jeu vidéo de ces 10 dernières années au moins, Human Revolution s’affirme donc aussi comme une œuvre au sens le plus abouti du terme et qui à force de poser les bonnes questions apporte ainsi les bonnes réponses. Pour sa description d’un futur bien près d’advenir où la lutte des classes aura atteint un niveau supérieur d’horreur dans ses mutations permanentes, comme pour sa dénonciation de l’absurdité d’une doctrine infondée de par son incapacité structurelle à répondre à notre seul véritable besoin, et que subliment des mécaniques de jeu tout à fait en phase avec un récit illustrant nombre des préoccupations d’aujourd’hui, ce titre mérite bien plus que de figurer dans votre ludothèque.
(2) on pourrait remonter presque un siècle plus tôt avec l’élaboration de la théorie de l’évolution de Charles Darwin (1809-1882) qui ouvrit bien malgré elle et son auteur la voie vers l’eugénisme.↩
Ce titre est une préquelle de Deus Ex (Ion Storm ; 2000) dont les événements se déroulent 25 ans avant le jeu original. De plus, Human Revolution propose plusieurs titres liés : Deus Ex: The Fall (Eidos Montréal ; 2013) se situe en 2027 et fait suite au roman Deus Ex: Icarus Effect (James Swallow ; 2011) qui sert de préquelle à Human Revolution ; quant à Deus Ex: Mankind Divided, toujours développé par Eidos Montréal, il s’agit de la véritable suite de Human Revolution dont les événements ont lieu en 2029 et qui doit sortir le 23 août.
En raison du nombre important de bugs de l’édition originale, ainsi que de restrictions dans les mécaniques de jeu, notamment lors des phases d’infiltration, le lecteur intéressé se verra bien inspiré de se pencher sur la version Director’s Cut à la place. Sortie en 2013, celle-ci contient le DLC The Missing Link et allonge la durée de vie d’environ une demi-douzaine d’heures.
Une adaptation du jeu en film est prévue par Eidos Montréal et CBS Link, qui doit être réalisée par Scott Derrickson. Aucune date de sortie n’a été annoncée pour le moment.
Deus Ex: Human Revolution Eidos Montréal, 2011 Windows, Playstation 3 & Xbox 360, environ 5€
Megatokyo, 2034 : neuf ans ont passé depuis le grand tremblement de terre qui a anéanti la capitale du Japon ; reconstruite grâce à la technologie de la toute puissante multinationale Genom, les boomers – des androïdes biomécaniques – en sont devenus partie intégrante et y exécutent toutes les basses œuvres, des plus honorables aux plus lubriques. Mais les machines peuvent devenir folles parfois, et c’est aux experts en démolition de l’AD Police qu’on laisse le soin de les maîtriser ; tant pis pour la casse aux alentours…
Depuis deux ans pourtant, un groupe de vigilants appelé Knight Sabers et doté d’une technologie supérieure à celle de l’AD Police comme de l’armée participe lui aussi à purger la cité du « boomer crime » : sans qu’on sache d’où ils viennent ni pour qui ils travaillent, ils combattent sans relâche les machines folles et sauvent d’innombrables personnes. Mais depuis plusieurs mois à présent, leurs apparitions se sont faites de plus en plus rares, jusqu’à cesser complétement, et alors même que de nouveaux événements secouent la mégalopole. Quel lien y a-t-il entre cette criminalité dotée d’armes lourdes et les Knight Sabers ? Celle-là aurait-elle eu raison des vigilants ? Ou bien la vérité est-elle plus sombre encore ?
Au contraire de ce qu’on croit parfois, le récit de Bubblegum Crash ne complète en rien celui de Bubblegum Crisis (K. Akiyama, H. Gohda & M. Obari ; 1987-1991) qui se vit tronqué en raison de disputes pour des raisons financières entre ses deux producteurs principaux, Artmic et Youmex. Au lieu de ça, Crash s’oriente dans une direction qu’on suppose très différente de ce qui devait constituer la dernière poignée d’épisodes de Crisis pour nous servir une histoire assez convenue sous bien des aspects et pour ainsi dire qui devient vite poussive à force de s’égarer dans des directions trop différentes…
À dire vrai, c’est bien le syndrome classique de la séquelle qui s’exprime ici, même si les suites de productions japonaises se montrent plus souvent que le contraire de qualité au moins égale que l’œuvre originale : Crash, en fait, se contente de suivre la recette classique qui consiste à reprendre les mêmes et à recommencer, et bien que les mêmes évoqués ici ne sont pas forcément ceux ou plutôt celles qu’on croit – impossible de me montrer plus précis sans vous gâcher le plaisir de la découverte…
Pour couronner le tout, on ne peut pas dire que cette OVA se démarque par ses qualités de réalisation, elles aussi assez nettement en dessous de la moyenne de ce type de production, même pour l’époque. Si les différents designs parviennent à tirer leur épingle du jeu, l’animation souffre hélas de lacunes assez visibles, y compris durant les scènes d’action, et l’ensemble donne ainsi une certaine impression d’inachevé…
Voilà pourquoi, au final, Crash ne conviendra bien qu’aux plus fans de la série originale : ceux-là y retrouveront avec plaisir leurs personnages de prédilection dans leur rôle habituel – ou presque – et cette ambiance propre à Crisis qui semble belle et bien l’unique véritable rescapée de ce changement de titre ; les autres, par contre…
Note :
La seiyū interprétant le rôle de Priss est ici la chanteuse pop Ryoko Tachikawa qui remplace la chanteuse de rock Kinuko Oomori.
Bubblegum Crash, Hiroyuki Fukushima & Hiroshi Ishiodori, 1991 Black Bones, 2008 Trois épisodes, env. 10 €
Megatokyo, 2032 : sept ans ont passé depuis le grand tremblement de terre qui a anéanti la capitale du Japon ; reconstruite grâce à la technologie de la toute puissante multinationale Genom, les boomers – des androïdes biomécaniques – en sont devenus partie intégrante et y exécutent toutes les basses œuvres, des plus honorables aux plus lubriques. Mais les machines peuvent devenir folles parfois, et c’est aux experts en démolition de l’AD Police qu’on laisse le soin de les maîtriser ; tant pis pour la casse aux alentours…
Cependant, depuis un an environ, un groupe de vigilants connu sous le nom de Knight Sabers fait lui aussi la chasse aux boomers fous. Équipés de scaphandres mécanisés à la technologie supérieure à celles de l’AD Police comme de l’armée, tout porte à croire qu’il s’agit de mercenaires. Mais pour quels commanditaires ? Et pourquoi leurs sorties croisent-elles toujours le chemin de Genom ? Leurs activités cacheraient-elles une réalité bien plus sombre ? Car, après tout, qui sont vraiment les Knight Sabers ?
Car au contraire de nombre de ces productions qui popularisèrent la culture manga en occident au début des années 90, à travers des titres comme Akira (Katsuhiro Otomo ; 1982-1990) ou Appleseed (Masamune Shirow ; 1985-1989), pour n’en nommer que deux, Bubblegum Crisis appartient véritablement à ce courant de la science-fiction. En témoignent les principaux éléments qui composent cet avenir somme toute assez proche : technologies de pointe, main basse des multinationales sur l’économie planétaire, démission des états, dissolution de l’individu dans la fourmilière du groupe, et toujours moins d’espoir de voir des lendemains plus beaux…
Sauf peut-être dans cette technologie qui, justement, permet de libérer l’homme, du moins quand elle échappe à l’emprise des transnationales pour revenir entre les mains de cette population qu’elle est bel et bien supposée servir, soit quand elle retrouve son usage premier pour faire court. Ici, en effet, si Genom s’affirme comme une des plus puissantes corporations du monde par son exclusivité dans la conception de boomers, une autre technologie – cousine de la précédente – permet de lutter contre les effets indésirables de cette invention. On apprend assez vite que cette technologie-là, celle des Knight Sabers, se vit développée par le même savant qui construisit les boomers pour Genom, et en même temps que cet homme se fit purement et simplement éliminer lorsqu’il manifesta son désaccord auprès de son employeur qui souhaitait décliner cette invention en modèles militaires… Mais comme ce chercheur avait pris ses précautions, les Knight Sabers finirent par pouvoir entrer en scène, en utilisant en quelque sorte une version améliorée des armes de Genom contre elle-même. Bubblegum Crisis décrit donc la technologie comme libératrice et s’inscrit ainsi dans la tradition classique du genre cyberpunk.
Bien sûr, le lecteur averti aura reconnu là différents éléments caractéristiques de ces productions populaires destinées à un public de préférence pas trop exigeant. Car ces Knight Sabers, à y regarder de près, ne sont jamais qu’un groupe de super-héros en scaphandres de combat mécanisés, des espèces d’Iron Man en quelque sorte – et le tout calqué sur la recette, gagnante par excellence, mélangeant action pure et jolies filles (1). Toute la différence tient d’abord dans ce que Bubblegum Crisis se situe dans un avenir possible, et par là même examine donc une possibilité d’évolution de la société à travers les progrès techno-scientifiques, ce qui constitue une définition satisfaisante de la science-fiction qui prétend à une certaine qualité (2) ; et ensuite dans ce que cette œuvre dénonce des travers de son temps en en proposant une vision fantasmée située dans un futur jugé à l’époque tout ce qu’il y a de plus probable – l’avenir, d’ailleurs, devait lui donner raison, au moins pour les aspects économiques et sociaux du cauchemar décrit : comme quoi, les cyberpunks ne se trompaient pas tant que ça en décrivant un futur modelé sur l’exemple du Japon des années 80.
Malgré tout, on peut reprocher à cette OVA de se montrer assez timide dans sa dénonciation et sa critique. Peut-être à force de se focaliser sur ses deux ingrédients principaux, action et demoiselles, au lieu de l’ambiance et de l’atmosphère, Bubblegum Crisis ne parvient hélas qu’à effleurer son sujet. Si l’ensemble parvient néanmoins à un résultat bien assez réussi pour être resté un classique de l’animation japonaise pendant 20 ans, en particulier à travers son focus sur des personnages principaux tout à fait charmants et des intrigues menées tambour battant en ne laissant ainsi au spectateur aucune occasion de s’ennuyer, il manque toute de même à cette courte série cette pointe de noirceur et de désespoir qu’on ne retrouvera que dans au moins une des productions ultérieures d’Artmic – je pense bien sûr à AD Police Files (T. Ikegami, A. Nishimori & H. Ueda ; 1990).
Mais que cette remarque ne vous alarme pas, car en dépit de ce défaut somme toute plutôt mineur Bubblegum Crisis appartient bel et bien à ce genre cyberpunk qui ne présente pas pour habitude de se montrer clément envers la nature humaine. Pour peu que vous ne vous laissiez pas berner par certaines apparences en fin de compte assez trompeuses et des intrigues qui concluent leurs climax à grand coup d’explosions et autres effets pyrotechniques, vous trouverez dans cette huitaine d’épisodes de quoi vous dire que l’époque que nous connaissons, au final, aurait pu être bien pire…
(1) Étienne Gagnon, « Women, Action and Video Tape » (Mecha Press n°4, Ianus Publications, août-septembre 1992, p.4).↩
(2) pour le rapport entre science et société dans la science-fiction, lire l’article « Social Science Fiction » d’Isaac Asimov au sommaire de « Modern Science Fiction: Its Meaning and Its Future » (New York: Coward-McCann, 1953) ; lire un exemple dans l’article « Asimov’s Three Kinds of Science Fiction » sur le site tvtropes.org (en). ↩
Adaptation :
En un jeu de rôle sur table, sous le même titre, créé en 1996 par R. Talsorian Games et basé sur leur système Fuzion. Ce titre comprend à ce jour trois volumes : Bubblegum Crisis (1996), le livre de règles de base, Bubblegum Crisis EX (1997), une extension, et Bubblegum Crisis Before & After (1998), un sourcebook.
Notes :
Le personnage de Priss est ainsi nommé en référence à l’androïde répliquant Nexus 6 de même nom dans le film Blade Runner (Ridley Scott ; 1982). Il en va de même pour son groupe, The Replicants.
Cette OVA devait compter au départ 13 épisodes mais se vit coupée à seulement huit quand les deux compagnies derrière sa production, Artmic et Youmex, se disputèrent pour des raisons financières en laissant la série inachevée et dans un enfer du copyright.
Au début du troisième épisode, les personnages de Quincy et Mason observent une carte de Mega Tokyo comportant plusieurs légendes dans lesquelles on peut voir des noms de personnages et d’acteurs du film Top Gun (Tony Scott ; 1986) tels que Val Kilmer, Meg Ryan ou Tom Cruise, parmi d’autres.
Bubblegum Crisis, K. Akiyama, H. Gohda & M. Obari, 1987-1991 Black Bones, 2007 8 épisodes, env. 18 € l’édition intégrale collector
Megatokyo, 2027 : deux ans ont passé depuis le grand tremblement de terre qui a anéanti la capitale du Japon ; reconstruite grâce à la technologie de la toute puissante multinationale Genom, les boomers – des androïdes biomécaniques – en sont devenus partie intégrante et y exécutent toutes les basses œuvres, des plus honorables aux plus lubriques. Mais les machines peuvent devenir folles parfois, et c’est aux experts en démolition de l’AD Police qu’on laisse le soin de les maîtriser ; tant pis pour la casse aux alentours…
Après des années comme simple policier, Leon McNicholl peut enfin intégrer l’AD Police. Mais les affaires auxquelles il se trouve confronté s’avèrent juste un peu plus sombres : lui et ses collègues, comme beaucoup trop de civils, portent tous une part de ténèbres cachée dans les replis d’un passé trouble qui finit toujours par ressurgir de cette flaque de sang que nul ne saurait éponger.
Vies violentes, morts violentes…
C’est toute la phobie du peuple japonais envers la technique (1)(2) que nous montre AD Police Files, et ceci à travers trois récits qui présentent autant de stades successifs du développement d’une technologie toujours plus sophistiquée : d’abord dans l’environnement immédiat, en se dissimulant sous des apparences aussi innocentes que trompeuses ; puis dans le corps, par le moyen d’une médecine devenue expéditive à force d’irresponsabilité ; et enfin dans le remplacement de cette enveloppe physique toute entière en anesthésiant d’autant plus l’humain enfermé sous la carapace. En raison de cette phobie de la technique que cette OVA illustre, on ne peut vraiment la ranger sous l’étiquette cyberpunk malgré les apparences (3).
Par contre, et comme il se doit dans une production se réclamant aussi ouvertement de la culture populaire de son époque, on ne s’étonne pas de voir ces trois courts récits illustrer ainsi des préoccupations aussi répandues dans la société japonaise de la toute fin des années 80. Car après s’être converti plus ou moins de force à l’industrialisation généralisée dans la décennie d’après-guerre (4), et après avoir consolidé cette puissance technique jusqu’à devenir une des forces économiques les plus conséquentes de la planète, l’archipel de l’époque commence à douter du bien-fondé de ce développement galopant et a priori sans limites des technologies, au moins sur le plan subconscient – faute d’un meilleur terme.
C’est en effet l’époque où cette modernisation commence à donner ses premiers fruits pourris. Dans l’ordre des épisodes de cette brève série, on peut citer l’exploitation éhontée d’une main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci, les working girls et leurs sacrifices consentis pour prouver qu’elles peuvent assumer les mêmes responsabilités que leurs collègues masculins, et enfin la déshumanisation progressive d’un système qui s’oriente toujours plus vers une rentabilité maximale où l’individu se perd dans le travail au prix de ce qui fait le sel de sa vie (5). Mérite de se voir rappeler que ces années 80 produisirent des questionnements semblables dans l’ensemble des cultures occidentales, c’est-à-dire industrialisées.
Bref, le monde entier revenait de cette hypertechnologisation croissante et les japonais, en raison de leur sensibilité particulière envers la technique, ressentaient ce malaise avec d’autant plus de force : la résistance instinctive à l’industrialisation forcée d’après-guerre, après une courte période d’exaltation somme toute assez attendue, laissait place à cette lucidité que seule permet l’expérience directe. Dès lors, on ne s’étonne pas de voir des réalisations aux accents finalement assez contestataires arriver dans la seconde moitié de cette décennie 80, et l’effondrement de la bulle spéculative nipponne en 1989 ne fit qu’accentuer la défiance envers cette modernité au bilan en fin de compte pour le moins contrasté.
Ainsi, en articulant les trois épisodes de cette courte OVA autour d’une unité de police certes spéciale mais malgré tout bien assez apte à examiner les facettes sombres d’une société, AD Police Files réalisait ce que sa grande sœur Bubblegum Crisis (K. Akiyama, H. Gohda & M. Obari ; 1987-1991) ne parvint qu’à effleurer : une vue en coupe d’un système en phase terminale. Pour cette raison, ici, les personnages et leurs déboires comptent en fait beaucoup moins que cette autopsie d’une société à bout de souffle : sans humour ni pathos, et encore moins de héros récurrent affrontant toujours la même némésis, le constat se veut strictement clinique et aussi froid que cette technologie dont il dénonce les excès.
Mais plus de 20 ans après, AD Police Files conserve encore toute sa force : à la lumière des événements de l’Histoire récente, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, d’une société de l’information bancale ou de l’échec des systèmes économiques, bref d’un modèle occidental arrivé au fond de l’impasse, cette OVA se veut toujours aussi juste dans sa contestation et dans sa dénonciation – comme d’ailleurs la plupart des œuvres se réclamant de près ou de loin du cyberpunk.
Pour cette raison, vous auriez tort de passer à côté : en plus d’être un classique incontesté, elle n’a pris presque aucune ride – une qualité bien trop rare.
(2) Jacques Ellul, Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).↩
(3) à la différences des punks, héritiers du mouvement beatnik sous bien des aspects, les cyberpunks ne considéraient pas les nouvelles technologies comme une source d’aliénation mais au contraire comme un espoir de libération.↩
(4) Jean-Marie Bouissou, Du Passé faisons table rase ? Akira ou la Révolution self-service (La Critique Internationale n°7, avril 2000). ↩
(5) et il n’aura échappé à personne que ces trois exemples n’ont absolument rien perdu de leur pertinence ni de leur actualité, bien au contraire…↩
Note :
L’édition française de cette OVA présentant non seulement un doublage ridicule mais aussi une traduction déplorable, je ne saurais trop conseiller au lecteur de se pencher plutôt sur l’édition américaine qui se montre bien plus fidèle à l’œuvre originale.
Bien que réalisée pendant les dernières années de production de Bubblegum Crisis, cette OVA se situe en fait chronologiquement avant les aventures des Knight Sabers.
AD Police Files, Takamasa Ikegami, Akira Nishimori & Hidehito Ueda, 1990 Pathé vidéo, 2003 Trois épisodes, environ 2 € (occasions seulement)
Venus d’on ne sait où, les nanites arrivèrent sur Terre dans une météorite et investirent le premier hôte qu’ils trouvèrent. Celui-ci, désormais nanti du pouvoir de manipuler la matière, se prit pour Dieu et changea le monde. Mais il en fit un enfer pour les humains, qui moururent par millions avant de pouvoir enfin se réfugier dans des abris souterrains. Coupés de la surface depuis des décennies, ils ignorent ce que le monde est devenu, et ceux qu’ils envoient tuer le faux dieu auront bien du mal à se frayer un chemin jusqu’à lui…
La science-fiction ne compte plus ses récits de fin du monde comme elle ne compte plus les moyens par lesquels elle met fin à ce monde : apocalypse nucléaire, épuisement du pétrole, guerre bactériologique ou chimique, détérioration définitive de l’écosystème,… Parmi ces moyens, on trouve aussi les nanomachines devenues folles et ce, depuis l’invention même du concept au milieu des années 80 : K. Eric Drexler lui-même, dans son livre Engins de Création (1986), la bible des nanotechnologies, décrivait déjà une fin du monde possible à travers l’hypothèse de la « gelée grise » – des nanomachines hors de contrôle dévastent tout l’environnement en s’en servant de matière première pour créer peu à peu une infinité d’autres nanomachines.
Le scénario que nous propose Ben Templesmith dans Singularity 7, sa toute première production en solo, s’écarte beaucoup de celui de Drexler. Sous bien des aspects, d’ailleurs, il emprunte davantage à celui, bien plus classique, de l’invasion extraterrestre – encore que « invasion » n’est pas forcément le terme qui convient : impossible de me montrer plus précis sans spolier (1)… Mais aussi, chose assez inhabituelle dans un récit post-apocalyptique, il se réclame d’une sorte de cyberpunk – encore qu’il semble plus juste de parler de transhumanisme : je pense à ces personnages rendus surhumains par leur symbiose avec des nanomachines. Dernière particularité, et pas des moindres, on y trouve beaucoup d’humour – bien noir de préférence évidemment.
Le tout servi par un trait qui témoigne d’une maîtrise tout à fait exceptionnelle des techniques artistiques tant traditionnelles qu’informatiques et qui reflète un sens de l’expression par la caricature que ne renierait pas Bill Sienkiewicz ; ou bien l’Olivier Ledroit d’une certaine époque pour la spontanéité du geste, voire peut-être même Simon Bisley ici et là. N’en jetons plus.
Reste les idées, ou plutôt leur absence : si Singularity 7 n’invente rien, il présente malgré tout un récit épique et à la conclusion pour le moins haute en couleurs. Bref, une lecture tout à fait recommandable.
Cette chronique concerne l’édition originale de Singularity 7 publiée en fascicules de juillet à octobre 2004. L’édition en album de cette mini-série est enrichie d’une introduction par le chanteur Burton C. Bell du groupe de rock américain Fear Factory.
Singularity 7, Ben Templesmith, 2004 IDW Publishing, septembre 2010 104 pages, pas d’édition française à ce jour
La Terre tourne en silence au-dessous. Une boule d’humanité bouillonnante, prise au piège dans un environnement toujours plus pollué. Et pendant ce temps, des aventuriers de la frontière combattent des corporates véreux pour ce qu’il reste de « bon » train de vie. Il ne reste plus qu’un endroit où aller pour le genre humain… en haut… et plus loin encore s’il le faut.
Vers un endroit de froid absolu et de parfaite clarté, où d’immenses mondes cylindriques tournent dans le ciel, des chasseurs deltas fins comme des aiguilles filent sur des trajectoires d’interception, et des véhicules orbitaux évoquant des araignées ceinturent les titanesques treillis blancs d’explorateurs de planètes éloignées.
L’humanité atteint… l’espace profond – Deep Space.(1)
Les productions qui se réclament du cyberpunk en exploitent peu cet aspect, et pourtant on le distinguait déjà très clairement dans Neuromancien (William Gibson ; 1984), roman fondateur du genre : comme dans la plupart des manifestations de la science-fiction, la colonisation de l’espace tient ici une place prépondérante. Au reste, et puisque le monde s’y trouve aussi à l’agonie, il paraît assez logique de se tourner vers la seule véritable issue qu’il reste ; dans ce sens, d’ailleurs, le cyberpunk se montre en fin de compte assez optimiste puisqu’en dépit de toute sa noirceur et sa violence il laisse malgré tout une voie de sortie – et même si le chemin vers celle-ci se fera dans la douleur et le sang…
Ou plus précisément dans la technique et la science, ce qui sous certains aspects revient au même. Voilà pourquoi cet ouvrage s’ouvre sur une présentation générale de l’environnement que décrit en détail cette extension de Cyberpunk 2020. Comme la plupart des suppléments de jeux de rôle sur table vous me direz, mais dans ce cas précis les données scientifiques et technologiques prennent une place inhabituellement prépondérante. Le thème veut ça, en fait : la conquête de l’espace, en effet, demeure encore un domaine à la complexité inouïe ; la liste de références utilisées par les auteurs, en fin de volume, reflète très bien ce simple fait, et nous assure d’ailleurs du sérieux avec lequel ce livre fut rédigé.
À vrai dire, Deep Space frise la vulgarisation scientifique par moments. Sa présentation des corps majeurs du système solaire assortie des divers tableaux comparatifs se montre exemplaire de sobriété et de précision à la fois, mais sans sacrifier la souplesse de jeu pour autant, ce qui n’étonne plus de la part de son éditeur. Pareillement, les descriptions des effets du milieu spatial sur les technologies en général et les cybernétiques en particulier en surprendront plus d’un parmi vous qui croient encore que « jeu » reste synonyme d’« approximatif » – beaucoup de créateurs de productions dites populaires pourraient d’ailleurs en prendre de la graine, quel que soit leur média d’expression.
La même rigueur transparaît aussi des divers véhicules, équipements, habitats, armes, etc que propose cette extension. Pour cette raison, et puisque le futur se veut ici crédible, les fans de Star Wars n’y trouveront pas leur compte. Avec son focus sur le réalisme, Deep Space décrit des moyens de transport lents qui exigent de longs et fastidieux calculs – pour les personnages bien sûr – afin de mener les équipages à bon port, et des modes de vie où la mort surgit en un instant par brusque dépressurisation ou bien au bout de longues années suite à l’exposition aux rayons cosmiques qui provoquent cancers, tumeurs et leucémies. L’espace, en réalité, n’est pas fait pour l’Homme…
Et pour ceux d’entre vous que ce portrait rebute tant il donne l’impression d’un ouvrage inutilement complexe, la courte campagne Red Conflict qui le parachève vous permettra de voir qu’il n’en est rien. En fait, cette aventure peut aussi être un moyen de rehausser une partie de Cyberpunk 2020 avec le piment d’une ambiance comparable à celle d’un film comme Outland (Peter Hyams ; 1981), voire même Alien : Le Huitième passager (Ridley Scott ; 1979), parmi d’autres exemples.
Et puis, qui sait ce que trouveront les expéditions lancées vers la ceinture d’astéroïdes et Jupiter ?
(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur.↩
Note :
Deep Space remplace complétement et met à jour Near Orbit, le supplément précédent pour Cyberpunk 2020 qui abordait le thème de la colonisation de l’espace.
Deep Space R. Talsorian Games Inc., 1993 120 pages, env. 30 € (import seulement)
Des hélicoptères qui chassent une moto à travers les rues tentaculaires d’une cité ; des combinaisons blindées de corporations en guerre dans une nation du Tiers-Monde ; des silhouettes métalliques anéantissent un conseil d’administration – c’est Maximum Metal en action !
Voilà le supplément sur les véhicules et les scaphandres mécanisés militaires qui « chapeaute » le système de règles de combat de Cyberpunk 2020. Tanks, artillerie, engins de support de troupes au sol, et même les Advanced Combat Personal Armor, tout pour la guerre dans le futur proche est là. Et le tout articulé autour de règles de conception et de combat qui vous permettront de lancer vos joueurs droit dans l’action la plus brûlante qu’ils aient jamais vu – avec le métal poussé au Max !(1)
Il ne semble plus nécessaire de démontrer l’affection des gens de R. Talsorian Games, Inc pour la culture manga en général et son excroissance que constitue le genre mecha en particulier. Leurs productions, en effet, parlent pour eux, et si l’ombre plane sur ce supplément d’œuvres de référence signées Masamune Shirow, telles qu’Appleseed (1985) et Ghost in the Shell (1989), le concept qui le sous-tend, de son côté, rappelle beaucoup l’extension RoadStriker II pour leur autre titre à succès, Mekton II (1987), sauf que Maximum Metal tend à établir un pont vers le précédent au lieu que ce soit celui-ci qui tente de faire le lien avec Cyberpunk 2020 (1988) – disons que les deux franchises se renvoient la balle, en quelque sorte…
En sont témoins les systèmes de construction pour les véhicules et les scaphandres mécanisés qui prennent ici d’assez nombreuses pages. S’ils se montrent plus synthétiques que celui de Mekton II, ils s’inscrivent néanmoins dans la tradition de Cyberpunk 2020 : à la fois rapides et justes. La prouesse est ici rendue possible par le simple fait que ce système de construction ne se veut pas universel mais cantonné à un futur proche. Ne le croyez pas limité pour autant car ses possibilités se montrent vite immenses. Et si vous ne vous sentez pas de construire les unités dont vos joueurs auront besoin, il y a bien sûr des pages et des pages de « catalogue » dans lesquelles vous pourrez choisir le type d’engin qu’il vous faut.
Des règles avancées de combat de véhicules parachèvent le tout, augmentées d’un chapitre entier consacré aux ACPA (pour Advanced Combat Personal Armor) qui, dans l’univers de Cyberpunk 2020 viennent à peine d’arriver sur les champs de bataille. Bref, tout ce qu’il vous faut – et même plus – pour mener vos guerres corporatistes et autres campagnes très musclées…
(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur.↩
Maximum Metal R. Talsorian Games Inc., 1993 104 pages, env. 30 € (import seulement)
Quand les sept pèlerins se posent à Hypérion, le port spatial offre un spectacle de fin du monde. Des millions de personnes s’entassent derrière les grilles : les habitants de la planète sont sûrs que le gritche va venir les prendre et ils veulent fuir. Mais l’Hégémonie ne veut rien savoir. Une guerre s’annonce et les routes du ciel doivent être dégagées. Et tout ce que le gouvernement a trouvé, c’est d’envoyer les sept pèlerins. La présidente le leur a dit d’emblée : « Il est essentiel que les secrets des Tombeaux du Temps soient percés. C’est notre dernière chance. » Mais les pèlerins n’y comprennent rien, et ne se connaissent même pas !
Heureusement, le voyage leur permettra de se rapprocher. Chacun raconte son histoire, et l’on s’aperçoit vite que nul n’a été pris au hasard. Celui qui a fait la sélection, au fil des confidences, parait avoir fait preuve d’une lucidité… diabolique. Et d’une cruauté… raffinée !
Rédiger la chronique d’un ouvrage de la trempe de Hypérion présente comme première difficulté de trouver par quoi commencer : les œuvres de ce calibre, en effet, se caractérisent entre autres par une densité tant narrative que thématique pour le moins hors norme. Sous bien des aspects, d’ailleurs, cette densité constitue souvent leur point fort, celui qui en fait des productions à part des autres, qui les fait compter parmi les plus brillantes et les plus époustouflantes – en un mot : les plus marquantes. Pour ce faire, elles prennent souvent un aspect d’anthologie, faute d’un meilleur terme, dans le sens où elles mêlent les genres et les thèmes les plus éculés non seulement sous un seul et même titre mais aussi d’une manière tout à fait novatrice ou bien, à défaut, personnelle – ce qui revient un peu au même.
Pour cette raison, on les qualifie souvent de chef-d’œuvre. Non au sens du terme désignant une production dont les qualités la rendent indescriptible, elle-même ou bien l’effet qu’elle produit sur son lecteur, puisque un tel jugement reste malgré tout très empirique, mais plutôt dans le sens donné à une œuvre qui représente un pinacle dans un secteur particulier. Ici, la science-fiction. Toute la question consiste donc à savoir de quelle science-fiction il s’agit, car ses sous-genres ne se comptent plus. Pêle-mêle, on pourra citer ici le space opera, le cyberpunk, le transhumanisme, l’intelligence artificielle, l’empire galactique, ou en tous cas la civilisation à l’échelle galactique, le cyberespace, la nanotechnologie, la dévastation de la Terre, le voyage dans le temps, au moins implicitement,… et la liste ne se veut en aucun cas exhaustive.
À vrai dire, Hypérion exploite à lui seul toutes les principales branches de la science-fiction, c’est-à-dire ses principaux classiques. Ainsi, le connaisseur y distinguera les influences de Fondation (Isaac Asimov ; 1951) comme de Dune (Frank Herbert ; 1965) ou de Neuromancien (William Gibson ; 1984), soient les indispensables de chacune des périodes clés du genre ; mais on y retrouve aussi, au moins de manière sous-jacente, la plupart des autres œuvres majeures qui tournent autour des trois citées ici, celles qui ont fait de la science-fiction ce qu’elle est à présent. Ou plutôt ce qu’elle était à la toute fin des années 80, époque où fut écrit Hypérion : la différence est de taille, car la science-fiction a poursuivi son évolution depuis comme le savent tous les spécialistes – c’est le propre de ce genre de changer d’aspect…
Mais c’est aussi une histoire profondément humaine, encore que je devrais plutôt dire six histoires et non une seule. Hypérion, en effet, s’articule également autour du thème des narrateurs multiples dont le récit de chacun constitue une pierre supplémentaire à un édifice dont le lecteur ne parviendra jamais à distinguer le sommet. Pas tout à fait, du moins : cette œuvre trouve d’ailleurs là une partie de sa force – celle bâtie sur l’imagination de son audience… À sa manière tout à fait unique, chacun de ces narrateurs saura se montrer singulièrement humain, c’est-à-dire aussi attachant que peut le devenir un personnage fictif. Car aucun de ces six pèlerins envoyés sur Hypérion n’y était déjà venu auparavant, et les traces qu’ils y avaient laissées réclament à présent leur tribut…
Un tribut dont le prix pour le moins élevé fait osciller chacun d’eux du statut de bourreau à celui de victime, mais aussi de héros à mécréant. En bref, le genre de récit où les guerriers se confondent aux poètes et les érudits aux rustauds, ou quelque chose comme ça. Dan Simmons, ici, se régale à brouiller les pistes pour nous servir au final ce qui reste encore à ce jour une des plus grandes œuvres de la science-fiction et même de la littérature tout court : en fait, le genre d’ouvrage à ne manquer sous aucun prétexte.
Séquelles :
Hypérion commence le cycle appelé Les Cantos d’Hypérion qui compte un total de quatre volumes dont chacun est divisé en deux pour son édition de poche. Après Hypérion on trouve La Chute d’Hypérion (1990), que suivent Endymion (1995) et enfin L’Éveil d’Endymion (1997). Comme souvent, hélas, la qualité de chacun de ces tomes supplémentaires va en baissant, jusqu’à atteindre des profondeurs que le lecteur se trouvera bien inspiré d’éviter…
Récompenses :
– Hugo, catégorie roman, 1990
– Locus, catégorie roman de Science-Fiction, 1990
– Cosmos 2000, [sans catégorie], 1992
– Seiun, catégorie Meilleur roman en langue étrangère, 1995
– Tähtivaeltaja, catégorie Meilleure traduction finnoise d’un roman, 1998
Hypérion, Dan Simmons, 1989
Pocket, collection Science-Fiction n° 5578, février 2007
288 pages, env. 6 €, ISBN : 978-2-266-17327-8
&
Pocket, collection Science-Fiction n° 5579, août 2007
295 pages, env. 6 €, ISBN : 978-2-266-17747-4
J’en connais qui se tuerait pour un peu d’or. Mais toi, t’en as rien à foutre.
Toi, ce que tu veux, c’est du chrome.
Chrome. Ça, c’est le style pour le style et rien d’autre, Si t’es un vrai cyberpunk, tu sais que ce qui compte ce n’est pas ce que tu fais mais comment tu le fais. Si t’es fringué et équipé avec classe, tu pourras t’assumer complétement. Tout ce qu’il te faut, c’est un guide cyber du savoir vivre. Ce bouquin branché, qu’on ne trouve que sur le marché noir, s’appelle un Chrome.
Un Chrome contient plus de 180 articles qui feront de toi un Cyberpunk vraiment dans le coup. Des armes, des armures, des véhicules, le style de vie, des puces, de l’équipement cyber et même des lieux où tu pourras vivre et t’éclater. Voilà un vrai guide complet qui te transformera de branleur en Cybernaute. Voilà le guide qui t’amènera à la vraie limite et fera de toi autre chose qu’un homme de métal supplémentaire.
C’est aussi le moyen de dépenser sans compter tes eurobiftons gagnés à la sueur de ton front au cours de ces longues nuits passées dans les rues.
Chrome : l’essence du Cyberpunk.
Voilà l’extension incontournable par excellence. Comme la plupart des jeux de rôle, Cyberpunk 2020 propose un éventail de suppléments dont la plupart restent assez dispensables, du moins pour les Meneurs de Jeu qui ne pèchent pas par leur manque d’imagination, ou bien ceux qui disposent d’une bonne culture du genre cyberpunk dans sa forme littéraire ; la série des Chrome se place néanmoins à part dans cette liste, car dans n’importe lequel de ces ouvrages vous trouverez toujours un truc intéressant pour mettre encore plus de cyber dans votre punk. Toujours. La plupart du temps, d’ailleurs, vous n’aurez que l’embarras du choix et celui-ci sera dicté par vos fonds ou bien votre réserve de points d’Humanité – voire les deux à la fois : ces livres sont addictifs à ce point-là.
Depuis les divers accessoires, plus ou moins utiles selon les situations, jusqu’à l’indispensable matos à viander, à longue portée comme au contact, en passant par les (très) nombreuses prothèses et autres augmentations corporelles, des plus esthétiques aux plus fonctionnelles, mais aussi par les véhicules de tous gabarits, civils ou militaires, pour la frime ou bien utilitaires, et des tonnes de services, dont les plus inattendus, comme ceux vous proposant de faire vos courses ou de garder vos animaux domestiques, un Chrome reste le premier compagnon du Cyberpunk. D’ailleurs, il n’y a nul besoin d’y regarder de bien près pour voir dans cette série de catalogues la parfaite incarnation de cette société d’hyperconsommation du futur qui ressemble tant à la nôtre. Comme quoi, les jeux peuvent très bien refléter la société…
D’ailleurs, si le nombre de ces suppléments se cantonne à quatre, ils se rattrapent néanmoins par leur densité et leur diversité : avec une moyenne de 100 pages par opus, vous y trouverez un nombre d’équipements proprement phénoménal, qui dépasse à chaque nouveau numéro celui du précédent – au moins sur le plan du pur délire, voire des différents hommages aux ténors du genre sur les divers médias où il s’est exprimé, depuis les livres jusqu’aux films en passant par les BD. Il faut le voir pour le croire à vrai dire, car en parler seulement ne leur rend pas justice. Pour cette raison, n’hésitez pas à plonger un jour dans un de ces suppléments, et de préférence tête première : comme le netrunner furetant au tréfonds d’un océan de données, vous ne risquerez pas de toucher le fond.
Ou alors, ce sera juste le fond de la Limite…
Chrome Oriflam, 1991-1996 80 pages, env. 35 € par volume