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Les Soprano

Packaging de l'édition DVD de la série TV Les Soprano

Fin des années 90, dans le New Jersey. Une crise d’angoisse soudaine amène Anthony Soprano à consulter un psychiatre. Pourtant, ce dirigeant d’une entreprise de conseil en traitement des déchets semble mener une vie tranquille. Mais en réalité, Tony est capitaine dans la famille mafieuse DiMeo et le décès prochain du parrain va projeter toute l’organisation dans une crise de succession sans précédent…

Aux origines des mafias italiennes se trouve la chute des monarchies qui permit l’essor d’une bourgeoisie phagocytaire. Car, c’est bien connu, entre le crépuscule d’un monde qui s’éteint et l’aube de celui qui le remplace, les ténèbres engendrent des monstres. En l’occurrence, certains des paysans dépouillés des communs dont ils dépendaient, et parfois même chassés de leurs terres par ces nouveaux seigneurs trouvèrent dans le chantage, l’extorsion et l’homicide le moyen de subsister. Voilà peut-être pourquoi les mafieux se considèrent comme des soldats, parce que leur propre violence répond à celle de leurs bourreaux, même si au fond il ne s’agit que d’une de ces autojustifications caractéristiques des sociopathes, un simple prétexte pour laisser libre cours à leurs pulsions.

Un schéma comparable se produisit avec les immigrés italiens partis vers les États-Unis. Considérés comme des sous-citoyens par une élite protestante qui les négligeait, au mieux, ou bien les exploitait jusqu’à la mort dans les travaux les plus avilissants, au pire, quelques-uns d’entre eux trouvèrent là l’occasion de poursuivre la tradition séculaire de leurs aïeux avec toujours pour ambition affichée de lutter contre une forme d’oppression. Notons au passage que la délinquance issue d’une frange de l’immigration maghrébine, en France ou ailleurs, tient d’une logique semblable : en fait, l’exclusion nourrit la précarité et celle-ci engendre la criminalité d’une fraction de cette population qui s’estime à plus ou moins juste titre méprisée, si ce n’est condamnée.

Ainsi, les mafias italiennes en particulier et occidentales en général sont toutes ou presque des rejetons du capitalisme et de son élitisme structurel, d’abord en les engendrant, puis en les laissant s’épanouir. Car cette relation se prolonge à travers une collusion toujours plus profonde entre les états et ces organisations criminelles. Par exemple, les liens entre les mafias américaines et italiennes contribua beaucoup à permettre le débarquement des forces alliées en Europe lors de la campagne d’Italie, et notamment l’opération Husky de juillet-août 1943, ce qui permit ensuite à Cosa Nostra de placer ses hommes dans l’administration italienne d’après-guerre, avec tous les avantages que procurent de telles positions à tous les échelons d’une bureaucratie publique.

Aux États-Unis, pour en revenir à notre sujet, il est reconnu que la mafia américaine joua un rôle important dans plusieurs scrutins, y compris pour des élections présidentielles, par la pression sur les populations italiennes locales et sur les syndicalistes ou plus simplement en contribuant significativement aux financements des campagnes. Ainsi, Franklin D. Roosevelt (1882-1945) d’abord, avec la complicité de Lucky Luciano (1897-1962), puis John Fitzgerald Kennedy (1917-1963), grâce aux relations de son père avec l’Outfit de Chicago, purent accéder à la fonction suprême. Et comme on ne rend pas de tels services gratuitement, il va de soi que les plus hauts sommets du pouvoir américain ont été eux aussi gangrénés durablement par la mafia.

Voilà, au fond, ce qu’illustre Les Soprano : l’autre face du rêve américain, celle faite d’ombres et de violences, où prospère le plus habile, le plus rusé, et surtout le plus monstrueux. Car Tony Soprano incarne à merveille la réussite sociale, du moins en apparence : avec sa villa digne d’un château et son train de vie typique d’une middle class qui ne se soucie que de son nombril, il jouit d’un confort matériel sans aucune commune mesure avec ceux qui luttent dans le respect de la loi et de leur prochain. Dans ce rêve devenu cauchemar, l’honnêteté et la « valeur travail » ne rapportent plus rien ou juste des peccadilles, et les méthodes ancestrales de cette société qui n’a d’honorable que le nom donnent de bien meilleurs résultats. Du moins, jusqu’à ce que le couperet tombe : les mafieux meurent rarement dans leur lit…

Mais il s’agit aussi d’une création qui compte encore aujourd’hui comme une des plus réussies de la télévision américaine. Responsable avec quelques autres, comme Profit (John McNamara & David Greenwalt, 1996), d’une maturation sans précédent du domaine, elle installa des techniques de narration qui produisent encore de nets échos dans les productions actuelles, notamment à travers une bande-son qui montre une sophistication sans précédent et presque maniaque dans ses détails. Mais son plus gros pari reste sans doute d’avoir tenté ce mélange de drame et de polar, ou assimilé, en une alchimie au final aussi improbable que réussie. En témoigne une liste impressionnante de récompenses et de nominations en plus d’un succès public et critique rarement atteint.

Un autre portrait de l’éternelle désillusion américaine, Les Soprano demeure 10 ans après sa dernière saison une œuvre de référence qui en dit long sur l’Amérique de ce début de siècle et, par extension, sur le reste du monde occidental. Vous ne perdrez pas votre temps à la voir, ni même à la revoir.

Les Soprano (The Sopranos), David Chase, 1999
Warner Bros., 2010
6 saisons, env. 60€

Rain Town

1945

Couverture de l'édition française du manga 1945Automne 1939, à Offendorf, une ville d’Allemagne. La jeune Elen, issue d’un milieu bourgeois, rencontre Alex, un orphelin qui ne trouva rien d’autre pour s’en sortir que d’intégrer les Jeunesses hitlériennes. Avec la Seconde Guerre mondiale sur le point d’éclater, cette histoire a priori banale prend soudain une tournure tragique alors que chacun des deux tente de trouver le plus juste chemin à suivre quand tout devient flou, y compris la notion d’humanité qui comme toujours est la première victime des balles et des bombes…

Que faire contre l’horreur ? Comment dire quand elle dépasse les mots ? Pourquoi juger alors que tous ceux qui survivent pour témoigner y ont pris part, d’une manière ou d’une autre ?

Voilà quelques-uns des questionnements que suggère Keiko Ichiguchi dans 1945. Loin de tenter d’expliquer, de rationaliser ou d’éduquer, elle se contente de raconter. À partir de deux destins dont rien ne laissait présager la rencontre, plus ceux qui gravitent autour de ceux-là, elle déroule peu à peu le fil d’une trame inattendue dans sa portée, poignante dans sa lucidité, terrible dans son humanité. Car ici point de monstres mais juste des gens comme vous et moi perdus dans une tourmente qui les dépasse…

Ce qu’on apprécie surtout, c’est la mesure du récit où tout s’enchaîne avec logique, presque une certaine froideur même. L’auteur trouve ici une retenue d’autant plus difficile à assurer que le sujet se veut bien sûr prétexte à tous les excès. Sans colère ni hargne, pourtant, elle peint un tableau qui glisse peu à peu vers l’horreur la plus folle et où chacun de nous pourra trouver une partie au moins de son portrait.

Se concluant l’année qui lui donne son titre, 1945 nous rappelle la précieuse leçon qu’une guerre ne laisse ni gagnants ni perdants mais juste des survivants : à ceux-là, après coup, de trouver la force de continuer avec le poids de ce qu’ils ont fait, de ce qu’ils n’ont pas fait, de ce qu’ils auraient pu faire d’autre…

1945, Keiko Ichiguchi, 1997
Kana, collection Made In…, septembre 2005
128 pages, env. 10 €, ISBN : 978-2-871-29864-9

Jericho

Jaquette DVD de l'édition française intégrale de la série TV JerichoAprès cinq ans d’absence, Jake retourne enfin à sa ville natale de Jericho, bourgade du Kansas. Mais alors que les retrouvailles familiales tournent à l’aigre et que Jake fuit encore son foyer, une catastrophe sans précédent embrase soudain tout les États-Unis quand des bombes nucléaires en rasent les plus grandes villes en quelques instants. Guerre ou attentat ? Combien de survivants ? La nation existe-t-elle toujours ? Isolés au milieu de nulle part, les habitants de Jericho se retrouvent livrés à eux-mêmes…

Période de crise oblige, je parle de celle provoquée dès les années 70 d’abord par les fissures que subit le système monétaire international avec la dévaluation du dollar puis par les chocs pétroliers et que conforta la chute du communisme en laissant ainsi les mains libres à l’hypercapitalisme ultralibéral, les difficultés du présent rendent le futur pour le moins incertain et l’espoir que les choses s’arrangent encore plus douteux. Voilà comment on se replie sur les valeurs d’antan, ce que les experts en marketing et en communication savent très bien – c’est leur métier après tout – : ainsi assiste-t-on depuis un certain temps à un retour en force des iconographies des années 50, dernière période bénie de l’Histoire où, la Seconde Grande Guerre enfin terminée, on pensait assez naïvement que les choses ne pourraient que s’arranger toujours.

Car cette époque marquée par des progrès économiques, sociaux et techniques sans précédent se doublait aussi, hélas, de craintes nouvelles. On peut compter parmi celles-ci la peur, vite devenue une psychose collective, d’une guerre nucléaire – c’est-à-dire de la fin du monde, pour simplifier. La science-fiction de l’époque, en littérature ou au cinéma, en fit bien sûr ses choux gras ; pourtant, ce thème ne présentait rien de nouveau puisqu’il remonte au moins au texte The World Set Free (1914) d’H.G. Wells (1866-1946) (1) : il fallut Hiroshima et Nagasaki pour comprendre qu’il pouvait très vite dépasser le cadre de la fiction pour entrer de plein pied dans celui de la réalité la plus angoissante (1)

Ainsi, et à l’instar de très nombreuses autres créations depuis une petite dizaine d’années maintenant, Jericho cristallise-t-elle ce désir de revenir à une époque antérieure jugée plus clémente, à tort ou à raison, en remettant au goût du jour le thème pour le moins ancien, voire même fondateur sous bien des aspects de la destruction du monde par l’arme nucléaire – ou en tous cas du monde des protagonistes du récit… L’attitude des auteurs de cette série se montre certes paradoxale, puisque le retour en arrière se double de la résurrection d’un spectre particulièrement hideux, mais elle reste somme toute assez typique des conteurs : l’inspiration première du besoin de retourner en arrière se double ici d’un autre besoin, celui, fondamental, de ces épreuves pour les protagonistes de l’histoire sans lesquelles il ne peut y avoir de récit. Les chemins de la création s’avèrent souvent tortueux.

Pourtant, cette production sait aussi se montrer d’actualité en jouant sur les doutes et les questionnements de ses différents personnages comme ceux de ses spectateurs puisque la crainte de l’attentat terroriste à grande échelle se trouve à maintes reprises évoqué dans le récit. Oussama ben Laden vivait encore à l’époque de la diffusion de Jericho à la télévision américaine…

Néanmoins, on apprécie de voir le récit suivre deux axes très différents tout au long de ses deux saisons, et à chaque fois avec une certaine originalité. Ainsi, le thème des survivants de l’holocauste nucléaire sait sortir des sentiers balisés, et devenus un peu caricaturaux, par une certaine science-fiction post-apocalyptique, en particulier au cinéma – inutile de citer des exemples. On apprécie en particulier de voir la destruction de la civilisation suivie par des tentatives pas toujours vaines de maintenir ce qu’il reste de celle-ci, voire de la reconstruire sous une autre forme, ce qui, au fond, reste un truisme du genre (2) même dans ses incarnations les plus spectaculaires : on rejoint là un aspect fondamental de cette science-fiction dite « classique » qui se veut optimiste car même en dépeignant la fin d’un monde, elle décrit aussi la naissance du suivant – un accouchement certes long et tumultueux mais aussi un espoir pour un futur meilleur malgré tout.

Enfin, le second axe, beaucoup plus inattendu dans un tel registre, demeure celui qui se montre le plus intéressant par la manière dont il colle à ce qui à l’époque de la diffusion de cette série restait une actualité encore à venir. Si des commentateurs déplorent de voir le récit tourner ainsi lors de sa seconde saison à ce que certains d’entre eux n’hésitent pas à qualifier d’un ressort narratif digne de la « théorie du complot », force est de constater que ce scénario de reconstruction des États-Unis qu’il présente frappe au cœur de cette conscience américaine écartelée entre individualisme et patriotisme en dépeignant une nation pour ainsi dire vendue aux intérêts privés – impossible de me montrer plus précis sans spolier (3) le lecteur.

On peut aussi mentionner brièvement un dernier axe, celui de la guerre civile qui donne d’ailleurs son titre à la troisième saison de Jericho, suite parue sous forme d’une courte série de bande dessinée seulement. Un autre thème assez peu innocent lui aussi dans la conscience américaine puisque c’est le terme qu’utilisent les étatsuniens pour désigner ce que nous autres européens appelons la Guerre de Sécession et qui marque encore ce pays bien plus profondément qu’il le voudrait.

À ceci s’ajoutent les inévitables techniques narratives des scénarios de série TV américaines qui, comme chacun le sait, témoignent presque toujours d’une efficacité aussi redoutable que sans faille. Si celles-ci montrent une légère tendance au remplissage dans la première saison, la seconde présente au contraire une concision remarquable qui, encore une fois, en fait le segment le plus intéressant de cette production hors norme.

Pour ses thèmes comme pour l’originalité de son approche, au moins dans les productions du genre sur le média audiovisuel, Jericho s’affirme comme une des productions de science-fiction les plus remarquables de notre siècle sur le petit écran : à voir et peut-être même à revoir !

(1) Jacques Goimard, Le Thème de la fin du monde, préface à Histoires de fins du monde (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3767, 1974, ISBN : 978-2-253-00608-4).

(2) Demètre Ioakimidis, De l’Intérêt à survivre, préface à Histoires de survivants (Le Livre de Poche, collection La grande anthologie de la science-fiction n° 3776, 1983, ISBN : 978-2-253-02579-5).

(3) en français dans le texte.

Séquelle :

Outre la troisième saison sous forme de comics en six numéros évoquée ici et titrée Jericho Season 3: Civil War (Idea & Design Works, août 2011, ISBN : 978-1-600-10939-3), le récit de Jericho se poursuit à travers une quatrième saison, elle aussi sous forme de narration graphique, dont le premier chapitre doit paraître en juin 2013. Comme pour la troisième saison, cette suite sera écrite par les scénaristes de la série TV originale.

Jericho, 2006-2007
CBS, 2009
2 saisons, env. 30 €

Code 46

Jaquette DVD de l'édition française du film Code 46Dans un avenir proche, où le clonage fait partie du quotidien, le monde est divisé entre des grandes villes modernes où la population vit dans des appartements aseptisés, et de vastes zones désertiques où sont relégué les exclus, les sans-papiers. Enquêteur privé, William est envoyé à Shanghai pour interroger les employés de la société Sphynx sur un trafic de papiers. Il soupçonne Maria Gonzales et pourtant, il va se laisser entraîner dans une relation qui va menacer leur liberté…

Peut-être en raison de son focus sur les techno-sciences, éléments cartésiens par essence et donc souvent taxés d’une certaine froideur, la science-fiction évoque assez peu l’amour dans ses récits. À vrai dire, et précisément depuis le roman Les Amants étrangers (The Lovers ; 1961) de Philip José Farmer, elle parle plus volontiers de sexe (1), bien qu’avec une certaine réticence selon certains (2). L’amour, lui, par contre, reste proscrit, faute d’un meilleur terme, et pour des raisons d’ailleurs assez difficiles à cerner ; peut-être parce-que ce thème aux apparences frivoles manque du sérieux dont se réclament les auteurs du genre qui lui préfèrent en général l’exploration des mystères de l’univers – au sens large du terme.

Voilà pourquoi on ne s’étonne pas qu’un réalisateur jusqu’ici peu familier avec la science-fiction, Michael Winterbottom,  accouche de Code 46. Car en dépit des apparences, ce film n’a de ce « mauvais genre » que l’apparence. Bien sûr, on y reconnaît des emprunts évidents à plusieurs des ténors du domaine, comme Blade Runner (Ridley Scott ; 1982), pour le futur à l’agonie où les divers dialectes de la planète se télescopent en un seul, et Bienvenue à Gattaca (Andrew Niccol ; 1997), pour le spectre du monde soumis à un eugénisme qui décide du destin entier de chacun dès la naissance ; mais on peut aussi y voir l’influence de productions plus confidentielles, telle que Sleep Dealer (Alex Rivera ; 2008) et son futur aux frontières hermétiques à l’immigration…

S’il n’ajoute rien sur ces thèmes battus et rebattus jusqu’à la nausée depuis bientôt un demi-siècle, au mieux, et qui nous promettent des lendemains toujours plus sombres, Code 46 leur superpose néanmoins une touche unique. Winterbottom, en effet, ose parler d’amour, et non seulement dans un film qui se réclame d’un genre où celui-ci n’y a jamais vraiment eu sa place mais aussi dans un avenir qui se meurt – comme si l’amour y constituait notre seule planche de salut, notre unique motivation à transgresser les interdits inhumains qui nous frappent d’autant plus fort qu’on ne les a pas choisis… Et pourtant, on connaît bien la chanson : les histoires d’amour finissent mal, en général ; celle-ci ne fera pas exception, comme il se doit.

Mais auparavant, malgré tout, le charme opérera, et à sa façon toute inimitable dans ce cas précis. Comme jadis Roméo et Juliette, ici William et Maria vivront leur amour jusqu’au bout, sans concession ou baratin ni justification, avec cette arrogance des amants auxquels tout est dû – même le pire. Pour cette raison, parce-que de toutes manières le premier tiers du film dit tout sur ce futur qui au fond ne se différencie en rien des autres avenirs de cauchemar de la science-fiction, le spectateur se verra bien inspiré de ne pas y chercher un message, ou du moins une réflexion, voire un discours inédit. Après tout, on sait bien, et depuis belle lurette, qu’il ne faut rien attendre de demain. Pourquoi, dès lors, s’appesantir ?

Le temps d’une aventure, néanmoins, l’espace de quelques jours ou de quelques semaines, pas plus, ça suffit bien, nos tourtereaux transgresseront l’ultime interdit. Ils arracheront à pleines mains leur liberté de se consumer sans jamais vraiment tenter de braver ce système qui se montre toujours plus fort. Ils s’abîmeront dans cette illusion de la liberté qu’on retrouve pour mieux la perdre, mais sans jamais y penser, comme un détail qu’on oublie, une formalité qu’on ignore jusqu’à ce qu’elle se rappelle à nous – de préférence quand et comment on s’y attend le moins, sinon ce n’est pas drôle. Jusqu’à arriver au bout de ce chemin où l’éblouissement laissera place à la banalité, à la routine, à l’ennui. Du moins pour le plus chanceux des deux…

Merveilleusement servi par une bande originale magistrale, dont beaucoup disent qu’elle fait tout le film ou presque, et ils ont peut-être raison, réalisé dans ces lieux d’aujourd’hui où se bâtit le monde de demain pour mieux lier le présent au futur et ainsi souligner peut-être l’éternité des sentiments, Code 46 compte parmi ces bijoux sans pareil qui nous cueillent comme un enchantement.

(1) Jacques Goimard, préface à Histoires de sexe-fiction (Le Livre de Poche, coll. La Grande anthologie de la science-fiction n° 3821, mai 1985, ISBN : 2-253-03676-5).

(2) Peter Nicholls, The Science Fiction Encyclopaedia (Doublday, New York, 1979), p.539.

Récompense :

Outre plusieurs nominations, à la Mostra de Venise, aux British Independent Film Awards, au Prix du cinéma européen et aux Satellite Awards, ce film reçut le Grand Prix du film fantastique européen, meilleur scénario et meilleure bande originale de film, lors du Festival international du film de Catalogne en 2004.

Notes :

Dans la scène du karaoké, on peut voir Mick Jones du groupe punk The Clash interpréter leur célèbre chanson Should I Stay or Should I Go? (1981) mais en en écorchant quelque peu les paroles… Un peu plus tôt dans la même scène, on peut voir une femme au piano chanter un morceau appartenant au registre du fado de Coimbra intitulé Coimbra Menina e Moça.

Plusieurs éléments font référence au mythe d’Œdipe, comme la relation mère-fils incestueuse et involontaire mais aussi le Sphinx. On peut également citer l’exil de Maria et la perte d’empathie de William qui équivaut ici à la cécité d’Œdipe.

Le tournage s’est déroulé du 2 janvier au 5 mars 2003, et dans des lieux aussi divers que Londres, Dubaï, Shanghai, Jaipur, Jodphur et Hong Kong.

Constitué de 23 paires, l’ADN humain totalise donc 46 chromosomes.

Code 46, Michael Winterbottom, 2003
Swift Productions, 2011
89 minutes, env. 15 €

– le site officiel du film
– d’autres avis : Blog Cinéma, Critictoo Cinéma

La Comtesse

Jaquette DVD de l'édition française du film La ComtesseÀ la mort de son mari, la comtesse Erzsébet Báthory se trouve à la tête d’une immense fortune et étend peu à peu son influence jusqu’à devenir la femme la plus puissante de Hongrie. C’est alors qu’elle s’éprend éperdument d’un séduisant jeune homme. Après une idylle aussi brève que passionnée, la comtesse est abandonnée. Certaine d’avoir été délaissée pour une rivale plus jeune et plus belle, Erzsébet sombre petit à petit dans la folie et se persuade que le sang de jeunes vierges lui procurera jeunesse et beauté.

Plus qu’un portrait de la comtesse Báthory (1560-1614), à ce jour encore un des pires tueurs en série de l’Histoire, Julie Delpy nous brosse surtout ici une représentation de la femme, au sens large du terme. D’ailleurs, le scénario s’éloigne vite de la réalité historique, et pour autant qu’on puisse saisir celle-ci dans son intégralité quant à ce personnage qui a certes existé mais dont la légende lui prête des actes et ainsi une réputation assez difficile à séparer de la vérité. Tout au plus peut-on affirmer qu’elle ne se baigna jamais dans du sang humain mais se contenta de s’en laver le visage et les mains – et pour de simples raisons d’ordre « technique » : un corps humain, en effet, ne contient pas assez de sang pour remplir une baignoire…

Car en cette Hongrie de la toute fin du XVIe siècle où elle vécut, d’une part magies et sortilèges constituaient des faits indiscutables avec lesquels on frayait bien plus que ce qu’on l’admettait, surtout dans les sphères les plus élevées de la hiérarchie sociale ; mais d’autre part féodalité et servage mettaient paysans et domestiques à l’entière disposition de leur seigneur, celui-ci exerçant sur eux droit de vie et de mort avec pour seules limites celles du bon sens et des rapports humains normaux, soient les deux traits de caractère dont la comtesse Báthory se trouvait hélas dépourvue dès lors qu’il s’agissait de sa beauté. D’où l’étendue des supplices et sévices qu’elle infligea à ses gens et qui atteignent des sommets de l’horreur (1).

Extrémités qui somme toute étonnent assez peu. Née au plus haut niveau de la société en un temps de guerres et de violences où on s’embarrassait peu de sentiments, elle n’avait pas coutume de prendre des gants avec des personnes considérées comme à peine plus évoluées que des animaux. Aucun autre noble ne le faisait d’ailleurs. Une réalité historique retranscrite dès les premières minutes du film : la comtesse Báthory y est ainsi présentée comme un pur produit de son temps mais aussi de la dureté et de la froideur de l’éducation que lui prodigua sa mère. On retrouve donc assez facilement dans le jeune noble Istvan l’image de son amour de jeunesse, un simple paysan exécuté pour l’avoir mise enceinte à l’âge de 15 ans à peine.

C’est donc avant tout le portrait d’une femme meurtrie par les pratiques et les coutumes d’une époque sombre que dresse Julie Delpy dans ce film : celui d’une dame qui tente de rattraper une jeunesse enfuie, ou plutôt saccagée par la tyrannie des convenances et de l’étiquette, et notamment celles qui dictent leurs conditions aux femmes. Voilà pourquoi le pouvoir dont dispose la comtesse Báthory à la mort de son mari finit par devenir insupportable à certains puissants du royaume : que son mari était en mesure de tenir tête au roi passait encore, c’était un homme, mais elle seule certainement pas… Ainsi, sa folie se voit-elle ici présentée comme la conséquence aussi involontaire que tragique d’une banale intrigue de cour destinée à lui ravir ses richesses (2).

Mais si ce féminisme du discours étonne lui aussi assez peu, au point d’ailleurs qu’il agace presque, il se double néanmoins d’une réflexion sur le pouvoir : de par son statut dans la hiérarchie sociale, en effet, la comtesse Báthory se trouve capable d’infliger à ses victimes – toutes des femmes d’ailleurs, soient autant d’images de la mère haïe – ce que ses contemporaines ne pouvaient faire subir à d’autres. En fait, Julie Delpy nous présente ici une dame qui peut agir comme un homme – du moins un particulièrement mauvais – car elle en a les moyens, en balayant ainsi et du même coup l’image traditionnelle et pour le moins naïve de la « douce femme » : son autorité sur ses serviteurs lui sert ici de force de contrainte qui remplace la force physique masculine.

Bien sûr, il n’aura échappé à personne que la folie de la comtesse reste sa principale différence avec les autres femmes, celles de son temps comme celles d’autres époques. Sa préoccupation pour la jeunesse et la beauté, par contre, demeure caractéristique de la gent féminine, mais c’est en la poussant dans ses dernières extrémités, ici par maladie d’amour, qu’elle dépasse le stade de la normalité pour entrer de plein pied dans celui de la folie meurtrière.

Quant à Julie Delpy, et si on admet qu’une des marques d’un grand auteur est de bien cerner les différences entre les hommes et les femmes, alors nous nous trouvons là en présence d’une réalisatrice de tout premier plan.

(1) le lecteur curieux de s’instruire sur ce sujet se penchera sur l’essai de la poétesse Valentine Penrose intitulé La Comtesse sanglante (Gallimard, collection L’Imaginaire, avril 2004, ISBN : 978-2-070-70121-6) publié pour la première fois en 1962 ; si plusieurs autres ouvrages de différents auteurs suivirent celui-ci, il n’en demeure pas moins une référence encore de nos jours.

(2) si je me souviens bien de certaines lectures, il me semble que Julie Delpy se rapproche sur ce point de thèses historiques récentes à propos du personnage de la comtesse Báthory.

Notes :

Le casting connut plusieurs chamboulements avant le tournage. Ainsi, Ethan Hawke devait en faire partie mais n’y figure pas au final. Quant à Radha Mitchell et Vincent Gallo, qui jouent les personnages de Anna Darvulia et Dominic Vizakna, ils devaient au départ tenir les rôles-phare du film.

La Comtesse (The Countess), Julie Delpy, 2009
Aventi, 2010
96 minutes, env. 12 €

L’Âme des guerriers

Jaquette DVD du film L'Âme des guerriersDans la banlieue māorie pauvre d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, Jake et Beth tentent d’élever leurs enfants. Mais Jake, homme alcoolique et violent, supporte mal de descendre d’ancêtres esclaves et son influence sur sa famille se montre toujours plus néfaste : alors que son fils aîné rejoint le gang Toa qui tente de retrouver les rites traditionnels des guerriers Māoris, son cadet se fait arrêter pour vol avant de se voir placé dans un centre de redressement, et sa fille unique se réfugie dans l’écriture de contes…

Dès les premières images, l’ambiance se montre familière. Ça pourrait se passer dans certaines banlieues de New-York où croupissent ces Noirs dont les ancêtres arrivèrent au Nouveau Monde couverts de chaînes. Ou bien quelques milliers de kilomètres plus à l’ouest, dans un de ces villages où des descendants d’amérindiens tentent de préserver des traditions incompatibles avec la modernité. Ou encore dans certains de nos « quartiers » où les enfants d’immigrés ne savent plus comment se faire une place au sein d’une société qui n’a jamais vraiment voulu d’eux… C’est le discours éternel de ceux qu’on a dépouillé de leurs racines par la colonisation avant de les assommer sous les mirages d’une modernité qui en fait les asservit toujours plus.

Avec L’Âme des guerriers, son premier film, Lee Tamahori nous montre que les choses ne vont guère mieux à l’autre bout du monde. Ce dont on ne s’étonne pas : pourquoi ce serait mieux ailleurs après tout ? Mais sous le vernis de l’exotisme des cultures insulaires du Pacifique, ce film présente surtout un drame humain à la force rare, qui s’inscrit dans un certain présent pour mieux exorciser un passé que l’œil de l’occidental, ici, peine à saisir tant il le concerne en fin de compte assez peu. C’est une leçon d’Histoire que donne ce film, en nous rappelant combien nos ancêtres à nous ont pu briser de civilisations pour y imposer la leur, la nôtre, mais si loin de chez eux que leurs compatriotes n’y firent que très peu attention.

Voilà pourquoi leurs descendants, c’est-à-dire nous-mêmes, gagnerions à voir L’Âme des guerriers. Au moins pour se rappeler que notre barbarie coloniale se répandit jadis aux quatre coins d’un monde qui, pourtant, n’en demandait pas tant. Ce sera d’ailleurs aussi l’occasion de voir un jeu d’acteur souvent époustouflant, que les quelques faiblesses ponctuelles de cette première réalisation ternissent à peine. À la fois un bref mais très intense voyage sur les terres Māories, ce film agit comme une marée montante qui nous submerge peu à peu dans des vagues d’émotions successives où la passion le dispute toujours plus à la violence jusqu’à ce que survienne une forme de rédemption à travers le retour tant attendu aux racines.

Une plongée en apnée dans la gueule béante d’un enfer quotidien, et au final un grand moment de cinéma – un du genre qui ne laisse pas intact…

Récompense :

Prix du Meilleur premier film à la Mostra de Venise, en 1994.

Notes :

L’Âme des guerriers est inspiré du premier roman à succès d’Alan Duff, sorti en langue originale en 1990 et disponible en français chez Actes Sud (collection Babel, mai 2002, ISBN : 978-2-742-73818-2). Ce roman connut une suite, Les Âmes brisées (What Becomes of the Broken Hearted?, 1996), qui obtint le Prix New Zealand Post et qui parut en France chez le même éditeur : cette séquelle se vit elle aussi portée à l’écran, sous le titre de L’Ame des guerriers II (Ian Mune ; 1999). Un troisième volume, Jake’s Long Shadow, parut en 2002 et reste sans traduction en français à ma connaissance.

L’Âme des guerriers (Once Were Warriors), Lee Tamahori, 1994
Fox Pathé Europa, 2000
99 minutes, env. 30 €

Vol au-dessus d’un nid de coucou

Jaquette DVD de la dernière édition française du film Vol au-dessus d'un nid de coucou1963, dans l’Oregon. Criminel récidiviste, Randle P. McMurphy purge une courte peine pour viol sur mineure quand il demande à se faire transférer dans un hôpital psychiatrique en plaidant la folie. Dans cet institut, il découvre peu à peu des êtres fragiles et attachants dont la folie lui semble aussi discutable que ce qu’ils restent soumis à l’autorité oppressive de mademoiselle Ratched, l’infirmière en chef. Pour le plaisir du jeu, McMurphy va bousculer le rythme de vie de l’établissement, mais Ratched ne le voit pas ainsi…

Quand Ken Kesey (1935-2001) écrivit le roman original que ce film adapte sur grand écran, il travaillait dans un asile psychiatrique pour financer ses études et le mouvement hippie allait entamer son essor en Californie. Ces deux éléments a priori sans aucun lien entre eux se rejoignent en fait assez vite quand on conçoit ce récit comme un précurseur de ce mouvement appelé à connaître une dimension mondiale et une postérité alors complétement sous-estimée. Ken Kesey et son livre se trouvaient plus ou moins dans l’air du temps en quelque sorte, dans le sens où ils annonçaient cette vague de contestation qui allait enflammer toute cette génération d’après-guerre excédée du conservatisme forcené de leurs parents.

Il apparaît assez clair, en effet, que l’hôpital psychiatrique où se déroule cette histoire représente une métaphore de ce corps social aussi autoritaire que borné dans ce qu’il se montre incapable d’assimiler les idées neuves ou plus simplement l’originalité. Il préfère les briser pour mieux les faire entrer dans le moule. Or, les hippies s’insurgeaient contre toutes formes d’autorité, en revendiquant haut et fort la liberté de chacun à choisir pour lui-même en dehors de toutes pressions sociales. Un peu comme McMurphy d’ailleurs, ce qui n’est bien sûr pas un hasard : à sa manière un des premiers hippies de l’Histoire, il s’oppose à un système qui ne se caractérise pas par son humanité – ce qu’il paiera au prix fort…

Mais pour son réalisateur, Vol au-dessus d’un nid de coucou reste une métaphore de ce système communiste dans lequel Milos Forman grandit et qui fit tout son possible pour saccager ses films en les déclarant productions anticonformistes, c’est-à-dire des œuvres plus ou moins dérangées. Les excentricités d’un fou en quelque sorte. Voilà pourquoi Vol… s’affirme aussi comme une ode à a différence, à l’originalité, voire à l’excentricité, bref, à ce qui fait de nous des individus différents des autres et ainsi tous à même de contribuer à enrichir ce monde en dépit de ce que prétendent les psycho-rigides qui nous gouvernent – vous aurez tous reconnu là l’infirmière en chef mademoiselle Ratched

Discours éternel, chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvres de ce cinéma qui dit ce qu’il pense, Vol… reste un film d’une troublante actualité : à l’époque du « Je consomme donc Je suis », soit une autre extrémité du conformisme, il demeure pour nous rappeler que la vie reste bien trop courte pour se cantonner à suivre tous le même chemin.

Récompenses :

LAFCA : Meilleur film (à égalité avec Un après-midi de chien, de Sydney Lumet)
Oscars du cinéma : Meilleur film, Meilleur producteur (Michael Douglas), Meilleur réalisateur (Milos Forman), Meilleur acteur (Jack Nicholson), Meilleure actrice (Louise Fletcher), Meilleur scénario (Bo Goldman & Lawrence Hauben)
British Academy of Films and Television Arts : Meilleur film.

Notes :

Le rôle de l’infirmière en chef Ratched fut proposé à de nombreuses stars de l’époque avant de se voir confié à Louise Fletcher une semaine à peine avant le début du tournage ; Milos Forman attribue le refus de ces grands noms d’Hollywood d’incarner ce personnage à l’essor du féminisme qui ne tolérait plus une telle image de la femme.

Le directeur de l’hôpital psychiatrique où ce film fut tourné accepta de « prêter » son établissement en raison de son progressisme : à l’époque, électrochocs et lobotomies comptaient encore parmi les châtiments appliqués aux malades non coopératifs.

Bien que le film mette surtout en vedette Jack Nicholson, suivi de Louise Fletcher, on peut trouver dans le casting des noms comme Christopher Lloyd ou Danny DeVito, ou encore Brad Dourif.

Avant de devenir un film, le roman Vol au-dessus d’un nid de coucou connut une adaptation en pièce de théâtre sur Broadway, en 1963.

Vol au-dessus d’un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo’s Nest)
Milos Forman, 1975
Warner Bros., 2011
133 minutes, env. 10 €

Perfect Blue

Jaquette DVD du film Perfect BlueMima fait partie du groupe Cham!, un trio d’idol singers au succès commercial plutôt mitigé mais dont les fans sont particulièrement fondus. Un jour, elle décide de laisser tomber la chanson pour se consacrer à une carrière de comédienne… Ses relations lui permettent de trouver vite un petit rôle dans une série policière en prime-time, mais s’imposer pour gravir les échelons jusqu’à voir son personnage devenir un élément-clé de l’intrigue lui demande beaucoup de travail et de sacrifices.

À toute cette pression s’ajoutent peu à peu des messages anonymes et des insultes qui lui reprochent d’avoir trahi Cham! et ses fans. Puis elle se rend compte que son appartement est visité. Le site web que lui consacre un fan anonyme divulgue des renseignements sur elle-même qu’elle se croyait la seule à connaître. Et enfin il y a les meurtres, tous plus sanglants et atroces les uns que les autres, qui déciment l’équipe de tournage…

C’est à ce moment que commencent les hallucinations, en prologue à une descente aux enfers enfiévrée.

Bien que charmé par ses excellentes qualités de réalisation, je suis d’abord resté un peu déçu par Perfect Blue, peut-être parce-que j’ai trouvé le coupable de ces meurtres en série en à peine un quart d’heure… Mais à y regarder de plus près, cette apparence d’intrigue policière ne représente qu’un élément superficiel du scénario. Car sous ces dehors, le crescendo de la folie qui gagne Mima peu à peu, et qui se voit ici retranscrit avec grand brio, constitue sans discussion possible le véritable sujet de ce récit, au point d’ailleurs d’en faire une production à ne rater sous aucun prétexte. Sous bien des aspects à vrai dire, ce film représente presque un manifeste du très regretté Satoshi Kon et annonce toute son œuvre, alors encore à venir, qui trouve son identité dans la manipulation du réel sous toutes ses formes.

Mais il s’agit aussi d’une critique acerbe et sans concession du star system et de l’industrie du divertissement qui chacun à leur manière « chosifient » les jeunes talents afin de les faire rentrer dans le moule du profit, au mépris à la fois de l’artiste mais aussi – et surtout – du spectateur : le tapage médiatique, en effet, ne réduit pas seulement celui-ci à une vache à lait, il en fait aussi une victime obnubilée par une image fausse car créée de toutes pièces par des stratégies marketing destinées à vendre toujours plus et qui n’a le plus souvent qu’un lointain rapport avec la réalité.

Dans cette dénonciation virulente du show biz japonais, dont le réalisateur présente les acteurs principaux – les artistes comme leurs admirateurs – en victimes de rouages inhumains qui les perdent tous un petit peu plus à chaque jour, les réalités s’entrechoquent dans un crescendo d’hallucinations qui ne laisse plus que la folie : une œuvre indispensable !

Notes :

Durant la fameuse scène d’agression au couteau, la boite à pizza sur laquelle figure la mention « Big Body » est un hommage au compositeur japonais Susumu Hirasawa et à son groupe de musique électronique P-Model, dont le dixième album porte pour titre Big Body. D’autres scènes présentent des clins d’œil semblables, sous la forme d’affiches publicitaires ou de sacs de course portant comme texte les titres de différents morceaux du compositeur. Hirasawa collaborera par la suite à plusieurs réalisations de Satoshi Kon : Millenium Actress (2001), Paranoia Agent (2004) et Paprika (2006).

De nombreux commentateurs ont souligné la similitude entre la scène de la baignoire de Mima, où celle-ci retient son souffle sous l’eau, et celle du film Requiem for a Dream (Darren Aronofsky ; 2000) où la comédienne Jennifer Connelly fait la même chose. Aucune confirmation officielle de la part du réalisateur n’a été obtenue sur ce point…

Au départ planifié comme un film live action, Perfect Blue devint un anime quand plusieurs sponsors du projet choisirent de façon assez abrupte de s’en retirer.

Perfect Blue, Satochi Kon, 1997
HK Vidéo, 2003
80 minutes, env. 15 €

– le site officiel de Satoshi Kon
– le site officiel du film chez Manga Entertainment
– d’autres avis : Filmdeculte, AsiePassion, Lysao, Animint, Naveton, CloneWeb

Vixit – Tueur de ville

Couverture de la première édition du premier tome de la BD VixitMelgart Kilgor, mercenaire et spécialiste de la démolition, encadre une équipe de repris de justice engagés par la compagnie Cemac pour mener à bien l’opération Edelweiss. Leur boulot : raser une ville à l’abandon. Leur récompense : une remise de peine. Mais parmi eux se trouve un certain Rosco, vieille connaissance de Mel qui l’envoya au trou quelques années plus tôt, et le taulard fait vite savoir à tout le monde qu’il n’est pas venu ici juste pour obtenir la clémence des juges.

Le lendemain, on retrouve Rosco mort et Mel doit prouver à ses gars qu’il n’y est pour rien : pas évident quand on a affaire à du gibier de potence qui n’a pas l’habitude d’y aller par quatre chemins pour régler ses problèmes, et encore moins de se creuser la tête quand les apparences se montrent aussi évidentes. Et ça ne s’arrange pas quand d’autres meurtres sont découverts…

Planche intérieure de la BD VixitOn a tous à un moment ou à un autre eu l’occasion de tomber sur une œuvre unique. Ce genre de création qui présente trop de lacunes pour prétendre au statut de chef-d’œuvre, ou même de simple classique, mais qui combine néanmoins avec talent un niveau d’excellence peu contestable sur les principaux éléments dont elle se compose en plus de reposer sur un thème rare. En l’occurrence, les principaux éléments sont bien sûr le scénario et les dessins, alors que le thème est celui de la « mort » d’une ville – mais d’une ville devenue sujet à travers les actes d’un personnage assez peu commun qui ne s’encombre plus de scrupules tant son statut d’être humain est devenu pour le moins discutable.

Vixit, premier et à ce jour unique tome de la série Tueur de ville créée par Ralph et Kisler, s’impose donc comme une création toute aussi riche que singulière.

Planche intérieure de la BD VixitPar son scénario d’abord. Assez typique des années 80 dans sa manière de mêler une certaine violence, à la fois physique et morale, à la déchéance d’un futur terriblement immédiat où les valeurs humaines ne semblent pas éteintes mais plutôt n’avoir jamais existé, ce récit se réclame presque du cyberpunk. Avec ses protagonistes tirés d’une prison de haute sécurité et chargés d’une mission atypique par une compagnie qu’on devine bien sûr multinationale et tentaculaire, la narration installe d’emblée une impression assez peu comparable à d’autres. Quant à la révélation du coupable, au milieu du tome, elle constitue le point culminant de ce malaise qu’éprouve le lecteur dès le début : le monstre, en effet, s’avère surtout victime…

Encore que Vixit s’affirme surtout comme une œuvre d’ambiance, et sur ce point les graphismes de Kisler se montrent tout à fait à propos.

Planche intérieure de la BD VixitTantôt claires, tantôt obscures, mais présentant toujours une part de glauque, ces illustrations combinent les styles franco-belges et anglo-saxons avec une maturité assez typique de cette époque où les auteurs français avaient pleinement assimilé les codes du comics dans leur art. À la fois dynamiques et contemplatives, ces planches donnent une personnalité et une aura bien spécifiques à la cité et à son complexe industriel : d’une manière assez étrange, on pense à Mad Max (George Miller ; 1979) et en règle générale à une sorte de post-apocalyptique qui ne veut pas dire son nom ; mais on pourrait aussi évoquer le western, ainsi que Les Douze Salopards (The Dirty Dozen ; Robert Aldrich, 1967), parmi d’autres inspirations…

Au final, à travers ces racines très diverses, Vixit se veut surtout une œuvre postmoderne, à l’instar de beaucoup d’autres créations de son temps.

Planche intérieure de la BD VixitVoilà comment le véritable sujet central de ce récit s’avère en fait être la ville, et peut-être même son héros d’ailleurs ou du moins son protagoniste principal. Sous bien des aspects, en effet, ce récit donne l’impression qu’elle se rebelle contre sa destruction programmée en tuant ceux chargés de son assassinat. Bien sûr, la réalité s’avère vite assez différente, ce qui devient la raison d’un drame inhabituel, surtout dans une histoire reposant autant sur le suspense, l’angoisse et l’action ; ce sera d’ailleurs l’occasion de voir qu’en dépit de tous ses muscles, le personnage de Mel Kilgor s’avère en réalité bien plus complexe qu’il en a l’air et notamment en raison d’un passé aussi lourd que peu banal.

À la fois drame et thriller, récit d’action et de suspense, Vixit s’impose comme une œuvre pour le moins protéiforme qui saura bien remplir un long moment de lecture si, comme moi, vous aimez les productions atypiques.

Case tirée de la BD Vixit

Note :

Peut-être en raison de ses spécificités narratives et thématiques peu aptes à s’attirer la sympathie du public, la série Tueur de ville s’arrête à ce premier et unique tome.

Tueur de ville, t.1 : Vixit, Ralph & Jean-Marc Kisler
Vents d’Ouest, janvier 1988
46 pages, entre 1 et 15 € (occasions seulement), ISBN : 2-86967-037-0


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