Août 2023. Une épidémie d’origine inconnue décime la population de New York. Alors que des milices privées tentent de maintenir un semblant d’ordre, l’armée charge l’équipe Omega One d’extraire le docteur Nathan Gould qui détient des informations importantes sur le virus. Mais des assaillants mystérieux massacrent les soldats dont un seul d’entre eux survit, sauvé par un combattant équipé d’une étrange combinaison. Condamné par le virus, celui-ci fait don de son matériel de pointe à l’unique survivant d’Omega One.
En toute franchise, je n’aime pas Crysis (Crytek, 2007). Sous bien des aspects un héritier de Far Cry (même studio, 2004), il en reprenait les concepts de base – les mécaniques de jeu comme une bonne partie de l’environnement – mais sans en corriger les défauts pour autant, voire parfois même en les amplifiant. Une fois ajoutée la complexification du game design par l’introduction de la nanocombinaison, au demeurant un élément tout à fait intéressant sur le papier mais dont l’implémentation souffrait de contrôles peu intuitifs, le jeu devenait vite une corvée que son récit à base d’intrigues nord-coréennes et saupoudré d’une menace d’invasion extraterrestre ne pouvait parvenir à sauver. Le titre rencontra néanmoins son succès, tant public que critique.
Avec celui-ci vint logiquement une suite, cette fois pensée pour le marché des consoles de salon et donc assez simplifiée tant au niveau du level design que des contrôles compte tenu des limitations matérielles de ce type de support. De cette épuration d’un certain agrément au final plutôt accessoire sortit un titre peut-être un peu moins exigeant, ou plutôt moins permissif, mais surtout bien plus digeste. Voilà un principe de base de la conception de jeu : si un élément n’est pas nécessaire, il est certainement superflu – ce que les créateurs de jeux vidéo oublient souvent, peut-être en raison des facilités que permet le matériel informatique en comparaison de l’analogique : je pense en particulier au cas des jeux de plateau.
Bien sûr, les fans du premier Crysis ne le virent pas ainsi et très vite après la sortie du jeu, les complaintes habituelles saturèrent les relais d’information dédiés. Rien de nouveau sous le soleil. On peut néanmoins souligner que cette suite d’un titre devenu une référence dans son genre illustre un cas d’école toujours plus récurrent avec le succès croissant du jeu vidéo auprès d’une audience pas forcément profane mais néanmoins plus soucieuse du pur plaisir de jeu que de la performance. Si certains n’hésitent pas à affirmer que cette popularisation du jeu vidéo implique sa dégradation, il vaut de noter qu’un tel processus concerne tous les médias, quels qu’ils soient, dès que ceux-ci sortent du registre du confidentiel pour toucher le grand public…
On peut malgré tout s’accorder sur le fait qu’un autre aspect du titre présente, lui, une maturation certaine : son récit, ici scénarisé par l’auteur de science-fiction Richard Morgan dont les sensibilités intellectuelles trouvent là une place de choix pour s’exprimer. Outre ses nombreux rebondissements, somme toute assez attendus dans ce type de production, Crysis 2 propose ainsi quelques réflexions, sommaires mais néanmoins bien présentes, sur certains concepts typiques du transhumanisme en plus d’orienter les éléments de base du premier opus de la série dans une direction pas forcément originale mais en tous cas bien moins clichée. On apprécie en particulier comment l’antagoniste principal y prend un visage tout à fait… humain.
Plus qu’une simple suite, Crysis 2 s’affirme avant tout comme une évolution d’un titre en fait moins novateur dans ses mécaniques que dans sa technique. Pour son emphase sur le plaisir de jeu et sur l’ambiance, ainsi que pour son récit porteur d’idées rafraichissantes et substantielles, le successeur surpasse bel et bien l’original sur les plans principaux, ceux qui en font une expérience méritant votre temps.
Depuis 50 ans et la chute d’Ultor Corporation, la Terre occupe Mars avec sa branche armée, l’EDF. Mais le libérateur d’hier est devenu l’oppresseur d’aujourd’hui, car les ressources se font rares sur la planète-mère, alors elle exploite celles de Mars et ses colons réduits à l’état d’esclaves. Fraichement débarqué de la Terre pour prendre un nouveau départ, Alec Mason est accueilli par son frère Dan. Mais quand celui-ci se fait tuer par l’EDF pour sédition, Alec devient un fugitif sans d’autre choix que de rejoindre à son tour la Red Faction…
En premier lieu, on trouve dans Red Faction: Guerilla le portrait d’une certaine Amérique. Celle du rêve et des espoirs, voire des illusions. Bref une Amérique fantasmée. D’abord à travers sa peinture d’une révolution contre un état oppresseur, métaphore évidente de celle que menèrent les colons anglais en 1776, et qui traduit une maturation nette du concept de base de la franchise : ici, les insurgés ne luttent plus contre une multinationale corrompue, symbole de la tyrannie du privé envers ses employés, mais contre celui censé les en protéger. Un revers surprenant puisque la coloration « rouge » de la Red Faction tend ainsi à s’édulcorer, même si on apprécie de voir le discours s’éloigner des tropes marxistes du titre original – cette série parle avant tout de liberté.
Par ses paysages ensuite, dont les dunes de sable entrecoupées de rocs et de falaises où des constructions simples forment des ilots de civilisation évoquent bien sûr cet Ouest peu à peu colonisé et qui reste encore synonyme d’Amérique pour beaucoup. D’ailleurs, on les parcourt autant à pied qu’en véhicule, ce qui renvoie à une autre image des États-Unis, ou plutôt un de ses produits caractéristiques, le road movie, dans lequel la route tient à la fois du thème et du sujet en plus du lieu de l’action. On l’arpente souvent, ici, au point qu’elle devient partie intégrante du paysage, du jeu, de l’expérience, et ses circonvolutions nous deviennent vite familières : très vite, on apprend à en maîtriser la moindre courbe pour en tirer le meilleur avantage.
Avec ses maraudeurs enfin, car ces descendants des chercheurs et des ingénieurs d’Ultor qui ont fui la civilisation afin de poursuivre dans l’isolation du désert leurs travaux de développement technique rappellent, eux, les natifs américains pour leurs mœurs tribales et leur méfiance systématique envers les colons. Comme tous les parias, ils vivent repliés sur eux-mêmes suivant des codes qu’eux seuls comprennent, ce qui devient l’occasion d’explorer un des arguments majeurs de la science-fiction, les modèles de société inédits, même si on aurait apprécié de voir la narration aller plus loin au lieu de se contenter de survoler un sujet pourtant riche, même si ce n’était pas là le propos du récit. Celui-ci, malgré tout, nous donnera l’occasion de voir ces maraudeurs de près, et même de très près.
Articulé tout entier autour de mécaniques de jeu dites open world, le titre propose là aussi une autre rupture, pour le moins bienvenue, avec les autres jeux de la franchise. La claustrophobie des couloirs et des salles fermées laisse donc ici place à un sentiment de liberté qui colle à merveille avec le thème central du récit, le complimente, voire l’amplifie. Il ne s’agit pas là pour les développeurs de céder aux chants d’une sirène du moment, pas seulement du moins, mais plutôt de donner enfin à Red Faction le décorum qu’il mérite, celui par lequel la franchise prend enfin toute son ampleur, voire même trouve son meilleur souffle. Par définition, la liberté ne peut souffrir de restrictions, et surtout pas celles de la technique. Vous ne resterez donc pas bloqué sur un mauvais passage…
Dans ce monde libre, de nombreuses missions vous attendent. Destructions de cibles, libérations de prisonniers, vols de véhicules, protections d’objectifs contre des raids de l’EDF,… Plus vous en remplirez et plus vous augmenterez le moral de la population en plus de réduire l’influence de l’occupant sur chaque zone, au nombre de six : les colons ainsi motivés par les succès de la Red Faction vous prêteront parfois main forte lors d’une mission, et une fois le contrôle de l’EDF sur une zone significativement réduit, celle-ci sera considérée comme libre. Procédez de même pour la suivante jusqu’à la libération totale de Mars. À noter que vous n’aurez nul besoin d’user de violence pour emprunter un véhicule à son propriétaire car celui-ci, reconnaissant en vous un libérateur, vous le cédera volontiers.
On peut aussi évoquer une implémentation intéressante de la technologie GeoMod caractéristique de la licence à travers des épreuves optionnelles sous forme de puzzles où vous devrez procéder à la destruction d’un building en un temps limite et à l’aide de certaines armes seulement : si la plupart restent plutôt simples, certaines demanderont une planification soigneuse et quelques-unes s’avéreront même particulièrement retorses pour vos méninges. Il vaut de citer aussi les missions de diversion durant lesquelles vous devrez attirer l’attention de l’EDF en massacrant la plus grande quantité possible d’unités adverses en un lieu donné ; à cet effet, on vous procurera le plus souvent un petit mecha pour une séquence de destruction totale particulièrement jouissive…
Une réussite incontestable du jeu vidéo de par sa variété mais aussi sa justesse dans le domaine du gameplay bac à sable, Red Faction: Guerrilla reste encore à ce jour l’opus de la série le plus abouti. Avec son récit prenant et ses missions hautes en couleurs que complimente à merveille sa technologie spécifique ici peaufinée à l’extrême, ce titre propose encore presque dix ans après sa sortie une expérience de jeu qui mérite d’être vécue.
Notes :
Trois DLCs sont disponibles. Demons Of The Badlands sert de préquelle et permet de jouer le personnage de Samanya à travers de nouvelles missions dans une zone inédite, Mariner Valley. Le Multiplayer Pack ajoute au multijoueur en ligne huit maps et deux modes de jeu, Bagman et Team Bagman, inspirés de Red Faction II. Enfin, le Smasher Pack ajoute au multijoueur local Équipe de démolition huit maps et un nouveau mode permettant d’utiliser des mechas du jeu.
La Red Faction: Guerrilla Collector’s Edition annoncée en septembre 2008 et qui devait comprendre entre autre une figurine d’un des mechas du jeu et un artbook n’a jamais été publiée mais certains contenus en ont néanmoins été rendus disponibles dans certains magasins pour des précommandes.
Un manuel du jeu a été publié au moment de la sortie du titre, qui contenait également un court comics réalisé par DC Comics revenant sur le personnage de Dan Mason et comment celui-ci devint membre de la Red Faction.
Depuis le 2 décembre 2014, le jeu est disponible sur Steam sous le titre Red Faction Guerrilla Steam Edition.
Sorti en 2011, le téléfilm Red Faction: Origins sert de séquelle directe à Guerrilla.
Red Faction: Guerrilla Volition, Inc., 2009 Windows, PS3 & Xbox 360, env. 3 €
2033. Il y a 20 ans que le monde est mort d’un suicide nucléaire. Dans le métro moscovite, les survivants ont bâti de nouvelles sociétés, entre rancœur et mauvais sang, mais aussi beaucoup de monstruosités mutantes et pas mal de phénomènes inexplicables. Et soudain, une nouvelle menace : les Sombres, une espèce dont on ne sait rien, sauf que de sa destruction dépend le salut de ce qui reste du genre humain. À la demande d’un ami, Artyom part dans les tunnels du métro pour rallier les autres survivants à cette nouvelle guerre…
Si on mesure la profondeur d’un traumatisme collectif à sa longévité, alors celui qui se trouve au cœur de Metro 2033 – l’apocalypse nucléaire – peut surprendre. Car avant ce jeu, il y a une autre œuvre, le roman éponyme de Dmitri Glukhovski qu’adapte ce titre et qui connut un succès populaire étonnant, d’abord en Russie puis dans le reste du monde. Succès d’autant plus curieux que l’ouvrage se vit en premier lieu publié sur le blog de son auteur avant d’être édité en version papier quelques années plus tard. Cette réussite auprès du public – une audience d’internautes d’abord, puis une autre plus conventionnelle – trouble car il s’agit d’un lectorat a priori plutôt jeune, du moins assez pour ne pas avoir connu la guerre froide et son corolaire, le spectre déjà évoqué de la guerre nucléaire.
Ainsi, ce traumatisme collectif dépasse le fossé des générations et va rejoindre celui des terreurs innombrables et plus ou moins conscientes autour, ou plutôt en dépit desquelles se développent les civilisations. Il dépasse le pur niveau psychanalytique en devenant partie intégrante de la culture, au sens large du terme. C’est seulement une fois ce stade atteint que l’univers de Metro 2033 peut se déployer, car à y regarder de près le moyen de l’apocalypse compte ici moins que le récit qu’il permet de raconter, or celui-ci dépend beaucoup de son monde. Et si l’ouvrage de base ne se démarque vraiment des standards du genre post-apocalyptique ni par son thème ni par son intrigue, il se montre néanmoins bien plus intéressant dans son atmosphère comme dans son ambiance.
Ce monde d’après, en effet, se caractérise par une constante sensation d’enfermement, pour ne pas dire une claustrophobie pure et simple, qui exsude du moindre moment et du moindre lieu en leur donnant ainsi une aura à nulle autre pareille. Voilà ce que sut capturer à la perfection cette adaptation en jeu vidéo. Dans Metro 2033, le béton pourrissant et les rails couverts de rouille, comme les vieux planchers grinçants et les éclairages défaillants, expriment bien plus que n’importe quelle zone de gaz toxiques ou de radiations, voire même de monstres mutants combien la vie humaine est devenue précaire, pour ne pas dire optionnelle, dans ce monde que détruisit l’Homme d’un simple coup de folie. Voilà pourquoi la survie du genre humain occupe le centre du récit comme une évidence.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on trouve à la manœuvre le studio 4A Games, né d’une séparation avec GSC Game World auquel on doit la très recommandable série des STALKER adaptée, elle, d’un autre roman russe, Pique-nique au bord du chemin (Arcadi & Boris Strougatski ; 1972), ainsi que de son adaptation en film par Andreï Tarkovski (1932-1986). Car c’est tout le savoir-faire de professionnels à l’inspiration hors du commun qui bâtit Metro 2033 : de chaque architecture, du moindre éclairage, des plus insignifiantes textures, exsude cette moisissure et cette décrépitude qui annoncent la fin prochaine d’une humanité sous assistance respiratoire. Jamais, je crois, le jeu vidéo ne parvint à retranscrire avec autant de force la fragilité de la vie humaine dans un monde mort.
Et cette lutte de tous les instants s’exprime dans nombre de mécaniques de jeu. Outre le réalisme des armes qu’il faut recharger, désormais truisme du genre FPS et auquel on ne fait plus attention, on ramasse les objets et on fouille les corps en pressant une touche au lieu de juste passer dessus ; il faut donc parfois choisir, lors d’un combat, entre s’abriter avec moins de munitions ou bien récupérer de quoi tenir plus longtemps mais au risque d’y rester. De même, on doit souvent recharger la batterie qui alimente les équipements électriques tels que la lampe frontale ou les lunettes de vision nocturne sous peine de les voir fonctionner moins bien, ou même plus du tout. L’univers du jeu lui-même d’ailleurs présente l’objet essentiel de la survie comme modèle de base, car les munitions ici servent de monnaie.
Si on peut reprocher au titre sa linéarité qui laisse peu de place à l’exploration en dépit d’un level design souvent retors, ainsi que quelques passages à la difficulté mal dosée mais tout aussi assurément incontournables, il n’en reste pas moins que Metro 2033 s’affirme comme une indiscutable réussite du jeu vidéo dans le genre post-apocalyptique : longtemps après la première partie, on languit encore de revenir à ces tunnels aussi obscurs que maudits.
Notes :
Metro 2033 est l’adaptation du roman éponyme de Dmitri Glukhovski.
Ce titre connut une suite, Metro: Last Light, par les mêmes développeurs, qui sortit en 2013.
Une version du jeu avec des graphismes améliorés et intitulée Metro Redux est sortie en 2014 sur PC, Playstation 4 et Xbox One.
Metro 2033 4A Games, 2010 Linux, Microsoft Windows & Xbox 360, environ 2€
Le monde-forge Graia est assailli par les Orks et il incombe au chapitre des Ultramarines de le délivrer de cette engeance xéno avec pour ultime priorité de sécuriser les Titans Warlords, pinacles de la technologie de guerre de l’Impérium. Mais la situation se complique soudain quand l’inquisiteur Drogan demande aux space marines de l’aider à retrouver une source d’énergie capable d’alimenter le Fléau Psychique, seule arme pouvant détruire la flotte des envahisseurs – celle-ci, en effet, tire son énergie du Warp…
Comme beaucoup de créations de son temps, une période de foisonnement et d’amalgame caractéristiques des années 80, la franchise Warhammer 40,000 ne s’affirmait pas comme très sophistiquée à ses débuts. Sur le plan visuel du moins, et en dépit du succès de son éditeur qui pouvait ainsi financer les efforts d’artistes et de créateurs de talent, cet univers encore en gestation restait balbutiant. Il faut bien commencer quelque part. Au fil du temps, toutefois, les choses s’améliorèrent, encore qu’il semble peut-être plus juste de dire qu’elles se précisèrent. À force d’écarter les mauvaises idées les unes après les autres, il ne subsista plus que les meilleures, ou en tous cas les moins pires. Et peu à peu, l’univers de ce sombre futur où il n’y a que la guerre acquit la forme qu’on lui connaît aujourd’hui.
Une forme grandiloquente et somptueuse, certes, mais aussi bien goguenarde, au moins à sa manière (1), où les hypertechnologies d’un avenir pour le moins lointain se conjuguent au post-classicisme d’un gothique fantasmé jusqu’à l’hallucination, où les fusils-laser et les épées-tronçonneuses côtoient les armures mécanisées et les bannières arborant les blasons de seigneurs de guerre que brandissent des combattants fanatiques, où des machines de guerre devenues si complexes qu’on leur applique des onguents sanctifiés pour s’assurer leur bon fonctionnement épaulent des combattants dotés de pouvoirs mentaux aux relents de magie noire. Du space opéra, en fait, et comme il se doit bien flamboyant de préférence mais ici d’une lueur de décadence et de pourriture larvée.
Car à l’instar de nombre d’univers d’heroic fantasy, ici, le souvenir toujours plus éloigné de la gloire passée ne parvient plus à dissimuler la fin inexorable d’une civilisation parvenue en bout de course. On reconnait bien là, d’une part, une attitude postmoderne dans cette manière de juxtaposer des éléments sans aucun rapport commun au départ, en l’occurrence le futur lointain et le passé tout aussi distant au moins sur le plan civilisationnel, et d’autre part une inspiration typiquement britannique dans cette façon de concevoir un univers où l’espoir presque utopique de lendemains plus beaux s’est échoué sur les récifs d’une nature humaine dont on n’attend plus rien depuis longtemps. À dire vrai, la dimension littéraire de l’univers de Warhammer 40,000 surprend plus d’une fois.
Et voilà au fond ce qu’on retrouve dans ce Warhammer 40,000: Space Marine. Non sur le plan des idées puisqu’il s’agit avant tout d’un jeu d’action mais au moins sur le plan des visuels, ou plus précisément de l’atmosphère que ceux-ci convoient, de l’ambiance qu’ils posent. Tout ici s’élève jusqu’à des hauteurs qui rivalisent avec les nuages ou plonge dans des profondeurs insondables, ou bien se couvre de bas-reliefs finement sculptés et de circuits à la complexité inouïe, ou encore se maquille d’effets pyrotechniques somptueux pour traduire toute la fureur des combats. De sorte que jouer à ce Space Marine revient à goûter une fraction au moins de la splendeur de cet Impérium qui suffit largement à laisser muet de stupéfaction le spectateur le plus aguerri.
Bien sûr, c’est là aussi que le titre trouve ses limites, car à force d’en rajouter sur la forme il perd une part non négligeable de sa substance de départ – celle d’un jeu de stratégie à une échelle assez vaste. Ainsi, les aficionados lui reprochent-ils souvent de réduire son cadre à celui d’un combattant isolé ou presque au lieu de permettre ces affrontements entre armées entières qui font tout le sel du jeu de plateau original. De plus, ce jeu de tir en vue objective devient vite un pur hack ‘n’ slash dont les mécaniques exigent d’écarter les équilibres de force entre unités adverses soigneusement élaborés par les designers de Games Workshop au long des diverses éditions de Warhammer 40,000 en faisant ainsi de votre personnage une machine à tuer capable d’exterminer une horde entière d’Orks à lui tout seul…
Hérétique pour certains, donc, mais malgré tout un jeu recommandable pour ses mécaniques classiques et donc efficaces, Warhammer 40,000: Space Marine parvient néanmoins à rester fidèle à la franchise de départ grâce à une réalisation de tout premier plan qui vaut largement le détour.
(1) Rick Priestly, dans une interview accordée le 11 décembre 2015 à Owen Duffy d’Unplugged Games et intitulée Blood, dice and darkness: how Warhammer defined gaming for a generation.↩
Notes :
Relic Entertainment recruta des spécialistes du développement console pour la création de Warhammer 40,000: Space Marine. Ceux-ci avaient notamment travaillé sur les séries Gears of War, God of War et Far Cry.
Chose rare pour l’époque, l’éditeur THQ sortit une démo du jeu environ deux semaines avant la sortie du jeu, mais uniquement pour les versions console du titre.
Deux séquelles devaient être développées mais la fermeture de THQ mit un terme à ces projets.
Plusieurs DLC ajoutèrent au jeu de base différents skins et divers modes pour le jeu en ligne avec le cas échéant des maps dédiées.
Warhammer 40,000: Space Marine Relic Entertainment, 2011 Windows, Playstation 3 & Xbox 360, environ 5€
Suite à un accident de voiture, Simon Jarret, libraire à Toronto, souffre de lésions cérébrales impossibles à traiter par la médecine connue. Alors il accepte un traitement expérimental qui consiste d’abord en un scanner de pointe. Mais une fois la procédure finie, Simon s’aperçoit qu’il est à présent au tréfonds d’un complexe ultramoderne humide et sale, dont nombre des appareils semblent ne plus fonctionner et où rôdent des machines folles. Désorienté et terrifié, il s’enfonce dans le dédale pour comprendre où il se trouve.
Mais très vite, il s’avère que la question consiste plutôt à savoir « quand »…
Une remarque récurrente caractérise les spécialistes de la science-fiction dans sa forme littéraire, celle qui qualifie les œuvres du genre sur d’autres médias comme inférieures à leur favorite. Notons malgré tout, d’une part qu’un tel sujet de discussion effleure au moins celui de la définition de la SF, soit une question toujours délicate comme le savent tous les experts évoqués ci-dessus, et d’autre part que la production littéraire en la matière ne se compose pas que de grands classiques mais aussi d’innombrables œuvres assez triviales et dont une quantité sans cesse croissante des connaisseurs ignore souvent l’existence – ce qui au fond définit tout champ culturel comme le rappelle très bien la loi de Sturgeon, par ailleurs nommée d’après un auteur fondamental du genre qui n’écrivit pas que de la SF en littérature…
Malgré tout, il paraît assez hasardeux de se lancer dans une contre-argumentation, même en évoquant que les auteurs spécialistes d’autres médias s’affirment le plus souvent comme des artistes au lieu d’écrivains, soient des gens qui fonctionnent plus à l’émotion qu’à l’intellect – et ce, bien que les écrivains eux-mêmes se laissent parfois guider par leur passion tout comme les artistes peuvent bien évidemment faire preuve de réflexions profondes eux aussi – et même en soulignant que l’ensemble de la production SF sur les médias non-littéraires montre depuis une vingtaine d’années au moins une évolution notable du fond ainsi qu’un certain apaisement de la forme – en bref, plus d’idées et moins d’action gratuite.
Pour autant, la SF hors littérature présente une qualité qui fait défaut à la SF littéraire : la popularité. En témoigne le nombre tout à fait conséquent d’œuvres se réclamant du genre même si leur succès se montre bien souvent inversement proportionnel à leurs qualités intellectuelles au sens large. Néanmoins, certaines d’entre elles parviennent à conjuguer la réflexion au spectacle bien que le second finisse presque toujours par l’emporter sur la première, avec malgré tout comme résultat de sensibiliser un certain grand public aux idées de la SF, ou du moins des idées plus récentes que les classiques voyages dans l’espace ou le temps ou bien la révolte des robots ou encore l’apocalypse nucléaire ou écologique, parmi d’autres thèmes depuis longtemps devenus truismes.
À dire vrai, alors que la SF littéraire a toujours ou presque échoué à transmettre ses idées au grand public, les autres SF, elles, y parviennent bien plus facilement. On peut citer par exemple le concept de cyberespace que popularisa la trilogie Matrix (Lana et Lilly Wachowski, 1999-2003) ou bien la notion d’anneau-monde ou plus précisément d’orbitale que la culture populaire ignorait avant la série des Halo (Bungie Studios puis 343 Industries, 2001-aujourd’hui) et pour lesquels la SF non-littéraire sut se montrer beaucoup plus pédagogue que l’autre, pourtant bien plus ancienne. En fait, la SF non-littéraire joue-t-elle bien souvent le rôle de vulgarisateur de la science-fiction, faute d’un meilleur terme.
Pour cette raison, les spécialistes de la SF littéraire se verraient peut-être bien inspirés de moins voir la SF non-littéraire comme une sous-SF venant braconner sur leurs terres pour pallier à son manque d’inspiration – même si en fait les auteurs de cette autre SF ne font le plus souvent que redécouvrir par eux-mêmes de vieilles lunes au lieu de les voler à des écrivains dont ils ignorent jusqu’à l’existence en général – et au lieu de ça la considérer plutôt comme une alliée dans la diffusion de la culture SF. Il faut savoir ce qu’on veut : soit que la SF en général participe à rendre notre monde meilleur en l’ouvrant à des idées nouvelles, soit défendre bec et ongles son bout de terrain qu’on juge peut-être à tort menacé – et d’autant plus que cette dernière attitude ressemble de plus en plus à un combat d’arrière-garde.
Ainsi SOMA nous livre-t-il avant tout une réflexion de fond sur la nature de l’identité de personnalités de synthèse, de copies d’esprits transférées dans des enveloppes nouvelles où elles finissent par devenir de nouveaux individus sans aucun rapport avec les originaux sur lesquels elles se basent pourtant. Les spécialistes auront bien sûr reconnu des inspirations de toute évidence empruntées à Greg Egan ou Philip K. Dick (1928-1982), ce dont les auteurs de ce jeu ne se cachent d’ailleurs pas puisqu’ils citent ce dernier en exergue de leur titre, et avant ceux-là des concepts philosophiques formulés pour la première fois par Descartes (1596-1650) ou peut-être même Platon (né en -428/-427, mort en -348/-347) dans sa célèbre allégorie de la caverne.
Rien que de très classique, donc, mais qui pour les profanes du genre atteint des sommets de réflexion proprement renversants, voire peut-être même ahurissants et qui illustrent très bien la notion de sense of wonder caractéristique de la la SF. Formulé autrement, SOMA réussit bien mieux à élever le niveau intellectuel de ses joueurs que toute l’œuvre réunie des auteurs de SF cités plus haut et que le gamer moyen ne lira peut-être pas ; sans oublier non plus les deux classiques évoqués et dont les réflexions ne toucheront sans doute jamais ceux d’entre nous qui n’ont pas eu la chance d’aborder la terminale et ses cours de philosophie. Quand on vous dit que sous ses dehors naïfs et simplistes, le jeu vidéo peut très bien lui aussi jouer le rôle d’objet culturel.
Pour le reste, il s’agit avant tout d’un jeu de réflexion où les puzzles occupent l’essentiel de l’espace et où l’horreur proprement dite ne prend qu’une place mineure. Sur ce point, il vaut aussi de préciser que les énigmes proposées restent raisonnablement simples et ne devraient donc pas devenir la raison de passer à côté de ce titre pour ceux d’entre vous plutôt friands d’action pure. Enfin, la réalisation se veut très correcte même si elle n’atteint pas les sommets des productions contemporaines : on apprécie malgré tout le réalisme donné aux environnements dont la direction artistique ne tombe pas dans les excès des titres qui misent tout sur une esthétique d’autant plus douteuse qu’elle se perd souvent dans des détails inutiles, voire même nuisibles.
Quant au récit, il parvient à se montrer poignant en proposant des choix difficile, pour ne pas dire cornéliens, ainsi que des situations pour le moins complexes sur le plan moral mais sans tomber dans le grand spectacle hollywoodien et racoleur ou bien la facilité d’un pathos qui flirte avec les diverses perversions de l’esprit : ici, en effet, le monde est déjà mort depuis un certain temps quand le jeu commence et les seuls véritables dilemmes qui s’offrent au joueur ne concernent pour l’essentiel que son personnage, ce qui au fond reste fidèle au concept de base de l’identité décrit plus haut. La conclusion, enfin, présente une dimension tragique qu’à ma connaissance le jeu vidéo n’a jamais vraiment abordé jusqu’ici et peut-être même jamais effleuré.
Certainement une des plus grandes réussites du jeu vidéo depuis bien longtemps, voire du jeu vidéo tout court, SOMA présente la saveur de ces classiques dont on continuera à parler longtemps, et pour d’excellentes raisons : de cette plongée au fond de l’abîme, dans tous les sens du terme, aucun joueur ne saura sortir totalement indemne.
C’est là la marque des grandes œuvres.
Notes :
Le marketing de SOMA propose plusieurs réalisations audiovisuelles et disponibles en ligne. D’abord les deux court-métrages Vivarium et Mockingbird, qui introduisent des concept-clés du récit. Puis la courte web-série Transmission qui joue le rôle de préquelle ou du moins introduit certains événements antérieurs à ceux du jeu lui-même. Une troisième production, intitulée DEPTH, devait sortir en 2016 mais on en reste hélas sans nouvelles…
SOMA Frictional Games, 2015 Windows & Playstation 4, environ 30€ neuf
En 2080, les robots occupent une place prépondérante dans la vie quotidienne. Pour éviter que cette technologie pose des problèmes, les lois internationales interdisent les machines à l’apparence humaine mais quand la société leader du domaine subit l’attaque d’un de ces simulacres, les soupçons se portent sur la firme nipponne Amada. Alors l’ONU envoie une équipe de soldats spécialisée pour mener l’enquête. Très vite, ces agents se heurtent aux forces militaires du Japon qui entretient des liens étroits avec Amada…
Ça semble couler de source : pour savoir où nous mène notre civilisation technicienne, observer les cultures les plus en avance dans ce domaine paraît assez évident. Le Japon constitue certainement le candidat idéal car bien peu de pays semblent lui arriver à la cheville sur le plan de la technique pure. Une information intéressante : sa démographie en berne doublée d’une immigration très réduite, celle-ci restant liée à une méfiance traditionnelle envers l’extérieur au sens large, rend sa population vieillissante. Ainsi la robotique domestique s’y développe-t-elle sans aucune comparaison possible avec les autres pays industrialisés. Il faut bien s’occuper des séniors après tout ; pendant ce temps-là, les plus jeunes peuvent se consacrer à leur travail le cas échéant et, plus informatif, aux loisirs.
Ces loisirs prenant toujours plus de place, il semble assez juste de dire que le progrès technique rime avec une certaine infantilisation de la société. Les individus devenant en quelque sorte indépendants les uns des autres de par cette autonomie de façade que procure la technique, ils peuvent se permettre une forme de régression sociale. Il vaut ici de rappeler que, à l’instar de la plupart des cultures asiatiques, la japonaise resta longtemps assez collective, les intérêts du groupe l’emportant sur ceux de l’individu. Ainsi, une partie de l’explication derrière la domination économique de l’archipel sur le reste de l’Asie et parfois même du monde jusqu’à la fin des années 80 – à ce moment-là, une crise sans précédent anéantit les efforts de plus d’une génération, dont les effets se font encore sentir.
Les replis sociaux induits par cette rupture précédent donc les nôtres, ceux que nous commençons à peine à observer mais qui, à y regarder de près, devaient bien apparaître tôt ou tard. En bref, nous nous trouvons bien là à l’aube des robots, pour le meilleur comme pour le pire, le premier signifiant qu’une civilisation des loisirs nous attend quelque part dans l’avenir où chacun pourra se consacrer à ce qu’il souhaite comme il le souhaite et quand il le souhaite, alors que le second, plus insidieux, veut dire que les mutations sociales précédant cette espèce d’utopie s’accompagneront de tant de sueur et de larmes qu’on se demande bien si elle les vaudra – il suffit pour s’en persuader de consulter les programmes politiques de certains candidats aux prochaines élections.
En fait, la technique reste depuis toujours la raison première derrière les révolutions sociales. Or, par définition, celles-ci arrivent rarement en douceur. En l’occurrence, et bien avant les différentes adaptations aux lois du marché que certains affirment comme inéluctables, cette technique nous rend en quelque sorte égoïstes – ce qui, au passage, arrange bien les affaires des tenants de cet ultra-libéralisme bâti sur ce qu’il y a de pire en l’humain : la perte de ces comportements sociaux qui, pourtant, permirent de fonder la civilisation. D’où l’abandon des plus anciens aux technologies de pointe pendant que cette même technique permet aux autres d’oublier le temps d’un simple divertissement – à travers une autre forme d’abandon – tout le stress, voire le burn out d’un système toujours plus élitiste et exigeant jusqu’à la névrose.
À dire vrai, ce concept du « simulacre » qu’on trouve dans Binary Domainmais que, sauf erreur de ma part, formula en premier Philip K. Dick (1928-1982) représente bien sûr une technologie si profondément immiscée dans une société qu’on ne la distingue même plus : pire qu’une technique omniprésente, le robot n’apparaît même pas comme un robot mais comme un humain ; et non seulement on ne peut le reconnaître comme un robot mais – comble du simulacre – la machine elle-même ignore en être une. Et pour en revenir à un thème déjà évoqué ici, on peut rappeler qu’au contraire de ce qu’on affirme souvent sur l’œuvre de Dick, celui-ci cherchait moins à retranscrire les difficultés à se figurer la réalité que la continuelle prise de pouvoir des intérêts privés sur les états (1).
Il vaut de préciser que le simulacre se différencie du robot « humaniforme » présenté par I. Asimov (1919-1992) dans son roman Les Cavernes d’acier (The Caves of Steel, 1954) car, d’une part, ce dernier ne doute à aucun moment de sa nature robotique mais aussi car il se trouve inféodé aux Lois de la robotique d’autre part. Dans Binary Domain, ni l’un ni l’autre concept ne se trouvent à l’ordre du jour : fidèle jusqu’au bout des moindres connections de circuit à la définition de machine, le robot, ici, se contente de suivre sa programmation et celle-ci l’amène bien souvent à tenter de tuer des humains ; quant aux simulacres, ils dépassent la notion de simples robots puisqu’ils disposent d’une intelligence artificielle forte qui leur procure non seulement une véritable personnalité mais aussi un libre arbitre.
Or, libre arbitre implique une volonté, ce qui, pour en revenir aux questionnements profondément typiques du Japon d’aujourd’hui que présente ce titre, fait bien sûr écho aux préceptes du shinto stipulant qu’il y a une âme dans toute chose. Dès lors, l’obéissance à la loi devient toute relative, et de telle sorte que le « complexe de Frankenstein » se rapproche dangereusement : pour dire vrai, il se trouve même à l’origine du scénario et va jusqu’à donner une raison derrière la rébellion des machines que j’ai rarement trouvée aussi pertinente que dans ce récit. Pour autant, il ne s’agit pas de l’unique intérêt de cette fable décidément bien moderne car, comme il arrive souvent quand on parle de simulacres, au moins un personnage n’en sortira pas tout à fait entier (2).
On peut toutefois évoquer qu’il y a derrière cette déconvenue des raisons bien plus humaines que l’évidence peut le laisser penser, ce qui nous ramène une fois de plus à ce sens du récit si typiquement nippon qu’on trouve dans Binary Domain et qui impose aux faiseurs d’histoire de développer un réel vécu des différents protagonistes afin de les rendre plus palpables, c’est-à-dire plus humains. Pour celui-ci au moins, le résultat se montre convaincant et participe pour beaucoup à l’immersion, voire à l’émotion du joueur ce dont ne s’étonneront pas les férus de productions populaires japonaises. On regrette par contre, et mille fois hélas, que les autres personnages s’avèrent bien moins intéressants, au mieux, pour ne pas dire franchement caricaturaux, au pire…
Mais il s’agit d’un détail somme toute assez mineur car Binary Domain propose surtout une narration dense que complimentent à merveille des interrogations dans l’ensemble bien pertinentes sur un sujet qui deviendra d’autant plus crucial au fur et à mesure que la technique s’appropriera toujours davantage de place dans notre quotidien : pour cette raison au moins, et en dépit d’un angle d’attaque plus métaphorique que vraiment concret, ce titre mérite d’être découvert.
(2) le clin d’œil à Armitage III (Hiroyuki Ochi, Yukio Okamoto, Satoshi Saga & Takuya Sato ; 1995), courte OVA injustement oubliée, y apparaît d’ailleurs assez évident.↩
Binary Domain Sega/Yakuza Studio, 2012 Windows, Playstation 3 & Xbox 360, environ 3€
AD 2027. Alors que la démission des états a laissé le champ libre aux multinationales, la biomécanique permet depuis peu d’augmenter les capacités de l’humain. Mais cette révolution en marche laisse bien des gens sur le bord de la route : entre les nantis, qui peuvent se payer le luxe de devenir plus qu’humains, et les exclus, qui voient leur situation se détériorer un peu plus à chaque jour, les tensions montent pendant que les premiers méprisent les seconds et que ces derniers voient les autres comme une menace.
Ancien policier, Adam Jensen travaille comme chef de la sécurité pour Sarif Industries, une multinationale leader sur ce marché des augmentations qu’il n’apprécie guère. Après une attaque des locaux de Sarif par une organisation terroriste inconnue durant laquelle son ex-fiancée trouve la mort et qui le laisse très diminué, Adam doit accepter de se faire augmenter pour pouvoir continuer à travailler. Sitôt de retour à son poste après des mois de rééducation, une nouvelle alerte le renvoie sur le terrain : une usine de Sarif est aux mains d’un groupe anti-augmentation qui menace de tout faire sauter en tuant le personnel, et très vite un lien bien net apparaît entre ceux-là et les mercenaires qui ont attaqué Sariff quelques temps plus tôt…
Vu comme la résurrection d’une franchise jugée morte et enterrée depuis le fiasco tant public que critique de Deus Ex: Invisible War (Ion Storm ; 2004) dont le principal défaut, à mon sens, est surtout qu’il s’agit de la suite d’un titre considéré comme un des plus révolutionnaires de l’industrie du jeu vidéo, Deus Ex: Human Revolution reste avant tout une excellente réalisation. D’abord pour ses mécaniques de jeu, toutes très actuelles, ensuite pour son univers, qui illustre avec brio les tendances d’aujourd’hui tout en les prolongeant à travers une sensibilité et une finesse d’esprit rarement égalées dans le domaine, et enfin pour la manière dont ces deux éléments se combinent afin d’illustrer certaines préoccupations de notre époque.
Pour cette raison, il ne paraît pas très utile de se pencher en détail sur le game design du titre qui, à y regarder de près, n’invente rien et au lieu de ça recycle tout ou presque, mais avec intelligence et une certaine subtilité malgré tout, notamment en sachant briser le mur séparant les genres – je pense bien sûr au passage à la troisième personne pour les séquences d’infiltration. De même, il y a peu d’intérêt à examiner les éléments cyberpunk de l’univers du jeu puisque, dans les grandes lignes, ils ne présentent rien de vraiment original, que ce soit pour les lecteurs de science-fiction ou pour les gamers dont les œuvres de prédilection s’inspirent souvent des récits du genre depuis près de 30 ans à l’époque de la sortie de Human Revolution.
Au lieu de ça, il semble plus juste de regarder en détail comment ce nouveau Deus Ex combine ses mécaniques de jeu à son univers pour offrir une réflexion de fond sur un des sujets les plus brulants de l’actualité de ces dernières années – comme le fit en son temps Bioshock (Irrational Games ; 2007) quoique sur un terrain intellectuel radicalement différent – : je veux parler de la vaste esbroufe de ce qu’on appelle le transhumanisme. Car même s’il s’agit là encore d’un thème déjà examiné depuis longtemps dans la fiction spéculative, il connaît depuis peu et en raison des grandes avancées récentes dans le domaine un regain d’intérêt inversement proportionnel à l’absence de réflexion qu’il devrait pourtant susciter.
Je rappelle à toute fin utile que le transhumanisme présente rien de moins comme but avoué d’améliorer l’homme à l’aide de toutes les avancées possibles de la science et de la technologie afin, selon les dires des plus exaltés dans le domaine, de donner à l’humanité les rênes de sa propre évolution. Bref, de jouer à Dieu, pour simplifier à l’extrême. Tout le problème étant, comme à chaque fois qu’on aborde un tel sujet, qu’on ignore encore tout ou presque du premier concerné. On a vu dans un passé pas si lointain comment l’eugénisme bascula sans crier gare dans des horreurs sans nom quand certains imposèrent leur point de vue à d’autres qui n’en demandaient pas tant, et pour ainsi dire rien du tout.
Si sur le plan biologique la définition de l’humain, et par conséquent du plus qu’humain, se fait toujours plus précise à chaque nouvelle avancée de la science, elle reste bien moins claire sur le plan intellectuel. La notion de l’intelligence même demeure sujette à caution, pour dire le moins, la preuve étant que les intelligences artificielles restent encore à venir, et peut-être même pas avant un futur bien lointain, au mieux (1). En fait, le transhumanisme prétend améliorer ce qu’il ne comprend pas. La question qui s’ensuit, et qu’on connaît bien depuis les abominations nazies au moins (2), est donc de savoir sur quels critères améliorer l’homme bien avant de savoir si on peut l’améliorer tout court – le modifier ne pose aucun problème.
Et sur ce sujet, Human Revolution se montre d’une clairvoyance rare, car si les modifications que subit Adam Jensen augmentent bel et bien ses capacités physiques, on ne peut en dire autant de ses capacités intellectuelles. La preuve en est que tout le long de l’aventure, le personnage se conduit comme il doit se conduire : il s’agit avant tout d’un bon chien de garde – l’expression vient du jeu lui-même – qui obéit scrupuleusement à ses maîtres car incapable de remettre leurs ordres en question ; et même quand il parvient à douter du bien-fondé de leurs motivations, il n’en continue pas moins sa mission comme si de rien n’était, bien qu’avec une réflexion différente moins liée à ses augmentations qu’à son expérience personnelle.
En fait, Human Revolution démontre surtout que la curiosité et le libre-arbitre, soient deux éléments que non seulement la technologie reste bien loin d’améliorer mais qui de plus constituent les principales qualités de l’humain depuis l’aube des temps (3), demeurent encore et toujours hors du propos du transhumanisme – et pour cause : à force de se focaliser sur les éléments purement mécaniques du corps humain, il ignore tout de leur fonctionnement. Comme le docteur Moreau sur son île, les transhumanistes planifient depuis leur tour d’ivoire de transformer des animaux en humains tout en oubliant que les premiers ne possèdent pas ce qui fait l’apanage des seconds. En d’autres termes, des béquilles ne guérissent pas un homme d’une jambe cassée, seule la nature le peut.
Sans conteste une des plus grandes réussites du jeu vidéo de ces 10 dernières années au moins, Human Revolution s’affirme donc aussi comme une œuvre au sens le plus abouti du terme et qui à force de poser les bonnes questions apporte ainsi les bonnes réponses. Pour sa description d’un futur bien près d’advenir où la lutte des classes aura atteint un niveau supérieur d’horreur dans ses mutations permanentes, comme pour sa dénonciation de l’absurdité d’une doctrine infondée de par son incapacité structurelle à répondre à notre seul véritable besoin, et que subliment des mécaniques de jeu tout à fait en phase avec un récit illustrant nombre des préoccupations d’aujourd’hui, ce titre mérite bien plus que de figurer dans votre ludothèque.
(2) on pourrait remonter presque un siècle plus tôt avec l’élaboration de la théorie de l’évolution de Charles Darwin (1809-1882) qui ouvrit bien malgré elle et son auteur la voie vers l’eugénisme.↩
Ce titre est une préquelle de Deus Ex (Ion Storm ; 2000) dont les événements se déroulent 25 ans avant le jeu original. De plus, Human Revolution propose plusieurs titres liés : Deus Ex: The Fall (Eidos Montréal ; 2013) se situe en 2027 et fait suite au roman Deus Ex: Icarus Effect (James Swallow ; 2011) qui sert de préquelle à Human Revolution ; quant à Deus Ex: Mankind Divided, toujours développé par Eidos Montréal, il s’agit de la véritable suite de Human Revolution dont les événements ont lieu en 2029 et qui doit sortir le 23 août.
En raison du nombre important de bugs de l’édition originale, ainsi que de restrictions dans les mécaniques de jeu, notamment lors des phases d’infiltration, le lecteur intéressé se verra bien inspiré de se pencher sur la version Director’s Cut à la place. Sortie en 2013, celle-ci contient le DLC The Missing Link et allonge la durée de vie d’environ une demi-douzaine d’heures.
Une adaptation du jeu en film est prévue par Eidos Montréal et CBS Link, qui doit être réalisée par Scott Derrickson. Aucune date de sortie n’a été annoncée pour le moment.
Deus Ex: Human Revolution Eidos Montréal, 2011 Windows, Playstation 3 & Xbox 360, environ 5€
Quel anniversaire pour Jackie Estacado ! Voilà que le jour même de ses 21 ans, son « oncle » Paulie Franchetti, un parrain new-yorkais qui l’a adopté alors qu’il était encore enfant, tente rien de moins que de le faire assassiner. Mais Jackie trouve soudain un allié de poids, The Darkness, une entité de magie noire aussi ancienne que le temps, qui se lie à lui sans aucun retour possible. Alors quand la guerre des gangs explose dans les bas-fonds de New-York, elle coûtera à Jackie ce qu’il a de plus cher…
S’il fallait retenir une chose en particulier de The Darkness, son ambiance viendrait certainement en premier. Car on trouve dans ce titre tout ce qui fait la saveur du polar noir, ou tendance hard boiled selon les affinités, et en particulier les grandes quantités d’hémoglobine qui accompagnent presque toujours les récits du genre. Avec son atmosphère glauque, ses personnages qui – à l’exception d’un seul – appartiennent tous à la mafia de près ou de loin, ses flics pourris jusqu’à la moelle, son décorum de ruelles sombres où la poudre a toujours le dernier mot, et puis son personnage principal qui ne fait pas grand-chose pour se sortir de là, The Darkness compte parmi les grandes réussites du domaine sur le média du jeu vidéo.
Et à ceci, il faut encore ajouter sa dimension fantastique aux assez nets accents gothiques, qui flirte presque avec la fantasy urbaine tout comme avec une certaine évolution du genre super-héros, celle typique des années 90 où ce genre-là connut une plongée en apnée au tréfonds d’abysses de ténèbres. D’ailleurs, et à bien des égards, The Darkness rappelle beaucoup le travail de Frank Miller, en particulier sur Daredevil (1981-1983) et puis, bien sûr, Batman : Dark Knight (Batman: The Dark Knight Returns ; 1986). Car The Darkness, cette entité démoniaque qui se lie à Jackie ce soir où son destin bascule, partage avec lui ses pouvoirs, une magie noire prodigieusement ancienne qui fait de lui un véritable surhomme.
Au départ, ces facultés lui permettent de déployer une paire de bras supplémentaires en forme d’épais tentacules terminés par des gueules de serpent capables de tuer n’importe qui d’un seul coup comme de s’infiltrer dans de petits passages pour reconnaître les lieux ou déclencher un mécanisme. Par la suite, alors que se raffermit le lien entre The Darkness et Jackie, celui-ci peut utiliser d’autres facultés : un troisième tentacule lui permet d’empaler les adversaires ou de déplacer les objets obstruant un passage, puis une paire de pistolets puisant leur énergie dans les ténèbres lui servent pour l’un de shotgun alors que l’autre tire de loin, et enfin rien de moins que l’invocation d’un trou noir…
Mais on peut aussi invoquer des darklings, sortes de petits démons qui épaulent Jackie en s’occupant du menu fretin et auxquels il peut désigner une zone en vue où se rendre. Ceux de base se contentent d’agresser au corps-à-corps les adversaires à proximité alors que d’autres tirent à la mitrailleuse lourde et qu’un troisième type joue le rôle du kamikaze en se faisant exploser. La dernière variété de darklings, elle, sert pour l’essentiel à détruire les sources de lumière. Car The Darkness doit rester dans l’ombre, là où se trouve l’origine de sa puissance : pour cette raison, la plupart des lumières du jeu sont destructibles et Jackie se verra bien inspiré d’user et d’abuser de cette fonctionnalité.
Le reste des mécaniques de jeu, quant à elle, se réclament du monde ouvert, ou du moins semi-ouvert. Jackie y croisera divers personnages plus ou moins liés à l’intrigue centrale et qui lui confieront différentes quêtes, optionnelles ou non. Celles-ci l’amèneront à arpenter des rues toujours plongées dans la nuit et où l’attendront toutes sortes d’épreuves plus ou moins ardues : nettoyage par le vide, destruction d’objet compromettant, récupération de témoins à faire taire, etc. En plus de permettre la progression du récit, ces missions servent aussi à débloquer des bonus mais surtout, et voilà pourquoi on les accepte, à plonger à chaque fois plus profond dans l’ambiance toute de noirceur qui caractérise The Darkness.
Sur ce point, il faut ici mentionner les Enfers, faute d’un meilleur terme. Jackie, en effet, se retrouvera dans une réalité infernale aux allures d’un vaste champ de bataille de la Première Guerre mondiale peuplé de zombies et de machines de mort, et où lui seront révélées une partie au moins des origines de The Darkness. Ce monde parallèle, dont on ne sait jamais vraiment ni où ni quand il se situe, et qui au moins sur le plan conceptuel rappelle assez le niveau final de Painkiller (People Can Fly ; 2004), brille par ses qualités artistiques où s’exprime une plasticité et une créativité d’un niveau rarement atteint dans le jeu vidéo comme ailleurs et qui raviront ceux d’entre vous friands d’horreur, dans tous les sens du terme.
Pour ses mécaniques de jeu, qui permettent une bonne variété d’approches d’une même situation, comme pour son récit, qui surprend plus souvent que le contraire, en particulier à travers une ménagerie de personnages tous bien cernés à défaut de se montrer vraiment originaux, mais aussi pour son atmosphère qui s’appesantit toujours plus à chaque nouvelle douille vidée, The Darkness compte. Non comme une de ces œuvres centrales responsables d’une évolution majeure du genre, mais tout simplement comme un titre jouissif, tant sur le plan du pur jeu que celui de son histoire ainsi que, au risque de me répéter, de son ambiance dont les sommets de noirceur continuent à habiter le joueur pendant longtemps.
L’humainté s’est alliée à dix autres races pour former les membres de l’Alliance de coopération galactique inter-espèces, et a soumis la première et la troisième section de la région galactique de Formiton. Les énormes différences de culture et de politique provoquèrent au début des conflits entre les membres de l’Alliance, mais petit à petit ces disparités s’estompèrent et la paix s’instaura pour de bon.
Cependant, les attaques acharnées et sans distinction d’un nouvel être vivant, inconnu jusqu’alors, détruisit ce sentiment de paix. L’Alliance nomma ces assaillants « l’Armée SEED » et créa l’ASDF (Force de Défense Anti-Seed) afin de stopper la menace qu’ils représentaient.
La lutte durait déjà depuis trois ans…
Curieux objet que ce The Seed: Warzone, qui mélange la gestion et les affrontements en temps réel d’une manière assez inattendue car la première, ici, se fait en quelque sorte en décalage des seconds. Le titre présente en effet comme particularité de permettre la création des unités de combat – des navires de guerre – entre chaque mission comme pendant celles-ci : à partir de châssis de base de taille et de poids différents, le joueur peut non seulement combiner les divers éléments à sa disposition pour composer le vaisseau de son choix mais aussi déterminer son comportement lors des combats à travers un plan de bataille – dans ce cas un ensemble d’instructions simples qui se combinent.
Pour la première partie de cette conception, il s’agit des propulseurs, des systèmes de détection et d’acquisition des cibles et bien sûr des armes, ainsi que des éléments plus ou moins optionnels tels que moteurs auxiliaires ou réserves de chasseurs et de bombardiers, parmi d’autres. Une fois cet assemblage planifié en un design qui vient rejoindre une liste, il s’agit de donner à l’unité un comportement général à travers la combinaison de plusieurs autres plus spécifiques qui s’actionneront au cours d’un affrontement selon divers facteurs comme la proximité ou la position des cibles, leur état général ou celui des vaisseaux conçus et d’autres données telles que les altitudes des unités qui combattent ; vous pouvez aussi planifier si un appareil doit accentuer ses attaques ou au contraire rester en retrait.
Cette dernière fonctionnalité devient vite déterminante car les capacités du navire ne peuvent se voir pleinement exploitées que par le plan de bataille adéquat. Ainsi, un appareil très résistant et lourdement armé pourra se montrer très pugnace alors qu’un autre plus léger et plus fragile devra se montrer moins agressif. Tout dépend donc de quelle manière vous comptez l’exploiter au combat. Cette liberté de choix s’affirme d’entrée comme l’élément distinctif du jeu : à la différence d’un titre comme Metal Conflict (Zono Inc., 2000) qui ne permet de créer des unités personnalisées que dans le feu de la bataille, The Seed… laisse le joueur souffler durant cette conception qui demande une certaine concentration.
Cette volonté de laisser le joueur réfléchir posément à la conception de ses unités se retrouve aussi dans le système de pause automatique qui s’actionne dès qu’on entre dans le menu de design de vaisseaux au cours d’une mission : ainsi détaché de l’urgence permanente qui caractérise les jeux de stratégie en temps réel, on peut penser sereinement à comment répondre aux besoins spécifiques de la mission en cours. Une fonctionnalité tout à fait salutaire, croyez-moi sur parole, car ces designs de navires peuvent vite se montrer complexes : par exemple, les missions se déroulant toujours à la surface d’une planète, vous devrez tenir compte des élévations du terrain pour déterminer le nombre de flotteurs anti-gravité dont il faudra équiper vos engins…
Hélas, toute cette personnalisation reste assez en retrait pendant la première partie d’à peu près chaque mission car, pour des raisons qui me restent encore obscures, on ne peut modifier les unités des personnages-héros, ceux autour desquels s’articule le récit du jeu. D’un nombre allant de trois à six en fonction de votre progrès dans le scénario, celles-ci restent en effet immuables et comme leur plan de bataille démontre une stupidité affligeante, elles servent avant tout de chair à canon pour contenir les navires adverses le temps de produire les vôtres, ceux que vous avez conçus et qui correspondent donc à votre style de jeu. Cet aspect rend hélas le jeu un peu poussif et demande donc une certaine patience de la part du joueur.
Pour le reste, on apprécie beaucoup les affrontements visualisés à travers une séquence cinématique en temps réel de grande qualité durant laquelle on peut contrôler la caméra pour profiter au mieux du spectacle. Ces passages se présentent vite comme un des points forts du titre et rappellent bien sûr les scènes de combat des productions de type space opera les plus tapageuses – insérez ici la référence de votre choix. On aurait néanmoins apprécié de pouvoir passer ces séquences, ou du moins les mettre en pause pour donner des instructions à d’autres unités avant de les oublier… À noter malgré tout que ces séquences ne durent pas plus de 140 secondes pour éviter qu’un affrontement s’éternise entre deux escouades de force équivalente.
Il ne paraît pas nécessaire de s’étendre sur les aspects narratifs du jeu puisqu’il s’agit d’un récit pour le moins linéaire où les seules options qui s’offrent au joueur concernent l’ordre des technologies à développer pour affiner la conception de vos unités : nouvelles armes, senseurs améliorés, boucliers protecteurs, etc. Ces systèmes supplémentaires demandent chacun une certaine quantité de monnaie obtenue à la fin de chaque mission selon vos résultats. Il vaut de mentionner que ce système s’avère assez punitif : vous vous verrez donc bien inspiré de penser vos designs avec une grande attention pour en assurer la survie au cours d’une bataille, un autre aspect qui renforce la dimension conception du jeu.
Classique sur le fond mais bien assez original sur de nombreux aspects, The Seed… s’affirme vite comme une expérience de jeu inhabituelle qu’un seul véritable défaut hélas assez prégnant peut rendre plutôt frustrant. À vous de voir, donc, si vous pouvez passer outre…
The Seed: Warzone Artdink, 2001 Playstation 2, env. 3 €
Dans le royaume aux neiges éternelles de Sabine, la paix règne grâce à la seule présence du prince qui veille sur son peuple. Pourtant, ses nuits sont souvent agitées du même cauchemar où une silhouette sombre menace d’assassiner la jeune prisonnière d’une tour située non loin.
Bien déterminé à venir en aide à la jeune fille, le prince s’aventure seul dans les neiges sans fin hantées par les esprits des morts. Il ignore encore que l’aventure dans laquelle il se lance lui fera découvrir sur son passé familial, ses origines ainsi que son destin bien des faits qu’il aurait préféré ne jamais savoir… Mais aussi qu’il réveillera sans le vouloir des forces obscures qui menaceront tout le royaume de Sabine : c’est bien là le prix du péché à expier après tout – mais à qui en revient la faute originelle ?
Souvent présenté comme le pendant moderne des légendes médiévales et des récits mythologiques (1), le genre de la fantasy présente néanmoins une différence de taille avec les précédents en ce qui concerne la place donnée à la magie et à l’action en général : peut-être influencée par des productions bien plus contemporaines et plus axées sur les visuels que les aspects littéraires, comme le cinéma et la BD, la fantasy tend souvent à une certaine surenchère en effets spéciaux qui, à l’instar des blockbusters, ne parvient qu’avec difficulté à dissimuler une certaine vacuité de fond. La substance du rêve, du merveilleux – au sens classique du terme – et l’invitation au voyage, extérieur comme intérieur, que suscitent des textes plus anciens en semblent absents.
Pour cette raison, beaucoup voit dans la fantasy une sorte de succédané, un ersatz des légendes d’antan qui, il vaut de le souligner, ne furent pas la plupart du temps écrites par une seule personne isolée mais au contraire le fruit d’une tradition orale qui à chaque nouvelle génération enrichissait le récit de départ avec de nouvelles idées et thèmes, au point d’en faire après un certain temps d’une telle maturation une œuvre bien plus profonde qu’un auteur isolé aurait pu espérer obtenir pendant la seule durée de sa propre vie. Formulé autrement, en empruntant leur substance tant littéraire qu’intellectuelle à des mythes plus anciens et donc fondateurs, ces fables s’assuraient ainsi l’éternité, faute d’un meilleur terme.
Star Stealing Prince s’abreuve aux mêmes sources, les contes et légendes traditionnels, qu’il transforme juste ce qu’il faut pour que leur substance apparaisse moins que ce qu’elle se fait ressentir – signe évident de cette subtilité d’esprit qui différencie les véritables œuvres littéraires des autres. Voilà pourquoi ce récit consiste bien moins au final en une invitation à l’épopée, avec tout ce que ce terme peut supposer de grand spectacle racoleur, que d’une autre balade en féérie, ou du moins une terre tout à fait semblable, ce qui n’a pas de prix, en tous cas pour ceux d’entre nous biberonnés aux épopées arthuriennes et autres Branches du Mabinogi, parmi d’innombrables récits des folklores d’Europe.
Bien sûr, les plus tatillons ne manqueront pas de souligner que le récit, parfois, s’égare dans des directions inutiles, ou bien qu’il ne résout pas tous les mystères qu’il pose, ou encore que certains détails de la narration semblent en contredire d’autres. On en trouve des comme ça, qui s’attachent bien plus aux apparences que ce qu’elles convoient – ces ressentis et ces émotions qui font la substance des Arts et des Lettres. D’autres lui reprocheront de se montrer trop directif, de ne laisser que bien trop peu de place aux choix du joueur, en oubliant par là même qu’un écrivain reste avant tout un tyran : on le suit ou pas mais il demeure le maître de son univers, de son rêve, de son jeu – et ceux-là ne se partagent pas toujours facilement…
Enfin, il y a ceux-là, les plus tristes certainement, qui diront qu’un titre conçu sur RPG Maker ne peut, de fait, rien proposer d’intéressant, comme si le flacon comptait plus que l’ivresse ; il n’y a hélas rien à leur répondre, sauf peut-être en leur suggérant des réalisations dignes d’intérêt – comme Star Stealing Prince, justement… Pour les autres, tous les autres, il reste une œuvre bien assez unique en son genre et tout à fait admirable sous de nombreux aspects, qu’aucun esprit curieux ne saurait manquer.
Et comme en plus de ça, c’est gratuit, vous n’avez vraiment aucune raison de passer à côté…
(1) Marc Duveau, L’Épopée fantastique, introduction à La Citadelle écarlate (Pocket, coll. Le Livre d’or de la science-fiction n° 5055, 1979, ISBN : 978-2-266-00758-0).↩
Notes :
Ceux d’entre vous qui seront tombés sous le charme de Star Stealing Prince pourront poursuivre la balade à travers sa suite officielle, Ephemeral Prince, un web novel qui fait suite à chacune des deux fins du jeu original.
Star Stealing Prince remporta en 2013 pas moins de huit Misaos, la distinction de référence dans la communauté RPG Maker, dont celui de Jeu de l’Année.