Août 2023. Une épidémie d’origine inconnue décime la population de New York. Alors que des milices privées tentent de maintenir un semblant d’ordre, l’armée charge l’équipe Omega One d’extraire le docteur Nathan Gould qui détient des informations importantes sur le virus. Mais des assaillants mystérieux massacrent les soldats dont un seul d’entre eux survit, sauvé par un combattant équipé d’une étrange combinaison. Condamné par le virus, celui-ci fait don de son matériel de pointe à l’unique survivant d’Omega One.
En toute franchise, je n’aime pas Crysis (Crytek, 2007). Sous bien des aspects un héritier de Far Cry (même studio, 2004), il en reprenait les concepts de base – les mécaniques de jeu comme une bonne partie de l’environnement – mais sans en corriger les défauts pour autant, voire parfois même en les amplifiant. Une fois ajoutée la complexification du game design par l’introduction de la nanocombinaison, au demeurant un élément tout à fait intéressant sur le papier mais dont l’implémentation souffrait de contrôles peu intuitifs, le jeu devenait vite une corvée que son récit à base d’intrigues nord-coréennes et saupoudré d’une menace d’invasion extraterrestre ne pouvait parvenir à sauver. Le titre rencontra néanmoins son succès, tant public que critique.
Avec celui-ci vint logiquement une suite, cette fois pensée pour le marché des consoles de salon et donc assez simplifiée tant au niveau du level design que des contrôles compte tenu des limitations matérielles de ce type de support. De cette épuration d’un certain agrément au final plutôt accessoire sortit un titre peut-être un peu moins exigeant, ou plutôt moins permissif, mais surtout bien plus digeste. Voilà un principe de base de la conception de jeu : si un élément n’est pas nécessaire, il est certainement superflu – ce que les créateurs de jeux vidéo oublient souvent, peut-être en raison des facilités que permet le matériel informatique en comparaison de l’analogique : je pense en particulier au cas des jeux de plateau.
Bien sûr, les fans du premier Crysis ne le virent pas ainsi et très vite après la sortie du jeu, les complaintes habituelles saturèrent les relais d’information dédiés. Rien de nouveau sous le soleil. On peut néanmoins souligner que cette suite d’un titre devenu une référence dans son genre illustre un cas d’école toujours plus récurrent avec le succès croissant du jeu vidéo auprès d’une audience pas forcément profane mais néanmoins plus soucieuse du pur plaisir de jeu que de la performance. Si certains n’hésitent pas à affirmer que cette popularisation du jeu vidéo implique sa dégradation, il vaut de noter qu’un tel processus concerne tous les médias, quels qu’ils soient, dès que ceux-ci sortent du registre du confidentiel pour toucher le grand public…
On peut malgré tout s’accorder sur le fait qu’un autre aspect du titre présente, lui, une maturation certaine : son récit, ici scénarisé par l’auteur de science-fiction Richard Morgan dont les sensibilités intellectuelles trouvent là une place de choix pour s’exprimer. Outre ses nombreux rebondissements, somme toute assez attendus dans ce type de production, Crysis 2 propose ainsi quelques réflexions, sommaires mais néanmoins bien présentes, sur certains concepts typiques du transhumanisme en plus d’orienter les éléments de base du premier opus de la série dans une direction pas forcément originale mais en tous cas bien moins clichée. On apprécie en particulier comment l’antagoniste principal y prend un visage tout à fait… humain.
Plus qu’une simple suite, Crysis 2 s’affirme avant tout comme une évolution d’un titre en fait moins novateur dans ses mécaniques que dans sa technique. Pour son emphase sur le plaisir de jeu et sur l’ambiance, ainsi que pour son récit porteur d’idées rafraichissantes et substantielles, le successeur surpasse bel et bien l’original sur les plans principaux, ceux qui en font une expérience méritant votre temps.
Des machines folles arpentent un monde dévasté. Rongées par la Ruine, une seule idée les obsède : trouver Casshern, dont on dit que celui qui goûtera sa chair vivra pour toujours. Mais on dit aussi que Casshern tua le soleil appelée Luna, précipitant ainsi le monde à la Ruine. Casshern, lui, ne se souvient de rien. Errant sur les terres mortes, craint des hommes et proie des robots dont il ne laisse que des monceaux de carcasses derrière lui, il découvrira peu à peu quel péché il doit expier…
Une métaphore frappe dès les premières images de Casshern Sins : celle du Japon de ce début de siècle où les mirages de la technique issus de la croissance d’après-guerre laissent désormais place à un champ de ruines sur le plan social. Une thématique assez récurrente dans les fictions des pays industrialisés mais qui prend dans celles de l’archipel une place toujours plus prépondérante. Les japonais, après tout, ne voulurent jamais vraiment de cette technique pour commencer et seule leur défaite qui marqua la fin de la guerre du Pacifique les poussa à l’accepter. Malheur aux vaincus. Ici, ce malheur se caractérise par la déchéance des traditions face au rouleau compresseur d’un modernisme dont les limites, pourtant, se firent voir bien plus vite que celles du modèle précédent.
C’est une différence de taille entre cette itération de Casshern et ses versions précédentes, chacune d’elle ou presque se réclamant du genre Super sentai ou du moins quelque chose de ce goût-là. Dans Sins, ce qui arriva avant le meurtre de Luna importe en fin de compte assez peu, de même que les origines de Casshern d’ailleurs, et seule compte la situation immédiate. Un éternel présent où les machines aussi peuvent mourir et les humains se réduisent à des ombres vivant comme des rats entre les restes d’une civilisation technicienne trop arrogante pour durer. Ici, et au contraire de ce que dépeint l’univers d’un Bullet Armors (MORITYA, 2010), le système technicien lui-même devient victime de la décomposition sociale qu’il provoque.
D’où le rythme narratif de l’œuvre. Mélancolique dans la tragédie décrite et définitivement contemplatif, il ne laisse à l’action pure que le minimum vital pour souligner les enjeux du récit et la tension de la situation de chaque protagoniste. Désormais seul immortel dans un monde à l’agonie, Casshern ne s’interroge pas sur l’intérêt de cette spécificité au sein d’un tel contexte et au lieu de ça apprendra à renouer avec la figure du héros qu’il incarne. Les robots, eux, désormais mortels, comprendront en quoi cette nouvelle situation les rapproche de leurs créateurs et ainsi les libère de leur servitude autrement que par la révolte simpliste et somme toute réactionnaire. C’est bien connu : tout au fond des ténèbres se trouve la lumière…
Quant aux images proprement dites, elles font preuve d’un style graphique pour le moins surprenant et qui sous bien des aspects renoue avec les racines de la franchise Casshern tout en les sublimant. Minimaliste et bien loin des poncifs du genre super-héros dont le Super sentai n’est jamais qu’un avatar parmi d’autres, il présente un protagoniste principal presque filiforme et des machines aux allures de faux cartoons sans laisser la moindre place à quel que réalisme que ce soit, peut-être pour mieux souligner l’aspect métaphorique décrit plus haut, ou plus simplement pour écarter davantage cette technique dont le réalisme pictural est souvent le but, voire le prétexte. Quoi qu’il en soit, si le résultat étonne d’abord, il charme très vite avant de finir par s’imposer comme une évidence.
Grande réussite de cet exercice toujours délicat qu’est le remake, Casshern Sins compte parmi ces succès de l’animation japonaise qui méritent bien plus qu’un simple coup d’œil. Vous en passer manquera certainement à votre culture et à votre plaisir de spectateur avisé.
Les cendres de la guerre civile Davion-Steiner fument encore quand surgit une nouvelle menace pour la Sphère Intérieure. La Parole de Blake, une faction fanatique issue d’un schisme dû à une réorientation radicale de la Comstar, se prépare à lancer un djihad qui n’épargnera aucun hérétique. Et soudain, le monde d’Hélios cesse toute communication. Alors qu’un vaisseau des Dragons de Wolf commandé par Natalia Kerensky descend sur la planète pour investiguer, le navire est abattu et son équipage cloué au sol…
Poursuivant la simplification des contrôles qui rendit Mechwarrior 4 (FASA Interactive, 2000) bien plus accessible que n’importe lequel des opus précédents de la franchise, MechAssault en fit peut-être trop. Car en abandonnant complétement l’aspect simulation de la licence pour entrer de plein pied dans l’arcade, ou quelque chose comme ça, ce titre perdit ainsi ce qui faisait pourtant la substantifique moelle de Battletech (FASA Corporation, 1984) : la reconstitution de combats de mechs et ce, dans les moindres détails – peut-être un peu trop d’ailleurs puisque une partie du jeu de plateau original pouvait prendre plusieurs heures. Si la série Mechwarrior était parvenue à un juste équilibre entre jouabilité et fidélité à l’œuvre de départ, MechAssault, de son côté, semble ne se soucier ni de l’un ni de l’autre.
Non qu’il s’agisse d’un mauvais jeu, loin de là à vrai dire, mais juste qu’en dehors de certains éléments caractéristiques de l’univers de Battletech et qui se situent avant tout dans le récit du jeu, rien ne permet vraiment de relier ce titre à la franchise prise dans son ensemble. En fait, tout porte à croire que les développeurs de Day 1 Studios ne savaient pas vraiment quoi faire du matériel à leur disposition. Entre les noms et les configurations de battlemechs fantaisistes, le scénario apocryphe et la jouabilité générale résolument orientée action à grand spectacle au lieu de miser sur une tactique élaborée, d’autant plus que le joueur se retrouve presque toujours seul devant des ennemis d’ordinaire très nombreux, il paraît difficile à un fan de Battletech d’y trouver ce qu’il cherche.
Pour autant, MechAssault ne déçoit pas. Car en passant sur console de salon, dont il adopte les codes à la perfection, le titre s’affirme surtout comme sa propre franchise à défaut d’une réinvention de la série sur un support différent. Avec sa jouabilité qui fait la part belle aux effets spéciaux, surtout les pyrotechniques, et la destruction à grande échelle, notamment en milieu urbain, ce jeu procure un pur plaisir de gamer. Et si on ne passe plus d’heures à peaufiner la configuration de son mech’, on se rattrape sur la variété des designs mis à disposition en avançant dans la campagne. D’ailleurs, il faut préciser que le titre ne force pratiquement jamais l’utilisation d’un type de mech’ plutôt qu’un autre, laissant ainsi le joueur libre d’utiliser sa propre technique de pilotage pour mener à bien la mission.
S’il fallait oser de vouloir simplifier Battletech à ce point-là, force est de constater que MechAssault réussit son pari, non de restituer l’expérience de la franchise originale mais plutôt de proposer un jeu de mecha aussi agréable que bien pensé et, surtout, très fun.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale – et en particulier au cours de la dernière décennie – la science fiction japonaise a fortement influencé la culture populaire. Au contraire de la science fiction américaine et anglaise, ses exemples les plus populaires ont été visuels, depuis Gojira (Godzilla) et Astro Boy dans les années 1950 et 1960 aux chef-d’œuvres de l’animation Akira et Ghost in the Shell des années 1980 et 1990, alors que peu d’attention était portée à la science fiction en prose au Japon. Robot Ghosts and Wired Dreams remédie à cette négligence à travers une profonde exploration du genre qui connecte la science fiction littéraire à celle contemporaine en animation. Examinant un ensemble remarquable de textes – depuis le polar fantastique de Yumeno Kyusaku à la franchise interculturelle de films et de jeux vidéo Final Fantasy – cet ouvrage établit fermement la science fiction japonaise comme un genre aussi crucial que passionnant.(1)
Ce recueil d’articles d’universitaires américains et japonais, dont la plupart parurent dans l’éminent Science Fiction Studies et qui se voient ici repris sous la direction de Christopher Bolton, Istvan Csicsery-Ronay Jr. et Takayuki Tatsumi, explore les tout débuts de la science-fiction japonaise depuis les premiers exemples en prose des années 30 pour suivre son évolution jusqu’à nos jours en passant par ses mutations de l’après-guerre et des années 60 et 70. L’ouvrage fait en seconde partie les liens entre cette science-fiction littéraire et ses différentes incarnations audiovisuelles contemporaines en tâchant de montrer combien ce passage sur un média différent ne se fait pas forcément au prix de la qualité des idées. Tout au plus notera-t’on deux articles décevants ; le premier de Susan Napier dont l’examen d’Evangelion (Hideaki Anno, 1995) rappelle nombre des élucubrations de fanboys sur le sujet, bien qu’ici couvert par un dialecte intellectuel qui ne trompe pourtant personne, et le second de Livia Monnet dont le travail sur Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit (Hironobu Sakaguchi, 2001) reste au mieux obscur.
Nombre des thèses défendues ne manquent pas d’audace, en particulier celle que présente Sharalyn Orbaugh sur le Ghost in the Shell de Mamoru Oshii (1995) et qui parvient à sortir avec autant de brio que d’originalité des réflexions récurrentes et pour tout dire vite lassantes sur l’allégorie de la caverne ou assimilé qu’on prête le plus souvent à cette œuvre décidément bien diverse. En dépit de quelques approximations envers la science-fiction occidentale, voire de confusions et même de franches erreurs ici ou là, ce dont on s’étonne peu de la part d’universitaires puisque ces gens-là méconnaissent souvent le genre, on se voit néanmoins très agréablement surpris par leurs différentes interprétations de cette incarnation du domaine qui montre vite bien plus de subtilité qu’elle peut en avoir l’air depuis chez nous où on ne trouve que les œuvres les plus commerciales ou bien les plus en vue. De plus, et comme on peut s’y attendre, cette science-fiction japonaise reprend à sa manière bien à elle les différents thèmes et les mutations principales du genre, reflétant ainsi sa culture nipponne dans le sens le plus large du terme.
Si je craignais de voir les différents articles s’abîmer dans les travers habituels, assez métaphysiques et plutôt poussiéreux, des érudits tendance littéraire qui le plus souvent ne connaissent rien ou presque des techno-sciences, et c’est parfois le cas, l’ensemble se montre malgré tout d’une excellente tenue, tout à la fois éclairant et maintes fois surprenant à plus d’un titre.
Pour les otakus comme pour les érudits de la science-fiction, ou plus simplement pour les esprits curieux désireux de se pencher sur une facette encore bien méconnue du genre.
(1) la traduction de ce quatrième de couverture est de votre serviteur.↩
Robot Ghosts and Wired Dreams: Japanese Science Fiction from Origins to Anime University Of Minnesota Press, 15 novembre 2007 288 pages, env. 15 €, ISBN : 978-0-816-64974-7
Depuis 50 ans et la chute d’Ultor Corporation, la Terre occupe Mars avec sa branche armée, l’EDF. Mais le libérateur d’hier est devenu l’oppresseur d’aujourd’hui, car les ressources se font rares sur la planète-mère, alors elle exploite celles de Mars et ses colons réduits à l’état d’esclaves. Fraichement débarqué de la Terre pour prendre un nouveau départ, Alec Mason est accueilli par son frère Dan. Mais quand celui-ci se fait tuer par l’EDF pour sédition, Alec devient un fugitif sans d’autre choix que de rejoindre à son tour la Red Faction…
En premier lieu, on trouve dans Red Faction: Guerilla le portrait d’une certaine Amérique. Celle du rêve et des espoirs, voire des illusions. Bref une Amérique fantasmée. D’abord à travers sa peinture d’une révolution contre un état oppresseur, métaphore évidente de celle que menèrent les colons anglais en 1776, et qui traduit une maturation nette du concept de base de la franchise : ici, les insurgés ne luttent plus contre une multinationale corrompue, symbole de la tyrannie du privé envers ses employés, mais contre celui censé les en protéger. Un revers surprenant puisque la coloration « rouge » de la Red Faction tend ainsi à s’édulcorer, même si on apprécie de voir le discours s’éloigner des tropes marxistes du titre original – cette série parle avant tout de liberté.
Par ses paysages ensuite, dont les dunes de sable entrecoupées de rocs et de falaises où des constructions simples forment des ilots de civilisation évoquent bien sûr cet Ouest peu à peu colonisé et qui reste encore synonyme d’Amérique pour beaucoup. D’ailleurs, on les parcourt autant à pied qu’en véhicule, ce qui renvoie à une autre image des États-Unis, ou plutôt un de ses produits caractéristiques, le road movie, dans lequel la route tient à la fois du thème et du sujet en plus du lieu de l’action. On l’arpente souvent, ici, au point qu’elle devient partie intégrante du paysage, du jeu, de l’expérience, et ses circonvolutions nous deviennent vite familières : très vite, on apprend à en maîtriser la moindre courbe pour en tirer le meilleur avantage.
Avec ses maraudeurs enfin, car ces descendants des chercheurs et des ingénieurs d’Ultor qui ont fui la civilisation afin de poursuivre dans l’isolation du désert leurs travaux de développement technique rappellent, eux, les natifs américains pour leurs mœurs tribales et leur méfiance systématique envers les colons. Comme tous les parias, ils vivent repliés sur eux-mêmes suivant des codes qu’eux seuls comprennent, ce qui devient l’occasion d’explorer un des arguments majeurs de la science-fiction, les modèles de société inédits, même si on aurait apprécié de voir la narration aller plus loin au lieu de se contenter de survoler un sujet pourtant riche, même si ce n’était pas là le propos du récit. Celui-ci, malgré tout, nous donnera l’occasion de voir ces maraudeurs de près, et même de très près.
Articulé tout entier autour de mécaniques de jeu dites open world, le titre propose là aussi une autre rupture, pour le moins bienvenue, avec les autres jeux de la franchise. La claustrophobie des couloirs et des salles fermées laisse donc ici place à un sentiment de liberté qui colle à merveille avec le thème central du récit, le complimente, voire l’amplifie. Il ne s’agit pas là pour les développeurs de céder aux chants d’une sirène du moment, pas seulement du moins, mais plutôt de donner enfin à Red Faction le décorum qu’il mérite, celui par lequel la franchise prend enfin toute son ampleur, voire même trouve son meilleur souffle. Par définition, la liberté ne peut souffrir de restrictions, et surtout pas celles de la technique. Vous ne resterez donc pas bloqué sur un mauvais passage…
Dans ce monde libre, de nombreuses missions vous attendent. Destructions de cibles, libérations de prisonniers, vols de véhicules, protections d’objectifs contre des raids de l’EDF,… Plus vous en remplirez et plus vous augmenterez le moral de la population en plus de réduire l’influence de l’occupant sur chaque zone, au nombre de six : les colons ainsi motivés par les succès de la Red Faction vous prêteront parfois main forte lors d’une mission, et une fois le contrôle de l’EDF sur une zone significativement réduit, celle-ci sera considérée comme libre. Procédez de même pour la suivante jusqu’à la libération totale de Mars. À noter que vous n’aurez nul besoin d’user de violence pour emprunter un véhicule à son propriétaire car celui-ci, reconnaissant en vous un libérateur, vous le cédera volontiers.
On peut aussi évoquer une implémentation intéressante de la technologie GeoMod caractéristique de la licence à travers des épreuves optionnelles sous forme de puzzles où vous devrez procéder à la destruction d’un building en un temps limite et à l’aide de certaines armes seulement : si la plupart restent plutôt simples, certaines demanderont une planification soigneuse et quelques-unes s’avéreront même particulièrement retorses pour vos méninges. Il vaut de citer aussi les missions de diversion durant lesquelles vous devrez attirer l’attention de l’EDF en massacrant la plus grande quantité possible d’unités adverses en un lieu donné ; à cet effet, on vous procurera le plus souvent un petit mecha pour une séquence de destruction totale particulièrement jouissive…
Une réussite incontestable du jeu vidéo de par sa variété mais aussi sa justesse dans le domaine du gameplay bac à sable, Red Faction: Guerrilla reste encore à ce jour l’opus de la série le plus abouti. Avec son récit prenant et ses missions hautes en couleurs que complimente à merveille sa technologie spécifique ici peaufinée à l’extrême, ce titre propose encore presque dix ans après sa sortie une expérience de jeu qui mérite d’être vécue.
Notes :
Trois DLCs sont disponibles. Demons Of The Badlands sert de préquelle et permet de jouer le personnage de Samanya à travers de nouvelles missions dans une zone inédite, Mariner Valley. Le Multiplayer Pack ajoute au multijoueur en ligne huit maps et deux modes de jeu, Bagman et Team Bagman, inspirés de Red Faction II. Enfin, le Smasher Pack ajoute au multijoueur local Équipe de démolition huit maps et un nouveau mode permettant d’utiliser des mechas du jeu.
La Red Faction: Guerrilla Collector’s Edition annoncée en septembre 2008 et qui devait comprendre entre autre une figurine d’un des mechas du jeu et un artbook n’a jamais été publiée mais certains contenus en ont néanmoins été rendus disponibles dans certains magasins pour des précommandes.
Un manuel du jeu a été publié au moment de la sortie du titre, qui contenait également un court comics réalisé par DC Comics revenant sur le personnage de Dan Mason et comment celui-ci devint membre de la Red Faction.
Depuis le 2 décembre 2014, le jeu est disponible sur Steam sous le titre Red Faction Guerrilla Steam Edition.
Sorti en 2011, le téléfilm Red Faction: Origins sert de séquelle directe à Guerrilla.
Red Faction: Guerrilla Volition, Inc., 2009 Windows, PS3 & Xbox 360, env. 3 €
Ceux d’entre vous qui me connaissent un peu en dehors de ce blog savent que je n’écris pas que des critiques mais aussi des récits et ce, depuis plus de 30 ans. La plupart parurent au siècle dernier dans des publications aujourd’hui disparues comme Chimères, Magie Rouge ou Miniature.
Par contre, le texte que je vous propose de découvrir maintenant a été publié en décembre dernier dans l’édition électronique du numéro 50 de Galaxies, revue de référence des genres de l’imaginaire depuis plus de 20 ans.
Si ça vous tente, il vous suffit de cliquer ici. Et si ça vous plaît, n’hésitez pas à partager… ;]
Regild Century 1014. Il y a plus de mille ans qu’a pris fin le calendrier Universal Century, époque marquée par la colonisation de l’espace, et avec lui son cortège de guerres incessantes pendant lesquelles l’humanité faillit bien disparaître plus d’une fois. À présent, la Capital Tower, un ascenseur spatial, permet de ramener sur Terre toute l’énergie nécessaire pour maintenir la paix. Mais cet édifice appartient à une nation en particulier, celle de Capital, dont cette prérogative sur toutes les autres créé bien des tensions.
La défense de la Capital Tower revient à la Capital Guard, qui suit à la lettre les principes de l’ordre religieux de la SU-cord. Celle-ci a pour crédo d’éviter la guerre à tout prix en limitant le développement technologique tout en assurant le dialogue avec la nation lunaire de Towasanga d’où provient l’énergie. Lors d’un entraînement de routine, des cadets de la Capital Guard capturent un mobile suit inconnu et sa pilote. Mais il s’avère que celle-ci vient de la nation rivale d’Améria et que son mecha est une violation des tabous du SU-cordisme. De plus, son engin a été repéré peu de temps plus tôt, piloté par une autre personne depuis faite prisonnière et qui semble provenir de la Lune. Alors, que se passe-t-il vraiment là-haut, et que faut-il craindre des alliés de Capital ?
Pour le pire mais surtout le meilleur, Yoshiyuki Tomino semble bel et bien avoir renoncé à ce surnom de « Kill’Em All » qu’on lui attribua il y a plus de quarante ans à présent. Pour le meilleur car si un récit se doit de présenter des conflits afin de conserver l’attention du public, on ne peut pour autant affirmer que les luttes ainsi décrites doivent obligatoirement se conclure par des meurtres de masse et autres atrocités dont le principal intérêt semble avant tout de flatter les penchants sadiques d’une certaine catégories de spectateurs. Les évolutions du genre mecha lui permettent maintenant de se passer de ce genre de facilités qui, au reste, n’ont jamais vraiment convaincu personne même si elles participèrent à une certaine maturation du domaine. Il faut bien grandir après tout.
Voilà pourquoi les spectateurs habitués aux carnages à grande échelle dont Tomino fut sans conteste le précurseur se trouveront sans doute fort déçus en constatant que Gundam Reconguista in G s’aligne bien moins sur les œuvres du réalisateurs qui firent sa renommée que sur celles plus récentes, comme Brain Powered (1998), Overman King Gainer (2002), voire The Wings of Rean (2005) et bien sûr Turn A Gundam (1999), avec laquelle, justement, la production chroniquée ici entretient une parenté assez floue, pour ne pas dire contradictoire – mais il ne s’agit pas du sujet de ce billet. Le reste du public, lui, se félicitera de voir un auteur qui n’a plus rien à prouver depuis longtemps tenter de se renouveler en s’orientant dans une direction différente et somme toute bienvenue.
Car il y a de la joie dans Reconguista…, pour ne pas dire une certaine légèreté, qui peut décontenancer au départ avant de devenir la première raison d’y retourner pour prendre sa dose de bonheur. Or, cette gaieté transpire de l’ensemble du récit, à travers ses personnages en particulier et son protagoniste principal en tête de liste : Bellri Zenam, et c’est là une particularité qui le rapproche beaucoup de Loran Cehack, le pilote du Gundam de Turn A, on y revient, ne présente du moins en apparence aucun trait de caractère négatif, au contraire de ses prédécesseurs Amuro Ray, Camille Bidan ou Judau Ashatan, voire même Uso Ewin – encore que ce dernier, et peut-être en raison de son très jeune âge, restait remarquablement équilibré par comparaison avec les autres ici cités.
En témoigne l’animation du générique de fin où tous ces personnages se retrouvent liés dans une espèce de farandole sans aucune distinction entre les différents camps pourtant en opposition les uns envers les autres, comme si ceux-ci, en fin de compte, ne prenaient qu’une signification somme toute mineure, pour ne pas dire négligeable. Comme pour tout récit, l’intérêt de Reconguista… se trouve avant tout dans ses personnages. La nouveauté, ici, vient de ce qu’il s’agit d’une série Gundam et qu’une telle focalisation sur les caractères au lieu du groupe qui suscite en général leurs motivations respectives reste un procédé narratif assez inédit. Reconguista… s’affirme donc comme un récit de personnages avant d’être un récit de guerre, ce qui permet au passage de mesurer le chemin parcouru par son auteur.
Pour le reste, on ne peut passer sous silence la complexité du scénario qui tend nettement à rendre celui-ci assez difficile à suivre. D’une part parce que Tomino présente son univers alors que l’histoire avance, ce qui reste d’ailleurs une méthode narrative typique de la science-fiction littéraire, plongeant ainsi le spectateur dans le bain sans réelle explication, du moins jusqu’à ce que celle-ci se présente enfin, parfois un peu tard. D’autre part parce que le nombre d’épisodes ici réduit de moitié par rapport à ce que le réalisateur manie d’habitude dans une série Gundam force la narration à expédier les événements à travers nombre d’ellipses. Enfin, on ne trouve pas deux, ni même trois, mais rien de moins que quatre factions différentes, et chacune avec ses propres motifs bien évidemment.
Soulignons néanmoins que ce détail se montre peu trivial dans le sens où il permet de focaliser la réalisation sur ses personnages, encore eux, en rendant finalement assez secondaire l’environnement dans lequel ils évoluent : perdu dans ce maelström d’antagonismes, de stratégies et de diplomatie, le spectateur ne peut plus se raccrocher qu’au plus évident, les protagonistes eux-mêmes. Et si certains auraient peut-être apprécié un peu plus d’approfondissement des divers éléments composant cet univers, il vaut néanmoins de préciser que ceux-ci se trouvent tous bien assez explicités pour justifier les agissements des personnages sans qu’il soit nécessaire pour le réalisateur de perdre du temps sur des expositions finalement assez secondaires.
Bref, il s’agit bel et bien d’un récit, non d’une encyclopédie d’un futur possible, et comme il se doit les protagonistes y prennent la plus belle part. Quant à ceux qui trouvent que Tomino a mal vieilli, ils se verraient bien inspirés de mûrir le proverbe bien connu à propos des vieilles marmites et des meilleures soupes plutôt que celui tout aussi célèbre concernant les naufrages : Reconguista… est peut-être ce que le réalisateur a fait de moins marquant dans la franchise mais c’est tout aussi assurément ce que celle-ci peut présenter de plus exceptionnel sur le plan de la narration.
À une époque où les reboots et les préquelles se perdent dans tous les sens, on ne voit pas souvent une référence aussi vénérable que celle-ci parvenir à une réinvention aussi réussie.
Notes :
Reconguista vient de l’espagnol Reconquista, ou Reconquête en français, qui désigne la période du Moyen-Âge où eut lieu la reconquête, par les royaumes chrétiens, des territoires de la péninsule Ibérique et des îles Baléares occupés par les musulmans. Tomino en modifia l’orthographe afin d’y insérer un son nettement en G. Cette racine espagnole est aussi une référence au territoire de la nation Capital, situé en Amérique du Sud. L’autre G du titre fait référence à ground, soit le sol en anglais.
Gundam Reconguista in G obtint les meilleurs taux d’audience de l’automne 2014 selon Sony Computer Entertainment. Dans le numéro de janvier 2015 de Newtype Magazine, la série est citée comme étant la troisième meilleure, la quatrième la plus regardée et la dixième la plus téléchargée de l’année.
Si la série fait plus souvent référence à la chronologie Universal Century qu’à celle précédant le Regild Century, Tomino a précisé lors d’une interview que Reconguista in G se déroule en fait cinq cent ans après Turn A Gundam et donc après le Correct Century.
L’élévateur spatial autour duquel s’articule l’intrigue semble référencé dans l’épisode 33 de Turn A, à travers un dialogue entre Quoatl et Sid Munzer.
Reconguista in G est la première série Gundam depuis Turn A qui n’utilise pas de séquence précédant le générique.
Le terme Gundam n’apparaît dans aucun dialogue avant l’épisode 16.
Gundam Reconguista in G, Yoshiyuki Tomino, 2014 Wakanim, même année 26 épisodes
Suite à un accident de voiture, Simon Jarret, libraire à Toronto, souffre de lésions cérébrales impossibles à traiter par la médecine connue. Alors il accepte un traitement expérimental qui consiste d’abord en un scanner de pointe. Mais une fois la procédure finie, Simon s’aperçoit qu’il est à présent au tréfonds d’un complexe ultramoderne humide et sale, dont nombre des appareils semblent ne plus fonctionner et où rôdent des machines folles. Désorienté et terrifié, il s’enfonce dans le dédale pour comprendre où il se trouve.
Mais très vite, il s’avère que la question consiste plutôt à savoir « quand »…
Une remarque récurrente caractérise les spécialistes de la science-fiction dans sa forme littéraire, celle qui qualifie les œuvres du genre sur d’autres médias comme inférieures à leur favorite. Notons malgré tout, d’une part qu’un tel sujet de discussion effleure au moins celui de la définition de la SF, soit une question toujours délicate comme le savent tous les experts évoqués ci-dessus, et d’autre part que la production littéraire en la matière ne se compose pas que de grands classiques mais aussi d’innombrables œuvres assez triviales et dont une quantité sans cesse croissante des connaisseurs ignore souvent l’existence – ce qui au fond définit tout champ culturel comme le rappelle très bien la loi de Sturgeon, par ailleurs nommée d’après un auteur fondamental du genre qui n’écrivit pas que de la SF en littérature…
Malgré tout, il paraît assez hasardeux de se lancer dans une contre-argumentation, même en évoquant que les auteurs spécialistes d’autres médias s’affirment le plus souvent comme des artistes au lieu d’écrivains, soient des gens qui fonctionnent plus à l’émotion qu’à l’intellect – et ce, bien que les écrivains eux-mêmes se laissent parfois guider par leur passion tout comme les artistes peuvent bien évidemment faire preuve de réflexions profondes eux aussi – et même en soulignant que l’ensemble de la production SF sur les médias non-littéraires montre depuis une vingtaine d’années au moins une évolution notable du fond ainsi qu’un certain apaisement de la forme – en bref, plus d’idées et moins d’action gratuite.
Pour autant, la SF hors littérature présente une qualité qui fait défaut à la SF littéraire : la popularité. En témoigne le nombre tout à fait conséquent d’œuvres se réclamant du genre même si leur succès se montre bien souvent inversement proportionnel à leurs qualités intellectuelles au sens large. Néanmoins, certaines d’entre elles parviennent à conjuguer la réflexion au spectacle bien que le second finisse presque toujours par l’emporter sur la première, avec malgré tout comme résultat de sensibiliser un certain grand public aux idées de la SF, ou du moins des idées plus récentes que les classiques voyages dans l’espace ou le temps ou bien la révolte des robots ou encore l’apocalypse nucléaire ou écologique, parmi d’autres thèmes depuis longtemps devenus truismes.
À dire vrai, alors que la SF littéraire a toujours ou presque échoué à transmettre ses idées au grand public, les autres SF, elles, y parviennent bien plus facilement. On peut citer par exemple le concept de cyberespace que popularisa la trilogie Matrix (Lana et Lilly Wachowski, 1999-2003) ou bien la notion d’anneau-monde ou plus précisément d’orbitale que la culture populaire ignorait avant la série des Halo (Bungie Studios puis 343 Industries, 2001-aujourd’hui) et pour lesquels la SF non-littéraire sut se montrer beaucoup plus pédagogue que l’autre, pourtant bien plus ancienne. En fait, la SF non-littéraire joue-t-elle bien souvent le rôle de vulgarisateur de la science-fiction, faute d’un meilleur terme.
Pour cette raison, les spécialistes de la SF littéraire se verraient peut-être bien inspirés de moins voir la SF non-littéraire comme une sous-SF venant braconner sur leurs terres pour pallier à son manque d’inspiration – même si en fait les auteurs de cette autre SF ne font le plus souvent que redécouvrir par eux-mêmes de vieilles lunes au lieu de les voler à des écrivains dont ils ignorent jusqu’à l’existence en général – et au lieu de ça la considérer plutôt comme une alliée dans la diffusion de la culture SF. Il faut savoir ce qu’on veut : soit que la SF en général participe à rendre notre monde meilleur en l’ouvrant à des idées nouvelles, soit défendre bec et ongles son bout de terrain qu’on juge peut-être à tort menacé – et d’autant plus que cette dernière attitude ressemble de plus en plus à un combat d’arrière-garde.
Ainsi SOMA nous livre-t-il avant tout une réflexion de fond sur la nature de l’identité de personnalités de synthèse, de copies d’esprits transférées dans des enveloppes nouvelles où elles finissent par devenir de nouveaux individus sans aucun rapport avec les originaux sur lesquels elles se basent pourtant. Les spécialistes auront bien sûr reconnu des inspirations de toute évidence empruntées à Greg Egan ou Philip K. Dick (1928-1982), ce dont les auteurs de ce jeu ne se cachent d’ailleurs pas puisqu’ils citent ce dernier en exergue de leur titre, et avant ceux-là des concepts philosophiques formulés pour la première fois par Descartes (1596-1650) ou peut-être même Platon (né en -428/-427, mort en -348/-347) dans sa célèbre allégorie de la caverne.
Rien que de très classique, donc, mais qui pour les profanes du genre atteint des sommets de réflexion proprement renversants, voire peut-être même ahurissants et qui illustrent très bien la notion de sense of wonder caractéristique de la la SF. Formulé autrement, SOMA réussit bien mieux à élever le niveau intellectuel de ses joueurs que toute l’œuvre réunie des auteurs de SF cités plus haut et que le gamer moyen ne lira peut-être pas ; sans oublier non plus les deux classiques évoqués et dont les réflexions ne toucheront sans doute jamais ceux d’entre nous qui n’ont pas eu la chance d’aborder la terminale et ses cours de philosophie. Quand on vous dit que sous ses dehors naïfs et simplistes, le jeu vidéo peut très bien lui aussi jouer le rôle d’objet culturel.
Pour le reste, il s’agit avant tout d’un jeu de réflexion où les puzzles occupent l’essentiel de l’espace et où l’horreur proprement dite ne prend qu’une place mineure. Sur ce point, il vaut aussi de préciser que les énigmes proposées restent raisonnablement simples et ne devraient donc pas devenir la raison de passer à côté de ce titre pour ceux d’entre vous plutôt friands d’action pure. Enfin, la réalisation se veut très correcte même si elle n’atteint pas les sommets des productions contemporaines : on apprécie malgré tout le réalisme donné aux environnements dont la direction artistique ne tombe pas dans les excès des titres qui misent tout sur une esthétique d’autant plus douteuse qu’elle se perd souvent dans des détails inutiles, voire même nuisibles.
Quant au récit, il parvient à se montrer poignant en proposant des choix difficile, pour ne pas dire cornéliens, ainsi que des situations pour le moins complexes sur le plan moral mais sans tomber dans le grand spectacle hollywoodien et racoleur ou bien la facilité d’un pathos qui flirte avec les diverses perversions de l’esprit : ici, en effet, le monde est déjà mort depuis un certain temps quand le jeu commence et les seuls véritables dilemmes qui s’offrent au joueur ne concernent pour l’essentiel que son personnage, ce qui au fond reste fidèle au concept de base de l’identité décrit plus haut. La conclusion, enfin, présente une dimension tragique qu’à ma connaissance le jeu vidéo n’a jamais vraiment abordé jusqu’ici et peut-être même jamais effleuré.
Certainement une des plus grandes réussites du jeu vidéo depuis bien longtemps, voire du jeu vidéo tout court, SOMA présente la saveur de ces classiques dont on continuera à parler longtemps, et pour d’excellentes raisons : de cette plongée au fond de l’abîme, dans tous les sens du terme, aucun joueur ne saura sortir totalement indemne.
C’est là la marque des grandes œuvres.
Notes :
Le marketing de SOMA propose plusieurs réalisations audiovisuelles et disponibles en ligne. D’abord les deux court-métrages Vivarium et Mockingbird, qui introduisent des concept-clés du récit. Puis la courte web-série Transmission qui joue le rôle de préquelle ou du moins introduit certains événements antérieurs à ceux du jeu lui-même. Une troisième production, intitulée DEPTH, devait sortir en 2016 mais on en reste hélas sans nouvelles…
SOMA Frictional Games, 2015 Windows & Playstation 4, environ 30€ neuf
Personne ne sait depuis quand les Tremors tombent du ciel car ces machines d’origine inconnue mais capables d’évoluer s’avèrent hostiles envers les humains et ceux-ci doivent se barricader dans leurs cités pour éviter l’extinction. Pourtant, des gens appelés Breeders savent dompter les Tremors, ce qu’ils payent par une vie de solitude pour la peur qu’ils inspirent. Ion ne s’en laisse pas décourager pour autant, car son père depuis longtemps disparu fut jadis un Breeder et maintenant qu’il dispose de son propre Tremor, Ion a bien l’intention de le retrouver.
Le thème du robot fait rarement bon ménage avec celui du post-apocalyptique, car le premier montre un aboutissement de la technique et du progrès qu’il présente comme positifs, alors que le second en symbolise les limites, voire l’échec pur et simple. Faire coexister deux sujets aussi opposés dans un seul et même récit ne représente donc pas un effort simple. Pourtant, depuis le postmodernisme des années 80, tous les amalgames semblent possibles, pour le meilleur comme pour le pire. D’autre part, et puisqu’il s’agit d’une création japonaise, Bullet Armors illustre à sa façon le rapport pour le moins paradoxal qu’entretiennent les nippons avec la technique – pour cette raison, d’ailleurs, on s’étonne surtout de ne pas voir plus de productions basées sur un tel contraste entre les idées.
D’autant plus que le Japon contemporain, déjà écartelé « entre tradition et modernité » depuis bientôt trois générations, endure l’envers du décor du progrès technique depuis vingt ans à l’époque où MORITYA se lance dans la création de ce manga. Or, cet auteur est né l’année suivante de la crise dont l’économie de l’archipel ne s’est toujours pas relevée. Comme nombre de ses contemporains, donc, il s’affirme surtout comme un enfant de cette crise, soit de l’échec de la modernité d’après-guerre à conjurer les démons d’avant la guerre du Pacifique. Ainsi peut-on voir dans l’univers de Bullet Armors une image du japon d’aujourd’hui où les sommets de la technique que symbolisent les Tremors côtoient le désastre social et humain correspondant ici à l’environnement post-apocalyptique.
Pour le reste, cette œuvre qui présente comme autre mérite de faire dans le bref, s’articule pour l’essentiel autour des codes narratifs typiques du shônen et du manga moderne, soit de nombreuses scènes d’action pas toujours indispensables pour faire avancer la narration mais néanmoins plaisantes et toujours bien amenées, ici doublées de la quête initiatique d’un jeune homme qui fera de lui un homme tout court ainsi que d’une autre pour un père dont le fils ignore tout et qu’il tend bien sûr à idéaliser. Du classique, donc, mais dans l’ensemble présenté d’une manière efficace à travers les turpitudes de jeunes gens qui se montrent attachants à défaut d’originaux et dont l’un d’entre eux au moins s’avérera surprenant, voire même assez tragique.
Si cette œuvre ne brille pas par sa complexité scénaristique, on apprécie néanmoins qu’elle ne se perde pas dans des récits annexes sans réel intérêt et qui sinon dilueraient une sauce survitaminée puisqu’il s’agit avant tout du principal intérêt de ce manga. Préférant le sprint à la course de fond, Bullet Armors mise tout sur un rythme brillant qui en fait ainsi une lecture tout à fait recommandable.
En 2080, les robots occupent une place prépondérante dans la vie quotidienne. Pour éviter que cette technologie pose des problèmes, les lois internationales interdisent les machines à l’apparence humaine mais quand la société leader du domaine subit l’attaque d’un de ces simulacres, les soupçons se portent sur la firme nipponne Amada. Alors l’ONU envoie une équipe de soldats spécialisée pour mener l’enquête. Très vite, ces agents se heurtent aux forces militaires du Japon qui entretient des liens étroits avec Amada…
Ça semble couler de source : pour savoir où nous mène notre civilisation technicienne, observer les cultures les plus en avance dans ce domaine paraît assez évident. Le Japon constitue certainement le candidat idéal car bien peu de pays semblent lui arriver à la cheville sur le plan de la technique pure. Une information intéressante : sa démographie en berne doublée d’une immigration très réduite, celle-ci restant liée à une méfiance traditionnelle envers l’extérieur au sens large, rend sa population vieillissante. Ainsi la robotique domestique s’y développe-t-elle sans aucune comparaison possible avec les autres pays industrialisés. Il faut bien s’occuper des séniors après tout ; pendant ce temps-là, les plus jeunes peuvent se consacrer à leur travail le cas échéant et, plus informatif, aux loisirs.
Ces loisirs prenant toujours plus de place, il semble assez juste de dire que le progrès technique rime avec une certaine infantilisation de la société. Les individus devenant en quelque sorte indépendants les uns des autres de par cette autonomie de façade que procure la technique, ils peuvent se permettre une forme de régression sociale. Il vaut ici de rappeler que, à l’instar de la plupart des cultures asiatiques, la japonaise resta longtemps assez collective, les intérêts du groupe l’emportant sur ceux de l’individu. Ainsi, une partie de l’explication derrière la domination économique de l’archipel sur le reste de l’Asie et parfois même du monde jusqu’à la fin des années 80 – à ce moment-là, une crise sans précédent anéantit les efforts de plus d’une génération, dont les effets se font encore sentir.
Les replis sociaux induits par cette rupture précédent donc les nôtres, ceux que nous commençons à peine à observer mais qui, à y regarder de près, devaient bien apparaître tôt ou tard. En bref, nous nous trouvons bien là à l’aube des robots, pour le meilleur comme pour le pire, le premier signifiant qu’une civilisation des loisirs nous attend quelque part dans l’avenir où chacun pourra se consacrer à ce qu’il souhaite comme il le souhaite et quand il le souhaite, alors que le second, plus insidieux, veut dire que les mutations sociales précédant cette espèce d’utopie s’accompagneront de tant de sueur et de larmes qu’on se demande bien si elle les vaudra – il suffit pour s’en persuader de consulter les programmes politiques de certains candidats aux prochaines élections.
En fait, la technique reste depuis toujours la raison première derrière les révolutions sociales. Or, par définition, celles-ci arrivent rarement en douceur. En l’occurrence, et bien avant les différentes adaptations aux lois du marché que certains affirment comme inéluctables, cette technique nous rend en quelque sorte égoïstes – ce qui, au passage, arrange bien les affaires des tenants de cet ultra-libéralisme bâti sur ce qu’il y a de pire en l’humain : la perte de ces comportements sociaux qui, pourtant, permirent de fonder la civilisation. D’où l’abandon des plus anciens aux technologies de pointe pendant que cette même technique permet aux autres d’oublier le temps d’un simple divertissement – à travers une autre forme d’abandon – tout le stress, voire le burn out d’un système toujours plus élitiste et exigeant jusqu’à la névrose.
À dire vrai, ce concept du « simulacre » qu’on trouve dans Binary Domainmais que, sauf erreur de ma part, formula en premier Philip K. Dick (1928-1982) représente bien sûr une technologie si profondément immiscée dans une société qu’on ne la distingue même plus : pire qu’une technique omniprésente, le robot n’apparaît même pas comme un robot mais comme un humain ; et non seulement on ne peut le reconnaître comme un robot mais – comble du simulacre – la machine elle-même ignore en être une. Et pour en revenir à un thème déjà évoqué ici, on peut rappeler qu’au contraire de ce qu’on affirme souvent sur l’œuvre de Dick, celui-ci cherchait moins à retranscrire les difficultés à se figurer la réalité que la continuelle prise de pouvoir des intérêts privés sur les états (1).
Il vaut de préciser que le simulacre se différencie du robot « humaniforme » présenté par I. Asimov (1919-1992) dans son roman Les Cavernes d’acier (The Caves of Steel, 1954) car, d’une part, ce dernier ne doute à aucun moment de sa nature robotique mais aussi car il se trouve inféodé aux Lois de la robotique d’autre part. Dans Binary Domain, ni l’un ni l’autre concept ne se trouvent à l’ordre du jour : fidèle jusqu’au bout des moindres connections de circuit à la définition de machine, le robot, ici, se contente de suivre sa programmation et celle-ci l’amène bien souvent à tenter de tuer des humains ; quant aux simulacres, ils dépassent la notion de simples robots puisqu’ils disposent d’une intelligence artificielle forte qui leur procure non seulement une véritable personnalité mais aussi un libre arbitre.
Or, libre arbitre implique une volonté, ce qui, pour en revenir aux questionnements profondément typiques du Japon d’aujourd’hui que présente ce titre, fait bien sûr écho aux préceptes du shinto stipulant qu’il y a une âme dans toute chose. Dès lors, l’obéissance à la loi devient toute relative, et de telle sorte que le « complexe de Frankenstein » se rapproche dangereusement : pour dire vrai, il se trouve même à l’origine du scénario et va jusqu’à donner une raison derrière la rébellion des machines que j’ai rarement trouvée aussi pertinente que dans ce récit. Pour autant, il ne s’agit pas de l’unique intérêt de cette fable décidément bien moderne car, comme il arrive souvent quand on parle de simulacres, au moins un personnage n’en sortira pas tout à fait entier (2).
On peut toutefois évoquer qu’il y a derrière cette déconvenue des raisons bien plus humaines que l’évidence peut le laisser penser, ce qui nous ramène une fois de plus à ce sens du récit si typiquement nippon qu’on trouve dans Binary Domain et qui impose aux faiseurs d’histoire de développer un réel vécu des différents protagonistes afin de les rendre plus palpables, c’est-à-dire plus humains. Pour celui-ci au moins, le résultat se montre convaincant et participe pour beaucoup à l’immersion, voire à l’émotion du joueur ce dont ne s’étonneront pas les férus de productions populaires japonaises. On regrette par contre, et mille fois hélas, que les autres personnages s’avèrent bien moins intéressants, au mieux, pour ne pas dire franchement caricaturaux, au pire…
Mais il s’agit d’un détail somme toute assez mineur car Binary Domain propose surtout une narration dense que complimentent à merveille des interrogations dans l’ensemble bien pertinentes sur un sujet qui deviendra d’autant plus crucial au fur et à mesure que la technique s’appropriera toujours davantage de place dans notre quotidien : pour cette raison au moins, et en dépit d’un angle d’attaque plus métaphorique que vraiment concret, ce titre mérite d’être découvert.
(2) le clin d’œil à Armitage III (Hiroyuki Ochi, Yukio Okamoto, Satoshi Saga & Takuya Sato ; 1995), courte OVA injustement oubliée, y apparaît d’ailleurs assez évident.↩
Binary Domain Sega/Yakuza Studio, 2012 Windows, Playstation 3 & Xbox 360, environ 3€