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BrainDead

Visuel de promotion de la série télévisée BrainDead

Laurel Healy, réalisatrice de documentaires engagés, accepte de travailler dans le cabinet de son frère sénateur démocrate pour financer son prochain film. Mais alors que la gouvernance américaine est en crise, des insectes venus de l’espace prennent peu à peu le contrôle de membres du Congrès et d’employés de la Maison Blanche, poussant le pays au chaos. Entre sa relation avec un membre du parti républicain et son job dans les relations publiques, Laurel doit à présent sauver le monde d’une invasion extraterrestre.

À la fois un des plus anciens et des plus récurrents thèmes de la science-fiction, le concept de l’invasion de la Terre par des extraterrestres fonctionne en fait assez mal la plupart du temps. Rappelons avant de poursuivre que l’invasion se produit dans un contexte de guerre et que celle-ci se fait avant tout pour l’obtention de ressources. Or, une espèce capable de franchir les distances séparant les étoiles peut trouver les ressources qu’il lui faut à peu près n’importe où sans avoir à se lancer dans la stratégie toujours hasardeuse de l’attaque d’une autre civilisation. Des matières premières ? N’importe quel champ d’astéroïdes fait l’affaire. De l’eau ? Les anneaux de planètes gazeuses comme Saturne en sont pleins. De l’énergie ? Il suffit de moissonner la lumière de la première étoile venue.

Outre le contexte particulier de deux civilisations capables de voyager dans les étoiles et qui se disputent un territoire précis de l’espace, on peut néanmoins citer une exception : l’arrivée inopinée et le plus souvent involontaire d’extraterrestres pas forcément belliqueux mais pour lesquels la conquête de leur monde d’adoption semble une solution à leurs problèmes, quels que soient ces derniers. La nouvelle La Couleur tombée du ciel (H. P. Lovecraft ; 1927), parmi bien d’autres exemples, vient tout de suite à l’esprit. Et ce modèle arrange d’autant mieux mes affaires dans ce cas précis puisque un argument comparable sert de point de départ à BrainDead, ce qui au passage en dit assez long sur les inspirations des créateurs de cette production.

Bien sûr, que des êtres voyageant dans une météorite à la dérive puissent survivre pendant des siècles, voire des millénaires de trajet interstellaire, et surtout s’avèrent parfaitement adaptés à la vie sur Terre constituent d’autres problèmes à résoudre pour un auteur de science-fiction préoccupé de réalisme. Mais ces questions restent sans aucun lien avec celle qui nous occupe ici et sur laquelle les auteurs de BrainDead ont soigneusement évité de se pencher puisque ce n’est pas leur sujet. Bref, l’écrasante majorité des récits décrivant une invasion de la Terre par des extraterrestres, quel que soit leur média, ne tiennent tout simplement pas debout en raison d’un postulat de départ pour le moins bancal ou en tous cas très discutable…

Mais comme je viens de l’évoquer, il ne s’agit pas du sujet de BrainDead. Car au lieu de verser dans une tentative supplémentaire de rationaliser ce thème, cette production hors norme sous bien des aspects s’oriente en fait dans la direction opposée, et jusqu’à la caricature ou plutôt la satire. Non celle d’un thème ni même d’un genre, encore que ça pourrait se discuter, mais d’un milieu : la politique. En effet, l’image de ces politiciens professionnels contrôlés par des entités extraterrestres se passe de commentaire, surtout en des temps comme le nôtre où une écrasante majorité de la population s’évertue à tenter de faire comprendre à une classe dirigeante déconnectée combien elle ne comprend rien à ses problèmes.

En fait, ces dirigeants semblent bel et bien autant éloignés de leur peuple que des extraterrestres le seraient des terriens. Et que les envahisseurs, dans ce cas précis, détruisent la moitié du cerveau de leur hôte pour s’y loger avec leur progéniture, complète le tableau à merveille : non seulement ceux qui nous gouvernent ne comprennent plus rien à ceux qu’ils gouvernent mais par dessus le marché ils ne possèdent même plus les capacités de cette compréhension puisque 50 pour cent de leur matière grise manque à l’appel. On voudrait parfois que la réalité se montre aussi simple que certaines fictions. Pour autant, il ne faut pas voir dans BrainDead une réflexion sur l’univers de la politique car il s’agit avant tout d’une satire.

Et une satire très réussie, merveilleusement servie par un casting au meilleur de sa forme – on apprécie notamment les performances de Mary Elizabeth Winstead, ici particulièrement élégante dans la plupart de ses apparitions – ainsi qu’un scénario riche en rebondissements et dont les principaux personnages savent occuper leur espace dédié avec autant d’habileté que d’à propos.

Pour sa pertinence et sa concision comme pour sa réalisation et surtout son humour, BrainDead est définitivement à voir.

BrainDead, Robert & Michelle King, 2016
Paramount Studio, 2016
1 saison, env. 15€ (import seulement)

Spirit of América – Marshal Law, tome 3e

Couverture du troisième et dernier tome de l'édition française du comics Marshal LawAlors que Marshal semble sur le point de découvrir l’étendue de la machination qui implique Super Patriote, ses deux suspects lui échappent soudain et il doit se lancer à leur poursuite. Mais il ignore que le Marchand de Sable suit ses moindres pas en se remémorant tout ce qui l’a amené là : depuis son enfance de frustrations, en passant par l’éducation autoritaire que lui donna sa mère et sa vie de souffre-douleur au collège qui lui permit de découvrir ses pouvoirs, jusqu’à ce qu’il apprenne la véritable identité de son père…

En guise d’apothéose, ce dernier volume de la série Marshal Law nous propose deux nouvelles déconstructions. La première concerne le personnage du Marchand de Sable, ici dépeint d’une manière bien plus aboutie que dans la plupart des autres titres du genre super-héros où, le plus souvent, le « méchant » se borne à un simple mégalomane voué à la conquête du monde pour des raisons jamais vraiment explicitées. Dans Marshal Law, par contre, l’antagoniste du héros présente une psychologie développée, issue d’une relation pour le moins vénéneuse avec sa propre mère qui a elle-même ses propres raisons – bien sûr discutables – d’avoir élevé son fils ainsi : les connaisseurs retrouveront dans ce parcours du Marchand de Sable un profil dans les grandes lignes assez typique des tueurs en série et qui, d’ailleurs, ne va pas sans rappeler le personnage de Norman Bates dans le roman Psychose (Psycho ; Robert Bloch, 1959) qu’adapta Alfred Hitchcock (1899-1980) en 1960.

Planche intérieure du troisième tome de l'édition française du comics Marshal LawLa seconde déconstruction concerne l’archétype du super-héros. Si jusqu’ici le récit de Marshal Law s’attaquait au genre super-héros en général, le modèle du super-héros lui-même restait encore assez épargné, mis à part pour certaines cases et situations aux nets accents caricaturaux. Cette lacune se trouve là enfin comblée, et à travers une étude d’ordre psychologique et sociale, faute de meilleurs termes, par un des personnages du récit : de longs extraits de cette thèse parsèment la seconde moitié de ce dernier volume, qui démontrent tous les travers de cet archétype et surtout son influence néfaste sur la société – dans le contexte de l’univers fictif de Marshal Law, bien évidemment. À travers le texte de cette étude, le récit mais aussi son personnage principal ainsi que sa relation au fond assez obsessionnelle à Super Patriote prennent une coloration nouvelle et inattendue sous bien des aspects.

Loin d’une banale conclusion orientée action, comme l’aurait à coup sûr proposé n’importe quel autre titre du genre bien moins inspiré, ce dernier volume de Marshal Law approfondit considérablement le propos de départ pour le mener jusqu’à des sommets bien peu souvent effleurés, et encore moins atteints dans les récits de super-héros.

Ce qui ne fait jamais qu’une raison de plus pour laquelle Marshal Law mérite toute votre attention.

Planche intérieure du troisième tome de l'édition française du comics Marshal LawChroniques de la série Marshal Law :

1. Chasseur de héros
2. Bactérie
3. Spirit of América (le présent billet)

Marshal Law, t.3 : Spirit of América, Pat Mills & Kevin O’Neill, 1987
Zenda, mai 1990
56 pages, env. 7 € (occasions seulement)

Bactérie – Marshal Law, tome 2nd

Couverture du second tome de l'édition française du comics Marshal LawMarshal peut enfin se mesurer au Marchand de Sable mais le tueur en série a le dessus sur lui. Le vigilant reprend donc son enquête et doit vite faire face à des pressions pas toujours affichées, en particulier venant de sa propre hiérarchie. Alors, s’il accepte de remercier publiquement Super Patriote pour sa donation aux vétérans de la Zone mutilés par les combats, Marshal ne perd pas de vue sa mission et guette juste le bon moment pour intervenir – une opportunité, d’ailleurs, qui ne tardera pas à se montrer…

Au contraire de ce que peut laisser penser son édition française, le récit de Marshal Law ne se divise pas en tiers mais en moitiés. Ce tome central se répartit donc entre la fin de l’exposition de ce futur proche et le développement de l’intrigue vers son climax (1). Ici, l’auteur se penche sur la face intime de Super Patriote et surtout à travers sa relation avec Céleste, ce qui permet ainsi au lecteur de saisir toute l’hypocrisie qui caractérise ces deux personnages comme l’amoralité perverse de leur liaison de façade ; enfin, c’est aussi l’occasion de souligner que la guerre dans la Zone reste au fond une allégorie de celle du Vietnam puisque dans l’une comme dans l’autre nombre de soldats américains sont revenus brisés et incapables de se réinsérer dans la société.

Planche intérieure du second tome de l'édition française du comics Marshal LawPour le reste, et une fois laissés de côté différents détails concernant la hiérarchie de la police de San Futuro pour laquelle travaille Marshal et qui s’avère elle aussi bien vénéneuse à sa façon, ou bien les courtes apparitions de divers surhommes qui n’ont de super-héros que les super-pouvoirs même s’ils restent du bon côté de la loi, le rythme de la narration s’emballe ici d’une façon assez soudaine alors que Super Patriote et Céleste vont voir leur longue relation enfin officialisée à travers les liens sacrés du mariage – et tous les aficionados du genre savent combien de telles cérémonies peuvent marquer, dans tous les sens du terme, une vie de super-héros : ils ne seront pas déçus dans le cas présent car l’intervention improvisée de Marshal saura la pimenter d’une manière… surprenante.

Si les pièces du puzzle finissent de s’emboiter les unes dans les autres pour fournir une lecture somme toute assez complète du récit, le troisième et dernier tome de la série apportera néanmoins son lot de révélations. Et celles-ci donneront à une conclusion en fin de compte assez convenue une saveur pour le moins inattendue…

Planche intérieure du second tome de l'édition française du comics Marshal Law

(1) en français dans le texte.

Chroniques de la série Marshal Law :

1. Chasseur de héros
2. Bactérie (le présent billet)
3. Spirit of América

Marshal Law, t.2 : Bactérie, Pat Mills & Kevin O’Neill, 1987
Zenda, janvier 1990
56 pages, env. 15 € (occasions seulement)

Chasseur de héros – Marshal Law, tome 1er

Couverture du premier tome de l'édition française du comics Marshal LawUn futur proche. Dans les rues de San Futuro, qu’on appelait San Francisco avant qu’un séisme la dévaste, errent des gangs de super héros. En fait d’anciens soldats génoboostés, ce sont des vétérans de la Zone, où les États-Unis menèrent jadis une guerre sans merci aux groupes communistes qui menaçaient de s’emparer de l’Amérique Centrale. Rendus fous par ces combats mais aussi par les pouvoirs surhumains dont l’armée les affubla, ces combattants s’avérèrent incapables de se réintégrer à la vie civile une fois de retour au pays.

Marshal Law compte lui aussi parmi ces rescapés, mais à la différence de ses semblables lâchés dans les rues il œuvre pour préserver la paix civile, quitte à faire le ménage par le vide à l’occasion. Depuis peu, toutefois, un mystérieux tueur volant appelé le Marchand de Sable s’en prend à des femmes qui revêtent le costume de Céleste, super héroïne de renom et compagne du héros national adoré de tous : Super Patriote lui-même. D’ailleurs, l’enquête de Marshal l’amène vite à soupçonner ce dernier, ce qui lui va très bien puisqu’il n’a jamais pu le supporter…

Quoi de mieux en effet pour un chasseur de héros que l’occasion d’épingler le meilleur d’entre eux ? Ou supposé tel…

Planche intérieure du premier tome de l'édition française du comics Marshal LawOn appelle souvent « Dark Age » ou encore « Modern Age » du domaine super-héros cette période du genre qui se caractérise sur le plan narratif par des récits sombres et des personnages plus complexes que d’accoutumée. À y regarder de près, pourtant, cette évolution s’affirme surtout comme la déconstruction de cette branche du comic book. Se trouvent le plus souvent considérées comme œuvres pionnières de ce mouvement les célèbres Watchmen (Alan Moore & Dave Gibbons ; 1986) et Batman: The Dark Knight Returns (Frank Miller ; même année) : si les auteurs du premier, dit-on, souhaitaient faire entrer les super-héros dans le registre du réel, mais en démontrant par là même que de tels personnages ne peuvent en fin de compte avoir aucune influence véritable sur la réalité, de telle sorte que le qualificatif de « héros » et encore plus celui de « super-héros » ne leur convient donc pas du tout, le créateur du second titre, lui, affirmait haut et fort que seule la folie pouvait mener un homme à se déguiser pour aller tabasser des criminels et que pour cette raison parmi d’autres la notion même de vigilant était devenue à l’époque aussi anachronique que celle des légendes des chevaliers d’antan qui l’avait peut-être inspirée.

Planche intérieure du premier tome de l'édition française du comics Marshal LawCe développement du genre se poursuivit à travers des productions comme Rising Stars (scénarisée par Joe Michael Straczynski ; 1999-2005), The Authority (Warren Ellis & Bryan Hitch ; 1999-présent) ou Kingdom Come (Mark Waid & Alex Ross ; 1996), parmi d’autres, en illustrant au passage le triomphe de l’hypercapitalisme ultralibéral, d’abord sous la présidence de Ronald Reagan (1911-2004) au cours des années 80, puis après la chute du bloc communiste dans la décennie suivante. On peut en effet souligner que le super héros reste une itération du surhomme et s’affirme donc, en raison même de ses capacités surhumaines qui le placent au-dessus du commun des mortels, comme une contestation de cette doctrine libérale qui exige que les chances soient les mêmes pour tous (1) ; rappelons que Superman, le tout premier super héros de l’histoire du comic book, fut créé par Jerry Siegel (1914-1996) et Joe Shuster (1914-1992) en 1932 avant de connaître sa première publication en 1938, soit lors de cette Grande Dépression qui resta longtemps la plus grande crise du libéralisme. Le « Dark Age », par contre, s’affirme comme l’exact opposé de cette période, d’où une des raisons possibles derrière le déclin des super héros dans le cœur des lecteurs : ces chevaliers de pacotille, en fait, avaient bel et bien échoué à sauver le monde de ses pires prédateurs…

Planche intérieure du premier tome de l'édition française du comics Marshal LawAinsi, Marshal Law s’affirme-t-il avant tout, et dans la droite lignée des œuvres fondatrices du « Modern Age » déjà citées, comme une satire d’une certaine Amérique dont les dérives « va-t-en guerre » ainsi que les replis sur les valeurs religieuses et/ou consuméristes ne servent en fait qu’à cacher l’effondrement de ce rêve américain qui, bien évidemment, ne pouvait résister à l’épreuve de la réalité. D’ailleurs, le symbolisme du personnage de Super Patriote, incontestable caricature de Superman, ne laisse ici aucun doute : super héros issu de manipulations génétiques et resté jeune uniquement en raison d’un long voyage dans l’espace à des vitesses relativistes (2), il ne se distingue du commun des mortels qu’à travers ces artificialités que constituent ses super pouvoirs et autres capacités surhumaines mais sans les compléter par aucune des qualités véritables, celles du cœur et de la compassion, qui caractérisent le vrai héros, celui-ci semblant destiné à demeurer une légende – et pour cause : il paraît bien trop beau pour être vrai… Quant à Marshal Law lui-même, son nom est un jeu de mot évident avec « martial law » qu’on peut traduire par « loi martiale » ce qui en dit bien assez long sur le personnage ; pourtant, et en dépit de son costume tout bardé de signes de force et d’autorité, il reste peut-être encore le moins atteint des deux.

Planche intérieure du premier tome de l'édition française du comics Marshal LawPour toutes ces raisons, Pat Mills et Kevin O’Neill n’y vont pas par quatre chemins dans la violence tant graphique que morale. Si le premier nous présente un scénario mené tambour battant mais où le lecteur se verra néanmoins bien inspiré de prêter une attention particulière au verbe utilisé tout le long du récit afin d’en cerner toutes les nuances, le second témoigne ici d’une évolution très nette de son art qui donne l’impression de s’aventurer du côté des exagérations à tendance caricature satiriste que ne renierait pas un Bill Sienkiewicz, et surtout pas quand ce dernier travaille avec un certain Frank Miller… Bien sûr, ce premier tome se montre encore assez timide sur les principales qualités de cette série à bien des égards exceptionnelle et se cantonne dans les grandes lignes à une présentation de son univers déjanté, pour dire le moins, et de ses personnages tout autant dérangés en posant les bases de son intrigue elle aussi à la hauteur des deux autres ingrédients : nous aurons l’occasion de voir dans les chroniques des prochains volumes de quelle manière ce cocktail murira peu à peu jusqu’à atteindre le stade de l’explosif.

Avec son ambiance de folie furieuse qui épingle brillamment les dérives d’une certaine Amérique dont les excès perdurent encore, Marshal Law reste à ce jour un des plus brillants exemples de ce que les comics de super héros peuvent offrir à des lecteurs exigeants. L’a d’ailleurs prouvé le succès que connut son protagoniste principal tout au long des années 90, à travers une dizaine de récits inscrits à la suite de celui-ci.

Planche intérieure du premier tome de l'édition française du comics Marshal Law

(1) Gérard Klein, « Surhommes et Mutants », préface à Histoires de mutants (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3766, 1974, ISBN : 2-253-00063-9) ; lire ce texte en ligne.

(2) pour un exemple explicité de ce processus, voir le paradoxe des jumeaux, ou paradoxe de Langevin.

Note :

Si les volumes de l’édition française de cette courte série peuvent s’avérer assez difficiles à trouver, du moins à un prix raisonnable, une réédition complète des récits mettant en scène le personnage de Marshal Law doit paraître le 30 avril prochain sous le titre de Marshal Law: The Deluxe Edition (DC Comics, 480 pages, ISBN : 978-1-401-23855-1).

Chroniques de la série Marshal Law :

1. Chasseur de héros (le présent billet)
2. Bactérie
3. Spirit of América

Marshal Law, t.1 : Chasseur de héros, Pat Mills & Kevin O’Neill, 1987
Zenda, septembre 1989
58 pages, env. 15 € (occasions seulement)

L’Appel de l’espace

Couverture de la dernière édition française du comics L'Appel de l'espaceFin des années 70, au Nouveau-Mexique. L’observatoire de radioastronomie de Mesa capte un signal prouvant qu’existe bel et bien une forme de vie extraterrestre et douée d’intelligence. Ce message va très vite produire un impact sans précédent sur tous les habitants de la Terre. Mais au lieu de pousser les nations de la planète vers une nouvelle ère de paix à travers l’unification des peuples, ce signal exacerbe au contraire les tensions entre des grandes puissances déjà au bord d’une autre guerre mondiale.

L’une des premières œuvres de Will Eisner qu’il qualifiait du terme de « graphic novel » – soit un « roman graphique » en français –, L’Appel de l’espace se base sur l’inversion aussi habile dans la forme que pertinente sur le fond d’un thème jusqu’alors dépeint le plus souvent avec une certaine naïveté : celle de croire que la découverte d’une intelligence extraterrestre changerait forcément notre monde en mieux. À travers un récit qui passe au vitriol les divers excès des États-Unis d’une époque comme de ceux de diverses autres nations du globe, y compris certaines inventées pour servir le récit mais dont la symbolique se montre pour le moins transparente, l’auteur nous montre la vision opposée de ce thème, ou du moins celle de ses itérations les plus populaires.

Planche intérieure du comics L'Appel de l'espaceD’ailleurs, en dépit de toute la noirceur au moins sous-jacente de cette histoire, il y parvient avec beaucoup d’humour – noir, certes, mais de l’humour quand même. Il mêle les genres aussi : politique-fiction, thriller, espionnage, satire,… Et outre les dirigeants des deux plus grandes puissances du moment qui essaient de damer le pion à l’autre dans cette nouvelle course pour la suprématie, ses personnages vont du scientifique au dictateur d’une obscure nation africaine, en passant par le PDG d’une multinationale sans âme comme les principaux acteurs d’une secte d’illuminés, et même les gangsters de la Mafia – parmi d’autres. Pour dire comme ce récit illustre nombre de travers d’un temps, et dont beaucoup ont subsisté jusque de nos jours d’ailleurs. De tout ce micmac, son héros ne sortira que de justesse, de même que le reste du monde qui, pour le coup, aura eu bien chaud.

Indispensable d’un des auteurs les plus importants de l’histoire du comics, et même de la BD internationale, L’Appel de l’espace compte encore à ce jour parmi les productions majeures d’un artiste comme d’un média et peut-être même d’un genre – ici, la science-fiction. Bref, c’est une œuvre à ne manquer sous aucun prétexte.

Planche intérieure du comics L'Appel de l'espace

L’Appel de l’espace (A Signal from Space), Will Eisner, 1978-1980
Delcourt, collection Contrebande, janvier 2011
136 pages, env. 14 €, ISBN : 978-2-756-02208-6

– le site officiel de Will Eisner (en)
– les cinq premières planches sur BD Fugue
– d’autres avis : Comic Box, Culture-SF, Les Boggans, Benzine, Fluctuat, L’Express

Technological Threat

Idées noires

Couverture de l'édition française intégrale de la BD Idées noiresIdées Noires de Franquin, le spirituel papa de Gaston Lagaffe, Marsupilami et Spirou, nous révèle une nouvelle facette du talent de ce merveilleux dessinateur, mis au service d’un humour féroce, summum d’humour noir. Franquin nous démasque les visages hideux de notre barbarie civilisée : le nucléaire, la peine de mort, la guerre : celle des généraux, celle des marchands de canons, celle des troufions, la Troisième Mondiale et autres gentillesses du même tonneau. Et ses extraordinaires dessins sont aussi noirs que ses idées.

« Lorsqu’après avoir lu une page d’Idées noires de Franquin on ferme les yeux, l’obscurité qui suit est encore de Franquin. » Sacha Guitry

Planche intérieure de la BD Idées noiresJe ne connais pas de meilleure description de cette série pour le moins à part du père de Gaston Lagaffe, car ce qui caractérise les Idées noires d’André Franquin c’est justement leur manière de s’imprimer dans la mémoire de leur lecteur, voire peut-être même dans son inconscient : au contraire de l’écrasante majorité des productions de la narration graphique dans le domaine de l’humour, noir ou non, ces très courts récits continuent le plus souvent d’habiter leur lecteur bien longtemps après qu’il les ait lus. Sous bien des aspects, à vrai dire, ils se l’approprient, le prennent même en otage… En fait, vous ne trouverez rien ici de gratuit, mais au contraire de purs instantanés non de notre temps mais de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus sociopathe.

Planche intérieure de la BD Idées noiresIl faut dire aussi que leur auteur n’y va pas par quatre chemins quand il décide d’épingler les idées reçues comme les aberrations, ou plus précisément ceux qui les colportent ou les commettent, la plupart du temps avec la plus totale bonne foi. Voilà pourquoi, au fond, et à travers ces portraits des réac’, des généraux, des beaufs, des politiques, des fous de Dieu, sans oublier les autres, tous les autres, et tous ici croqués d’un simple coup de crayon magistral par son sens de la caricature dans tout ce qu’elle a de plus incisif, de plus juste, Franquin se moque surtout de vous et moi, de nos travers et de nos défauts, ceux qu’on cache bien sûr mais aussi – et surtout – ceux qu’on refuse de s’avouer, ou pire encore, ceux qu’on ignore…

Planche intérieure de la BD Idées noiresPour le moment du moins, et la lecture des Idées noires peut nous amener à combler cette lacune. Et d’autant plus que ces gags se construisent souvent sur un double jeu, un effet de chute à deux temps qui évoque des frères siamois, pour rester dans l’esprit de ces courtes bandes : au rire (jaune et grinçant) suscité par la blague elle-même se superpose le plus souvent un autre, qui prolonge la première farce à travers une seconde en général bien pire, et qui y rajoute une couche elle aussi bien conséquente avec son air de dire « je t’ai eu » – et c’est vrai, Franquin nous a eu, à sa manière inimitable qui consiste à savoir rire de tout, et surtout du plus grave.

« Cela vient sûrement d’une tendance à la dépression qui n’était pas mortelle car ce sont tout de même des gags pour faire rire, non ? » André Franquin

Planche intérieure de la BD Idées noires

Idées noires, Franquin, 1977-1983
Fluide Glacial, Les albums Fluide Glacial, mai 2001
72 pages, env. 11 €, ISBN : 978-2-858-15295-7

– le site officiel de l’œuvre de Franquin
– d’autres avis : Purple Velvet, Arcanes Lyriques, Michbret
Idées noires, un site de fan avec commentaires et index des parutions

Trent Aznalove : la « vraie » fausse star

Portrait photo de Trent Aznalove (et de son chien...)À l’heure où les « stars » préfabriquées se voient produites à la chaîne, certains ne perdent pas de vue le côté drôle de la chose et choisissent de tourner en dérision cette tristesse mercantile. Ainsi, un collectif de réalisateurs a-t-il choisi de créer lui aussi de toutes pièces une autre star de la chanson.

Le clip qui suit représente la première étape de ce détournement. La seconde passe par une deuxième vidéo, celle d’une interview pour le moins décalée de l’« artiste » lui-même. Ils ont même poussé le vice jusqu’à lui ouvrir une page Facebook. Le pari est-il réussi ? Vous en serez juge…

Et sans perdre de vue qu’une telle parodie n’est peut-être en fait qu’une autre stratégie marketing pour nous vendre encore plus de soupe…

En attendant… (2)

Sha, tome 3e : Soul Vengeance

Couverture du dernier tome du comics ShaSi elle a sauvé la vie du président, Duffy n’en est pas moins arrêtée : officiellement, pour complicité avec la reine du cybersexe dans la tentative d’assassinat envers le chef de l’état ; et officieusement, pour que ses bourreaux d’antan puissent enfin terminer le travail de son exécution sous la torture entamée cinq siècles plus tôt. Toute la différence étant que Duffy, cette fois, peut compter sur une alliée de taille, et d’autant plus que cette dernière a elle aussi quelques comptes à régler avec les tortionnaires de sa protégée…

Après les idées, voici le dénouement ; et après la réflexion, voici l’action. Comme il se doit dans un récit d’une part scénarisé par celui qui fonda jadis 2000 AD, et d’autre part illustré par un ponte du genre heroic fantasy sur le média de la narration graphique, cette conclusion se veut à la fois colorée et pleine d’énergie : les effets spéciaux et les pyrotechniques s’y entrecroisent dans un déluge d’action pure et de passions primaires où des comptes bien anciens se voient enfin réglés avec assez peu de compassion pour les victimes de dommages collatéraux. Bref, les coups de pied au cul valsent dans tous les sens.

Pour illustrer cette fin, ce dernier tome se bâtit sur une mise en page digne d’un vidéo-clip – encore que dans le domaine de réalisation de l’audiovisuel on parle plutôt de montage. Les lieux, les personnages et les actions s’entremêlent en un kaléidoscope frénétique et bariolé au dynamisme et à la fluidité à toute épreuve. C’est ce qui arrive quand des experts dans leur domaine respectif s’abandonnent ainsi à leur talent : on se retrouve au pur spectacle – celui qui ne lasse pas.

Certains regretteront peut-être qu’autant d’idées du calibre de celles exposées dans les deux tomes précédents débouchent finalement sur une conclusion aussi pauvre en terme de réflexion. Les autres se réjouiront de voir les auteurs adopter un type de dénouement aussi efficace car aussi classique dans la facture, du moins sur le support de la BD.

Après tout, il en faut pour tous les goûts…

Planche intérieure du second volume du comics Sha

Chroniques de la série Sha :

1. The Shadow One
2. Soul Wound
3. Soul Vengeance (le présent billet)

Sha, t.3 : Soul Vengeance, Pat Mills & Olivier Ledroit
Soleil Productions, avril 1998
46 pages, env. 13 €, ISBN : 978-2-877-64819-6

– le site officiel d’Olivier Ledroit
– d’autres avis : Les singes de l’espace, NANOOK, Krinein Magazine, Blog Bazar


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