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Universal War One

Couverture de l'édition intégrale de la BD Universal War One2058 – Entre Saturne et Jupiter, au cœur des jeunes États les plus prospères de la Fédération des Terres Unies, la troisième flotte de l’United Earthes Force veillait inlassablement sur la périphérie du système solaire. Elle assurait par son gigantisme un incroyable sentiment de sécurité à ses habitants.

Mais LE MUR est apparu.

Si grand, si sombre.

Insondable.

C’est à une escadrille d’officiers en cour martiale qu’échoit la périlleuse mission d’en percer les secrets… Et ce sera au péril de leurs vies.

Ici commence la Première Guerre Universelle.

Il y a dix ans maintenant, depuis la parution du sixième et dernier volume de cette série dont le premier sortit huit ans plus tôt, qu’Universal War One compte parmi les grandes réussites de la science-fiction sur le média de la BD francophone – et peut-être même de la BD tout court. Avec son scénario échafaudé dans les moindres détails, ses personnages plus ou moins sociopathes et son intrigue maîtrisée à la perfection, cette œuvre-phare de Denis Bajram rappelle à bien des égards le monumental Watchmen (1986) d’Alan Moore et Dave Gibbons. Quant au thème toujours délicat du voyage dans le temps, il s’orchestre ici sans aucun paradoxe, rejoignant ainsi les grands textes du genre comme le célèbre Vous les zombies (Robert A. Heinlein, 1959).

Universal_War_One_illus1Bien sûr, école franco-belge oblige, on ne trouve pas ici cette maîtrise de la prose typique de Moore, qui enrichit la partie artistique de manière fondamentale avec des textes illustrant les pensées des protagonistes et qui contribue de façon décisive à l’immersion du lecteur. De même, on peut regretter que la partie documentaire, faute d’un meilleur terme, qu’on trouve à la fin de chaque chapitre de Watchmen ne prend ici que deux pages car on aurait apprécié d’en savoir plus sur cet univers, même si celui-ci se montre somme toute assez classique. Il y a par contre une certaine dimension politique dans cette dénonciation du rôle des multinationales sur la scène internationale que chacun de nous connaît bien à présent.

Mais il ne s’agit pas de faire un faux procès à UW1, car toute sa force se trouve bel et bien dans son orchestration, montrant ici une maestria beaucoup trop rare, d’un des thèmes qui comptent à la fois comme les plus répandus et les plus difficiles à maîtriser de la science-fiction. D’abord parce qu’il s’agit d’un des plus anciens du genre et qu’on en trouve des exemples plus qu’à foison, de sorte que parvenir à se montrer original relève déjà de l’exploit ; ensuite parce que la structure même des récits de voyage dans le temps, d’une malléabilité sans aucune mesure avec celle des autres thèmes principaux du genre, augmente considérablement les probabilités de générer une incohérence, ou paradoxe – inutile de citer des exemples…

Universal_War_One_illus2Bajram navigue donc sur ces eaux capricieuses en parvenant à éviter ses deux principaux récifs, ce qui pousse déjà à l’admiration, et s’il ne renouvelle pas le thème du voyage dans le temps en le poussant vers une nouvelle évolution, comme le firent en leur temps Poul Anderson (1926-2001) avec ses récits de La Patrouille du temps (Guardians of Time, 1960), et Isaac Asimov (1920-1992) dans La Fin de l’Éternité (The End of Eternity, 1955), il illustre malgré tout à merveille un concept très peu utilisé : le continuum espace-temps comme un tout cohérent, où le temps totalise tous les voyages y ayant eu lieu au moment du récit ainsi que tous ceux qui y auront lieu à l’avenir.

Formulé autrement, aucun personnage ne modifie quoi que ce soit. Tous obéissent de fait à une histoire déjà écrite et sur laquelle leurs plus petites décisions s’inscrivent en réalité dans un ordre naturel des choses qu’ils ne peuvent impacter puisqu’ils en ignorent les tenants et les aboutissants. Pour paraphraser Ursula K. Le Guin dans son très recommandable La Main gauche de la nuit (The Left Hand of Darkness, 1969), nous ne sommes libres de nos actes que tant que nous en ignorons les conséquences – ou encore : connaître son futur revient à perdre sa liberté. Ainsi l’antagoniste du récit, pour sa folie autodestructrice, ou quelque chose de cet ordre, rappelle beaucoup le personnage d’Ozymandias dans le Watchmen déjà cité.

Universal_War_One_illus3Outre que le récit exposé démontre des qualités scénaristiques rarement égalées, un tel postulat présente aussi le mérite d’éviter de recourir à l’astuce toujours un peu facile, sinon franchement douteuse de l’univers parallèle contenant une autre version de l’histoire connue : ce genre de procédé narratif ne convainc plus personne depuis longtemps, et surtout pas un connaisseur du genre, d’une part, et d’autre part il paraît tout de même pour le moins ardu de concilier avec les lois physiques l’idée d’un univers qui se dédouble tout entier à chaque décision de ses habitants, soit à chaque seconde au moins, et d’autant plus que chacun de ces doubles devrait en enfanter un autre à la même allure lui aussi – Lavoisier (1743-1794) ne me contredira pas.

Il y a dix ans, donc, qu’UW1 trône au panthéon de la BD de science-fiction. Si grand, si sombre, et presque aussi insondable que ce MUR à partir duquel se déploie un récit hors normes où des personnalités tordues s’affrontent dans un monde au moins aussi malade. Le succès critique se doublant du commercial, cette courte série engendra un rejeton, Universal War Two, dont le premier tome sortit il y a trois ans.

Mais ceci, comme il se doit, est un autre voyage…

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Universal War One, Denis Bajram, 1998-2006
Quadrants, collection Quadrant Solaire
72 pages, env. 15 €, 6 volumes

– le site officiel de Denis Bajram
– le site officiel de la série

The Expanse

Visuel promotionnel de la série TV The ExpanseUn futur proche. La Terre, à présent unifiée, mais aussi Mars, devenue une nation indépendante, se partagent le système solaire alors que, dans l’espace, colons et prospecteurs peinent à extraire les matières premières pour fournir leurs ressources à ces deux grandes puissances. Entre celles-ci, des relations tendues depuis trop longtemps arrivent soudain au point de rupture avec la destruction subite d’un navire civil qui révèle l’existence d’une technologie procurant un avantage militaire décisif…

Dans la ceinture d’astéroïdes, l’enquêteur Josephus Miller se voit proposer de retrouver Julie Mao, fille d’un richissime industriel terrien qui a coupé les ponts avec sa famille pour rejoindre les colons et les prospecteurs. De son côté, James Holden compte parmi les rares survivants du Canterburry, ce navire de transport de glace saturnienne détruit par des forces inconnues, et il est bien décidé à découvrir pourquoi. Enfin, sur la Terre, la diplomate Chrisjen Avasarala enquête sur un trafic de pièces détachées qui menace les relations entre Mars et la Terre. Quel lien unit ces trois investigations ? Qui peut bien vouloir jouer ainsi avec la paix dans  le système solaire ?

Qui, ou « quoi » ?

Adaptation d’une série de récits par l’auteur à quatre mains James S. A. Corey, dont le premier volume se vit nominé pour les très prestigieux prix Hugo et Locus, et dont le second tome obtint d’ailleurs ce dernier, The Expanse nous intéresse avant tout pour sa description d’un futur probable où l’impasse de l’exploitation des ressources de la Terre poussa les habitants de cette dernière à chercher ailleurs ce dont ils ne pouvaient se passer pour perpétuer leur civilisation technicienne – un discours pour le moins classique dans le genre de la science-fiction et qui préoccupa assez vite la communauté scientifique (1) mais dont les diverses productions sur écran, du moins en occident, se montrent hélas assez avares.

L’évidence ne demandant aucune démonstration, je ne m’attarderais pas à expliquer ce qui nous menace à un horizon d’ailleurs assez proche si nous nous entêtons à ignorer les quantités quasi infinies de ressources qu’offre le système solaire, et au lieu de ça évoquerais plutôt ce portrait d’un avenir possible qui me semble constituer le principal intérêt de cette création. Car The Expanse ne nous décrit pas une destinée radieuse où la race humaine unie dans un effort commun dépassant tous les clivages se lance avec audace là où aucun homme n’est jamais allé afin de bâtir un monde nouveau qui sent bon l’utopie, pour ne pas dire la naïveté et comme on en vit de nombreuses itérations dans bien des productions antérieures.

Bien au contraire, les lendemains ici décrits montrent bien comme cette conquête de la nouvelle frontière se pavera de sueur et de larmes, si ce n’est de morts pures et simples pour fournir confort et douceur de vie à une forme d’élite restée bien confortablement sur un monde peut-être très amoché par les erreurs du passé mais néanmoins toujours plus clément que la vie dans l’espace. Il n’y a aucune raison, en effet, pour que l’avenir fasse rimer colonisation avec autre chose qu’exploitation, à moins d’ignorer les leçons de l’histoire. Pour cette raison, The Expanse ne se contente pas de dénoncer la lutte des classes en la transposant dans un avenir fictif : sur bien des aspects, et c’est bien là ce qu’il y a de plus dérangeant, elle la prolonge…

Sur le pur plan de la réalisation, on apprécie comme le scénario, les dialogues, la mise en scène et puis bien sûr les images illustrent chacun à leur manière cette civilisation de l’espace, depuis ses moindres aspects de la vie de tous les jours jusqu’à ses éléments techniques les plus obscurs – mais sans pour autant tomber dans l’abscons, voire le rébarbatif qui caractérise souvent ce type de productions. Ainsi, cet horizon pas si lointain que ça devient-il plus que crédible : il se montre tangible. Et de telle sorte que regarder un épisode de The Expanse revient à plonger tête première dans le futur tel qu’il nous attend ou presque, pour le pire comme pour le meilleur. C’est bien là une définition possible du sense of wonder (2) après tout.

Pour le reste, il s’agit avant tout d’un thriller rondement mené, à la structure narrative bâtie autour des classiques suspense, révélations, coups de théâtre et autres retournements de situation caractéristiques de ce type de production mais qui se trouvent tous ici assez bien dosés pour tenir le spectateur en haleine sans pour autant trop tirer sur la corde de l’invraisemblance ou bien du spectaculaire gratuit, parmi d’autres défauts typiques du genre. On peut aussi apprécier la description d’une scène politique complexe farcie de toutes sortes de complots et de trahisons qui rappellent assez Games of Thrones (David Benioff et D. B. Weiss, 2011) mais en plus léger bien que pas forcément plus digeste – on s’y perd toujours un peu.

D’ailleurs, si cette première saison se termine comme il se doit en cliffhanger, elle propose malgré tout un récit dans l’ensemble très appréciable et laisse augurer une seconde saison qui, on l’espère, se montrera aussi passionnante. À dire le vrai, The Expanse s’annonce comme la meilleure réalisation de science-fiction sur le petit écran depuis trop longtemps.

(1) j’en veux pour exemple le très recommandable essai de Gerard K. O’Neill (1927-1992) paru en 1976 et intitulé The High Frontier (Collector’s Guide Publishing, 2001 pour la 3ème édition révisée, ISBN : 1-896-52267-X), qui examinait les possibilités de colonisation de l’orbite terrestre afin d’utiliser les ressources de l’espace proche pour autoriser la poursuite de notre développement industriel.

(2) cette expression désigne en général le sentiment de vertige, ou ressenti du même ordre, qui saisit le lecteur face à l’exposition de certains faits techno-scientifiques qui bouleversent sa perception du réel et/ou sa compréhension du monde ; c’est un effet typique de la science-fiction.

Notes :

L’écriture de la seconde saison a commencé en mai 2015, avant que l’épisode pilote de la première soit diffusé, et cette suite se vit confirmée en décembre de la même année. Cette seconde saison doit être diffusée en 2017.

The Expanse est à ce jour la production télévisuelle la plus coûteuse qu’ait produite la chaîne Syfy.

The Expanse, Mark Fergus et Hawk Ostby, 2015
NBC Universal Television Distribution
10 épisodes (1 saison) à ce jour

– le site officiel de The Expanse
– d’autres avis : Small Things, ÀMHÁ, Le Kamikaze de l’écran, A.V. Club

 

Sin City

Affiche française du film Sin CityBasin City. Jadis une des villes minières bâties lors de la Ruée vers l’or, elle serait devenue une cité fantôme de plus si le clan Roark n’avait pas exploité sa position sur la route de l’Ouest pour en faire un lieu de tous les plaisirs. Un siècle après, les tripots, les bouges, les gangsters et les bordels sont encore là, toujours aux mains de cette famille en apparence si respectable. Dans ses rues poisseuses, des destins se croisent qui, chacun à leur manière, contribuent tous à la faire appeler Sin City – la ville du vice et du péché…

On connaît bien le problème des adaptations au cinéma. D’ailleurs, Frank Miller le connaît aussi. Au point qu’il refusa longtemps de voir sa série de comics Sin City (1991-2000) portée sur le grand écran. Il fallut tout le talent de persuasion de Roberto Rodriguez pour le convaincre, mais non sans un bout d’essai, sous la forme de la scène d’ouverture du film qui reprend d’ailleurs un court one shot de la série – vous pourrez trouver celui-ci au sommaire du volume six de l’édition française, Des Filles et des flingues (Booze, Broads & Bullets ; 1999). Comme tout auteur, en effet, Miller craignait de voir son œuvre dénaturée. Il savait déjà, et depuis un bout de temps, de quelle manière Hollywood travaille.

Aussi, c’est d’une façon somme toute assez naturelle qu’il se vit associé à la réalisation en plus de l’écriture du scénario. Mais, comme il se doit, ce détail ne calma pas l’ire des fans, ou du moins ceux d’entre eux qui trouvèrent la copie moins bonne que l’original – il y en a toujours. Bien sûr, les récits ainsi adaptés se voient quelque peu tronqués ici et là ; de plus, le scénario les présentent dans l’ordre chronologique des événements et non dans l’ordre de parution des comics de départ ; enfin, le passage au cinéma rend difficile de respecter à la lettre le style graphique tout en aplats de noir qui caractérise Sin City. Mais ces détails en fin de compte assez secondaires ne parviennent pas à masquer que Sin City le film reste avant tout un brillant hommage au roman noir.

Car sous bien des aspects, cette production nous propose surtout un voyage dans le temps, non vers l’époque de ces années cinquante où le roman noir prit son véritable essor, mais vers l’esprit de cette époque. Si on ne doute à aucun moment que l’action prend place de nos jours, à quelques années près, plusieurs éléments nous ramènent un demi-siècle en arrière. Et en premier lieu les voitures. Ce sont des Cadillac Eldorado, des Ford Thunderbird I ou des Plymouth Fury qu’on croise dans les rues de Sin City et à ses alentours, soient des emblèmes d’une époque où le « Rêve américain » parvenait encore à cacher sous la ferveur d’après-guerre tout ce moisi et cette pourriture dont aucune société ne parvient jamais à se débarrasser vraiment…

Ici et 50 ans après, cette merde n’en a que d’autant plus fermenté et dégage à présent cette puanteur pestilentielle qui attire toujours plus de vermines tout en anesthésiant les autres. La preuve : plus personne ne se révolte, et surtout pas les héros des trois courts récits qui composent ce film. Ou plutôt, ils jouent tous selon les règles tacites de ces parties truquées où l’odeur de la poudre et les murmures des lames tapissent les murs de sang, voire plus selon affinités. Tous otages de ce maelstrom de folie furieuse, il ne leur reste plus qu’à espérer pouvoir dégainer à temps. Viser juste ne leur pose pas de problème en général. Pas trop en tous cas. Reste encore à savoir sur qui tirer. Les pires sont toujours les plus difficiles à dénicher.

En fait, les habitants de cette ville du vice et du péché n’ont jamais que les autorités qu’ils méritent, qu’ils ont élu tout en sachant bien qu’ils ne tiendraient jamais leurs promesses et au lieu de ça utiliseraient leur pouvoir pour se creuser une place au soleil aux dépends des autres, plus faibles – ceux-là, justement, qui ont voté pour eux : toute analogie avec aujourd’hui n’a certainement rien d’une coïncidence… Voilà, en gros, ce qu’explique le sénateur Roark à l’inspecteur Hartigan, que face à la démission des citoyens, le système bascule dans le chaos de l’injustice et du gangstérisme, là où ne reste plus que la loi du plus fort. Le portrait, ici, se veut à peine exagéré au final, ou du moins juste ce qu’il faut pour souligner son ambiance de vaine boucherie.

Ce qui d’ailleurs reste assez typique du travail de Frank Miller, celui des débuts en tous cas, et qui lui valut une part non négligeable de son succès à présent plus de trentenaire. L’ensemble des productions Sin City, en effet, se situent tout à fait dans la lignée des premières productions de l’auteur ; je pense bien sûr à sa reprise du personnage de Daredevil qu’il tira peu à peu vers des récits dans le plus pur style « polar noir » mais que le comics code et les éditeurs édulcorèrent certainement : en s’affranchissant de ces influences, Miller put porter cette déclinaison du genre en comics jusqu’aux sommets qu’il entrevoyait vraiment. Pour cette raison au moins, n’hésitez pas à emprunter les ruelles sombres de Sin City, mais de préférence par une nuit sans lune…

Récompenses :

Festival de Cannes : Prix Vulcain de l’artiste technicien pour Robert Rodriguez.
Irish Film and Television Award : Meilleur acteur étranger pour Mickey Rourke.
San Diego Film Critics Society Award : Meilleurs décors.
Saturn Awards : Meilleur film d’action/aventures/thriller et Meilleur second rôle masculin (Mickey Rourke).
Chicago Films Critics Association Award : Meilleur second rôle masculin (Mickey Rourke).
Online Film Critics Society Awards : Meilleure photographie, Meilleur montage et Meilleur second rôle masculin (Mickey Rourke).

Séquelle :

Annoncée peu après la sortie du film, elle se présente sous la forme d’une adaptation du second volume de la série de comics, J’ai tué pour Elle (A Dame to Kill for ; 1995), avec le casting original en plus d’Angelina Jolie et de Johnny Depp. Le scénario, finalisé depuis 2011, prévoit de compléter ce récit par deux histoires originales écrites par Frank Miller. Un troisième opus est aussi en préparation, mais sans plus de détails pour le moment.

Sin City, Frank Miller & Robert Rodriguez, 2005
Wild Side Video, 2012
119 minutes, env. 10 €

L’Appel de l’espace

Couverture de la dernière édition française du comics L'Appel de l'espaceFin des années 70, au Nouveau-Mexique. L’observatoire de radioastronomie de Mesa capte un signal prouvant qu’existe bel et bien une forme de vie extraterrestre et douée d’intelligence. Ce message va très vite produire un impact sans précédent sur tous les habitants de la Terre. Mais au lieu de pousser les nations de la planète vers une nouvelle ère de paix à travers l’unification des peuples, ce signal exacerbe au contraire les tensions entre des grandes puissances déjà au bord d’une autre guerre mondiale.

L’une des premières œuvres de Will Eisner qu’il qualifiait du terme de « graphic novel » – soit un « roman graphique » en français –, L’Appel de l’espace se base sur l’inversion aussi habile dans la forme que pertinente sur le fond d’un thème jusqu’alors dépeint le plus souvent avec une certaine naïveté : celle de croire que la découverte d’une intelligence extraterrestre changerait forcément notre monde en mieux. À travers un récit qui passe au vitriol les divers excès des États-Unis d’une époque comme de ceux de diverses autres nations du globe, y compris certaines inventées pour servir le récit mais dont la symbolique se montre pour le moins transparente, l’auteur nous montre la vision opposée de ce thème, ou du moins celle de ses itérations les plus populaires.

Planche intérieure du comics L'Appel de l'espaceD’ailleurs, en dépit de toute la noirceur au moins sous-jacente de cette histoire, il y parvient avec beaucoup d’humour – noir, certes, mais de l’humour quand même. Il mêle les genres aussi : politique-fiction, thriller, espionnage, satire,… Et outre les dirigeants des deux plus grandes puissances du moment qui essaient de damer le pion à l’autre dans cette nouvelle course pour la suprématie, ses personnages vont du scientifique au dictateur d’une obscure nation africaine, en passant par le PDG d’une multinationale sans âme comme les principaux acteurs d’une secte d’illuminés, et même les gangsters de la Mafia – parmi d’autres. Pour dire comme ce récit illustre nombre de travers d’un temps, et dont beaucoup ont subsisté jusque de nos jours d’ailleurs. De tout ce micmac, son héros ne sortira que de justesse, de même que le reste du monde qui, pour le coup, aura eu bien chaud.

Indispensable d’un des auteurs les plus importants de l’histoire du comics, et même de la BD internationale, L’Appel de l’espace compte encore à ce jour parmi les productions majeures d’un artiste comme d’un média et peut-être même d’un genre – ici, la science-fiction. Bref, c’est une œuvre à ne manquer sous aucun prétexte.

Planche intérieure du comics L'Appel de l'espace

L’Appel de l’espace (A Signal from Space), Will Eisner, 1978-1980
Delcourt, collection Contrebande, janvier 2011
136 pages, env. 14 €, ISBN : 978-2-756-02208-6

– le site officiel de Will Eisner (en)
– les cinq premières planches sur BD Fugue
– d’autres avis : Comic Box, Culture-SF, Les Boggans, Benzine, Fluctuat, L’Express

Le Projet Blair Witch

Jaquette DVD du film Le Projet Blair WitchOctobre 1994. Trois étudiants en cinéma partent dans la forêt de Blair tourner un documentaire sur la légende d’une sorcière locale remontant à la fin du XVIIIe siècle. Personne ne les reverra jamais. Mais un an après, on retrouve dans les fondations d’une vieille cabane un sac contenant le matériel de tournage et les cassettes des disparus : à partir de ces épreuves brutes, les autorités parviennent à reconstituer les événements survenus aux trois étudiants depuis le jour de leur départ pour cette forêt qu’on prétend maudite…

Ça arrive de temps en temps : un film surgi d’on ne sait où, la plupart du temps réalisé par d’illustres inconnus, apporte une bouffée de fraîcheur à un genre devenu sclérosé. Ainsi, à une époque où les films d’horreur n’effrayaient plus personne depuis de nombreuses années et s’enlisaient dans une redite perpétuelle devenue peu à peu de l’auto-parodie pas toujours volontaire, Le Projet Blair Witch, s’il n’inventait rien, ou si peu, parvenait néanmoins à présenter sous un angle inédit un thème éculé et un point de départ narratif pour le moins cliché. Par-dessus le marché, les réalisateurs y parvenaient avec un budget ridicule et une absence totale d’effets spéciaux…

Pourtant, l’astuce utilisée ici reste bien ancienne : elle consiste à ne jamais – au grand jamais – laisser voir le monstre, ni même la mort d’un protagoniste. Cette technique bien rodée présente pour immense mérite de laisser l’imagination du spectateur faire tout le travail, à défaut de se montrer spectaculaire – un choix à l’intérêt toujours plus limité après des années de développement exponentiel des technologies d’effets spéciaux numériques. Et comme l’audience de ce genre de film a bien souvent une imagination d’une fécondité à toute épreuve…

Il en résulte donc un film de pure ambiance, où l’horreur se trouve tapie dans le moindre bosquet, derrière le plus petit buisson, au détour d’un simple cours d’eau. À l’affut, elle attend la moindre occasion de se jeter à la figure des protagonistes comme de celle du spectateur puisque la frontière entre les deux reste toujours floue dans ces productions à mi-chemin de la fiction et du documentaire. La stratégie marketing choisie par les distributeurs, qui ont voulu faire croire à un documentaire réel, traduit la même approche…

On peut d’ailleurs expliquer au moins une partie du succès de ce film par cette volonté de l’équipe de production d’effacer, ou à tout le moins de réduire la distance entre la réalité et la fiction. Ainsi devenue partie intégrante du récit, en tous cas indirectement, l’audience y participe, parfois même bien malgré elle. Plusieurs réalisations de John Carpenter, pour rester dans le registre du film d’horreur, reposent d’ailleurs sur une mécanique immersive semblable (1)

Mais ne voyez pas pour autant dans la résurgence de ce ressort du genre une quelconque volonté régressive des réalisateurs de Blair Witch, bien au contraire : avec leur choix d’une facture aussi originale qu’efficace, ils ont en fait signé là un film d’horreur comme on en faisait plus depuis plusieurs années à l’époque – un film d’horreur digne de ce nom…

(1) à noter néanmoins qu’elle ne fonctionne que dans une certaine mesure : poussée dans ses derniers retranchements, elle tend à tomber à plat – c’est le cas en particulier dans The Thing (1982) du même John Carpenter.

Récompenses :

Festival de cannes : Prix de la jeunesse (1999)
Film Independent’s Spirit Awards : Prix de la meilleure première œuvre ayant un budget inférieur à 500 000 dollars (2000)

Notes :

Avec son coût de production évalué à 25 000$, Le Projet Blair Witch ramena près de 250 millions de dollars de bénéfice dans son exploitation mondiale, devenant ainsi le film le plus rentable de toute l’histoire du cinéma à ce jour.

Le Projet Blair Witch connut une suite, Blair Witch 2 : Le Livre des ombres (Joe Berlinger ; 2000), qui eut bien moins de succès ; d’ailleurs, je ne le conseille pas. Un troisième Blair Witch est en préparation depuis 2009.

Ce film inspira aussi plusieurs jeux vidéo, tous sortis sur PC en 2000 : Blair Witch Volume 1: Rustin Parr, Blair Witch Volume 2: The Legend of Coffin Rock et Blair Witch Volume 3: The Elly Kedward Tale.

Le Projet Blair Witch, Daniel Myrick & Eduardo Sánchez, 1999
Bac, 2009
78 minutes, env. 7 €

– le site officiel (en) du film
– d’autres avis : Film de Culte, Images et Mots, Scifi-Universe, Le blog pickachu

Scarlet Traces

Couverture de l'édition française du comics Scarlet TracesLa Grande-Bretagne, bientôt dix ans après la tentative d’invasion de la Terre menée par les martiens.

Le royaume est sorti grandi de cette épreuve, il a appris à utiliser la technologie abandonnée par les martiens et à l’intégrer à la vie quotidienne de ses habitants. Mais lorsque les corps de jeunes filles vidées de leur sang s’échouent sur les berges de la Tamise dans l’indifférence la plus totale, deux anciens militaires, le major Robert Autumn et le sergent Archibald Currie, se trouvent malgré eux mêlés à une affaire dépassant largement le cadre de « simples » meurtres.

Des beaux quartiers de Londres aux ghettos écossais et jusqu’à la verdoyante campagne anglaise, nos enquêteurs improvisés vont mettre à jour les dessous d’une société faussement idyllique qui a bâti sa prospérité sur un monstrueux secret.

Bienvenue dans l’ignominie !

Planche intérieure du comics Scarlet TracesParce qu’il a inventé le concept d’invasion de la Terre par des extraterrestres, le roman La Guerre des mondes (1898) d’Herbert Georges Wells (1866-1946) constitue une œuvre fondatrice du genre de la science-fiction. Peuvent en témoigner les innombrables créations qui l’ont suivi, sur le même thème et sur tous les médias, et dont la production ne se tarit pas : sous bien des aspects, ce sujet demeure un des plus emblématiques du genre. Peut-être pour cette raison, le roman de Wells jouit encore plus d’un siècle après sa parution d’une aura de classique absolu, et pour ainsi dire intouchable : rien ne peut le remplacer et si les adaptations ne manquent pas, seuls les plus téméraires ont osé s’aventurer à le prolonger (1) – c’est-à-dire le dépasser…

Planche intérieure du comics Scarlet TracesAvec Scarlet Traces, le duo Ian Edginton et D’Israeli s’y essaie, à travers un récit d’enquête policière dans une Angleterre devenue première puissance du monde grâce à la technologie martienne. Hélas, si le scénario ne manque pas d’expliquer comment les humains sont parvenus à la maîtriser, il laisse presque entièrement de côté les seuls sujets qui importent vraiment : de quelle manière ce prodigieux bond en avant impacte la société anglaise et comment l’échiquier politique international s’en trouve bouleversé. De ces questions-là, on ne sait presque rien, mais que la différence avec l’époque victorienne réelle reste mineure correspond somme toute assez bien à une certaine conception de l’uchronie voulant que, même parallèle, l’Histoire débouche sur des situations comparables.

Il reste néanmoins une enquête policière très bien menée, et qui sait marier le mystère au suspense dans une ambiance assez unique en son genre pour sa démarcation par rapport aux clichés les plus éculés du steampunk. Le style proche de la « ligne claire » qui caractérise les graphismes de D’Israeli contribue d’ailleurs beaucoup à cette plongée vers l’aube du XXe siècle, mais en restant néanmoins fidèle à la culture comics.

À la fois un ouvrage atypique et un récit palpitant, Scarlet Traces vaut en fin de compte largement le détour, au moins pour ceux d’entre vous friands de polars – et de préférence bien noirs.

Planche intérieure du comics Scarlet Traces

(1) à cette liste conséquente méritent de se voir ajoutés le roman de Jean-Pierre Guillet intitulé La Cage de Londres (À Lire, collection Romans n° 064, 2003, ISBN : 2-922145-71-9), ainsi que le projet de film d’animation War of the Worlds: Goliath actuellement en cours de production.

Préquelle et séquelle :

On doit aux auteurs une adaptation du roman de Wells déjà mentionné, dans laquelle les principaux protagonistes de Scarlet Traces apparaissent, faisant ainsi de cette adaptation une préquelle de l’opus chroniqué ici. Scarlet Traces: The Great Game (2006), par contre, en est la suite directe, qui situe son intrigue 30 ans plus tard ; bien qu’encore indisponible en France, cette courte série reçut deux nominations aux Will Eisner Awards pour la Meilleure série limitée et le Meilleur auteur.

Scarlet Traces, Ian Edginton & D’Israeli, 2002
Kymera, juin 2005
87 pages, env. 12 €, ISBN : 978-2-952-31692-7

– le blog officiel de D’Israeli (en)
– d’autres avis : Scifi-Universe, Hey Kids!, Clair de Bulle

Minority Report

Jaquete DVD de l'édition simple du film Minority ReportWashington, 2054. Il y a six ans maintenant que le meurtre a disparu de cet état. À l’aide de mutants capables de voir l’avenir, la division de police Pré-Crime dirigée par John Anderton peut déterminer avec la plus grande précision le lieu et le moment d’un assassinat afin d’intervenir avant qu’il se produise… Mais alors qu’un référendum doit décider si Pré-Crime peut être étendu à l’ensemble du pays, Anderton se voit soudain accusé d’un meurtre à venir : il ne lui reste plus que 36 heures pour prouver son innocence.

Et pour autant qu’il soit vraiment innocent : son crime, après tout, reste encore loin dans le futur et bien des choses peuvent se produire d’ici là…

Tiré de la nouvelle Rapport minoritaire (1956) (1) de Philip K. Dick (1928-1982), texte que je n’ai pas lu, Minority Report nous présente une société où les meurtres de sang froid ont disparu grâce à l’utilisation par la police de mutants qui permettent d’empêcher un crime par leur capacité à voir l’avenir. Outre que celui-ci reste sujet à caution, puisque les visions qu’en ont les différents mutants ne coïncident pas toujours, ce film montre surtout une société coupable de justice expéditive, un écueil que le scénario tente d’éviter au début de l’histoire à travers une démonstration hélas assez poussive et au final peu convaincante : un tribunal, en effet, ne juge pas les intentions mais les actes, et aux dernières nouvelles il n’y a pas de meurtre sans cadavre…

Pourtant, la notion de pré-crime existe bel et bien ici, et on trouve donc tout à fait normal d’appréhender et de condamner des gens pour des meurtres qu’ils n’ont pourtant pas commis. Une notion telle que celle-ci, qui défie bien sûr le simple bon sens, s’avère néanmoins assez typique de Philip K. Dick, un auteur resté célèbre pour la dimension paranoïaque de ses écrits qui prend racine dans sa psyché tourmentée mais aussi dans l’époque où il commença à écrire : les États-Unis des années 50, en effet, se caractérisaient par le maccarthysme et sa « chasse aux sorcières » qui brisa bien des vies innocentes ou bien alors seulement coupables de penser d’une manière différente de la majorité… Nul besoin d’y regarder de près pour y distinguer de l’obscurantisme pur et simple.

Si encore il s’agissait d’une simple erreur d’antan, on pourrait la mettre sur le compte d’une mentalité rétrograde. Pourtant, l’Amérique s’est rendue coupable d’une faute semblable dans son actualité récente ; je parle de sa politique contre le terrorisme international suite aux attentats du 11 septembre, et en particulier de son fiasco complet dans sa gestion du camp de Guantánamo. À moins d’un demi-siècle d’écart, et la menace soviétique écartée depuis une quinzaine d’années à peine, les États-Unis s’avèrent en fait incapables d’apprendre de leurs erreurs passées. À vrai dire, le principal intérêt de ce film se trouve dans cette illustration-là, et non dans une métaphysique de bazar sur l’opposition entre libre arbitre et déterminisme comme on le clame trop souvent…

Mais il s’agit aussi d’un thriller d’envergure mené de main de maître et tambour battant par un réalisateur qui n’a plus rien à prouver depuis longtemps. Et en dépit de divers traits typiques des blockbusters et d’Hollywood en général, Minority Report reste une production à la fois originale et nimbée d’une certaine finesse : pour cette raison, vous ne regretterez pas de l’avoir vu.

(1) vous pourrez la trouver au sommaire des ouvrages Minority Report (et autres récits) (Gallimard, coll. Folio SF n° 109, septembre 2002, ISBN : 2-07-042606-8) et Rapport minoritaire – Souvenirs à vendre (Gallimard, coll. Folio bilingue n° 161, juin 2009, ISBN : 978-2-07-039931-4).

Adaptations :

Minority Report (sorti en France en 2003), un jeu vidéo sur PlayStation 2, GameCube et Xbox.
Minority Report: Everybody Runs (2002), un jeu vidéo sur Game Boy Advance.

Récompenses :

Festival du film d’Hollywood : Meilleur film d’Hollywood de l’année.
Broadcast Film Critics Association : Meilleur réalisateur (Steven Spielberg), Meilleur compositeur (John Williams).
Online Film Critics Society : Meilleur second rôle féminin (Samantha Morton).
Visual Effects Society : Meilleure composition pour un film (Scott Frankel & Patrick Jarvis), Meilleure direction artistique des effets pour un film (Alexander Laurant & Alex McDowell).
Saturn Awards : Meilleur film de science-fiction, Meilleur réalisateur (Steven Spielberg), Meilleur scénario (Scott Frank & Jon Cohen), Meilleur second rôle féminin (Samantha Morton).
Club allemand de science-fiction : Prix Curt-Siodmak du meilleur film de science-fiction.

Notes :

Au départ, le scénario de Minority Report fut écrit pour devenir la suite de Total Recall (Paul Verhoeven ; 1990). Il connut par la suite de nombreuses réécritures, sous l’influence de plusieurs auteurs et producteurs successifs, jusqu’à aboutir au résultat qu’on connaît.

De nombreux éléments narratifs et artistiques de ce film rendent un hommage assez évident à Stanley Kubrick (1928-1999), à l’époque récemment disparu et qui avait collaboré dans ses dernières années avec Tom Cruise comme avec Steven Spielberg.

Les trois mutants qu’utilisent Pré-Crime pour prédire les crimes – Agatha, Dashiell et Arthur – sont prénommés d’après de célèbres écrivains de romans policiers : Agatha Christie (1890-1976), Dashiell Hammett (1894-1961) et Arthur Conan Doyle (1859-1930).

Minority Report, Steven Spielberg, 2002
20th Century Fox, 2003
141 minutes, env. 10 €

Patlabor 3

Jaquette DVD de l'édition collector double DVD du film Patlabor 3Quand le niveau d’accidents de labors commence à exploser aux alentours de la Baie de Tokyo, les détectives de police Kusumi et Hata se trouvent chargés de l’affaire. Ce qu’ils découvrent les amène à révéler une conspiration gouvernementale concernant une nouvelle arme biologique appelée WXIII-Wasted Thirteen mais aussi une tragique connexion personnelle à Hata. Pour stopper cette menace ils devront coopérer avec les militaires et mener WXIII à se mesurer aux labors de la Division des Véhicules Spéciaux 2.

Très réussi au niveau des graphismes mais aussi sur le plan de l’ambiance générale, ce film souffre hélas d’un effet téléfilm de M6 qui a de quoi laisser sur leur faim les aficionados de parlote parfois un poil creuse d’un Mamoru Oshii : si l’idée du récit et son développement scénaristique ont été vus assez souvent pour savoir comment l’histoire va finir dés qu’on a saisi de quoi il retourne, cette mouture propose au moins des personnages principaux qui ne sont pas membres de la Mobile Police ainsi qu’un « méchant » qui ne ressemble pas aux clichés du genre… Sans être foncièrement original à proprement parler, c’est en tous cas un changement bienvenu par rapport à la norme de cette franchise.

Personnellement, je ne pense pas que ce film soit à éviter comme l’affirment de nombreux commentateurs souvent très admiratifs de la série d’OVA originale : les qualités techniques de cette réalisation valent bien le coup d’œil et même si l’intrigue reste dans ses grandes lignes digne d’une série B, il s’agit tout de même de l’ambiance Patlabor ce qui change pas mal du téléfilm de base. Ceci étant dit, une fois qu’on l’a vu, rien n’oblige à le conserver non plus…

Les fans de la franchise Patlabor, de même que les spectateurs friands de performances techniques trouveront là de quoi satisfaire leurs appétit. Quant aux autres, ils devront se faire leur avis eux-mêmes…

Note :

Bien qu’il s’agisse de la production Patlabor sur grand écran la plus récente encore à ce jour, les événements de ce film se situent en fait entre le premier et le second long-métrage de la franchise.

Patlabor WXIII, Fumihiko Takayama, 2001
Fox Pathé Europa, 2005
110 minutes, env. 3 € (occasions seulement)

Cette chronique fut à l’origine publiée sur le site Animeka

Perfect Blue

Jaquette DVD du film Perfect BlueMima fait partie du groupe Cham!, un trio d’idol singers au succès commercial plutôt mitigé mais dont les fans sont particulièrement fondus. Un jour, elle décide de laisser tomber la chanson pour se consacrer à une carrière de comédienne… Ses relations lui permettent de trouver vite un petit rôle dans une série policière en prime-time, mais s’imposer pour gravir les échelons jusqu’à voir son personnage devenir un élément-clé de l’intrigue lui demande beaucoup de travail et de sacrifices.

À toute cette pression s’ajoutent peu à peu des messages anonymes et des insultes qui lui reprochent d’avoir trahi Cham! et ses fans. Puis elle se rend compte que son appartement est visité. Le site web que lui consacre un fan anonyme divulgue des renseignements sur elle-même qu’elle se croyait la seule à connaître. Et enfin il y a les meurtres, tous plus sanglants et atroces les uns que les autres, qui déciment l’équipe de tournage…

C’est à ce moment que commencent les hallucinations, en prologue à une descente aux enfers enfiévrée.

Bien que charmé par ses excellentes qualités de réalisation, je suis d’abord resté un peu déçu par Perfect Blue, peut-être parce-que j’ai trouvé le coupable de ces meurtres en série en à peine un quart d’heure… Mais à y regarder de plus près, cette apparence d’intrigue policière ne représente qu’un élément superficiel du scénario. Car sous ces dehors, le crescendo de la folie qui gagne Mima peu à peu, et qui se voit ici retranscrit avec grand brio, constitue sans discussion possible le véritable sujet de ce récit, au point d’ailleurs d’en faire une production à ne rater sous aucun prétexte. Sous bien des aspects à vrai dire, ce film représente presque un manifeste du très regretté Satoshi Kon et annonce toute son œuvre, alors encore à venir, qui trouve son identité dans la manipulation du réel sous toutes ses formes.

Mais il s’agit aussi d’une critique acerbe et sans concession du star system et de l’industrie du divertissement qui chacun à leur manière « chosifient » les jeunes talents afin de les faire rentrer dans le moule du profit, au mépris à la fois de l’artiste mais aussi – et surtout – du spectateur : le tapage médiatique, en effet, ne réduit pas seulement celui-ci à une vache à lait, il en fait aussi une victime obnubilée par une image fausse car créée de toutes pièces par des stratégies marketing destinées à vendre toujours plus et qui n’a le plus souvent qu’un lointain rapport avec la réalité.

Dans cette dénonciation virulente du show biz japonais, dont le réalisateur présente les acteurs principaux – les artistes comme leurs admirateurs – en victimes de rouages inhumains qui les perdent tous un petit peu plus à chaque jour, les réalités s’entrechoquent dans un crescendo d’hallucinations qui ne laisse plus que la folie : une œuvre indispensable !

Notes :

Durant la fameuse scène d’agression au couteau, la boite à pizza sur laquelle figure la mention « Big Body » est un hommage au compositeur japonais Susumu Hirasawa et à son groupe de musique électronique P-Model, dont le dixième album porte pour titre Big Body. D’autres scènes présentent des clins d’œil semblables, sous la forme d’affiches publicitaires ou de sacs de course portant comme texte les titres de différents morceaux du compositeur. Hirasawa collaborera par la suite à plusieurs réalisations de Satoshi Kon : Millenium Actress (2001), Paranoia Agent (2004) et Paprika (2006).

De nombreux commentateurs ont souligné la similitude entre la scène de la baignoire de Mima, où celle-ci retient son souffle sous l’eau, et celle du film Requiem for a Dream (Darren Aronofsky ; 2000) où la comédienne Jennifer Connelly fait la même chose. Aucune confirmation officielle de la part du réalisateur n’a été obtenue sur ce point…

Au départ planifié comme un film live action, Perfect Blue devint un anime quand plusieurs sponsors du projet choisirent de façon assez abrupte de s’en retirer.

Perfect Blue, Satochi Kon, 1997
HK Vidéo, 2003
80 minutes, env. 15 €

– le site officiel de Satoshi Kon
– le site officiel du film chez Manga Entertainment
– d’autres avis : Filmdeculte, AsiePassion, Lysao, Animint, Naveton, CloneWeb

Vixit – Tueur de ville

Couverture de la première édition du premier tome de la BD VixitMelgart Kilgor, mercenaire et spécialiste de la démolition, encadre une équipe de repris de justice engagés par la compagnie Cemac pour mener à bien l’opération Edelweiss. Leur boulot : raser une ville à l’abandon. Leur récompense : une remise de peine. Mais parmi eux se trouve un certain Rosco, vieille connaissance de Mel qui l’envoya au trou quelques années plus tôt, et le taulard fait vite savoir à tout le monde qu’il n’est pas venu ici juste pour obtenir la clémence des juges.

Le lendemain, on retrouve Rosco mort et Mel doit prouver à ses gars qu’il n’y est pour rien : pas évident quand on a affaire à du gibier de potence qui n’a pas l’habitude d’y aller par quatre chemins pour régler ses problèmes, et encore moins de se creuser la tête quand les apparences se montrent aussi évidentes. Et ça ne s’arrange pas quand d’autres meurtres sont découverts…

Planche intérieure de la BD VixitOn a tous à un moment ou à un autre eu l’occasion de tomber sur une œuvre unique. Ce genre de création qui présente trop de lacunes pour prétendre au statut de chef-d’œuvre, ou même de simple classique, mais qui combine néanmoins avec talent un niveau d’excellence peu contestable sur les principaux éléments dont elle se compose en plus de reposer sur un thème rare. En l’occurrence, les principaux éléments sont bien sûr le scénario et les dessins, alors que le thème est celui de la « mort » d’une ville – mais d’une ville devenue sujet à travers les actes d’un personnage assez peu commun qui ne s’encombre plus de scrupules tant son statut d’être humain est devenu pour le moins discutable.

Vixit, premier et à ce jour unique tome de la série Tueur de ville créée par Ralph et Kisler, s’impose donc comme une création toute aussi riche que singulière.

Planche intérieure de la BD VixitPar son scénario d’abord. Assez typique des années 80 dans sa manière de mêler une certaine violence, à la fois physique et morale, à la déchéance d’un futur terriblement immédiat où les valeurs humaines ne semblent pas éteintes mais plutôt n’avoir jamais existé, ce récit se réclame presque du cyberpunk. Avec ses protagonistes tirés d’une prison de haute sécurité et chargés d’une mission atypique par une compagnie qu’on devine bien sûr multinationale et tentaculaire, la narration installe d’emblée une impression assez peu comparable à d’autres. Quant à la révélation du coupable, au milieu du tome, elle constitue le point culminant de ce malaise qu’éprouve le lecteur dès le début : le monstre, en effet, s’avère surtout victime…

Encore que Vixit s’affirme surtout comme une œuvre d’ambiance, et sur ce point les graphismes de Kisler se montrent tout à fait à propos.

Planche intérieure de la BD VixitTantôt claires, tantôt obscures, mais présentant toujours une part de glauque, ces illustrations combinent les styles franco-belges et anglo-saxons avec une maturité assez typique de cette époque où les auteurs français avaient pleinement assimilé les codes du comics dans leur art. À la fois dynamiques et contemplatives, ces planches donnent une personnalité et une aura bien spécifiques à la cité et à son complexe industriel : d’une manière assez étrange, on pense à Mad Max (George Miller ; 1979) et en règle générale à une sorte de post-apocalyptique qui ne veut pas dire son nom ; mais on pourrait aussi évoquer le western, ainsi que Les Douze Salopards (The Dirty Dozen ; Robert Aldrich, 1967), parmi d’autres inspirations…

Au final, à travers ces racines très diverses, Vixit se veut surtout une œuvre postmoderne, à l’instar de beaucoup d’autres créations de son temps.

Planche intérieure de la BD VixitVoilà comment le véritable sujet central de ce récit s’avère en fait être la ville, et peut-être même son héros d’ailleurs ou du moins son protagoniste principal. Sous bien des aspects, en effet, ce récit donne l’impression qu’elle se rebelle contre sa destruction programmée en tuant ceux chargés de son assassinat. Bien sûr, la réalité s’avère vite assez différente, ce qui devient la raison d’un drame inhabituel, surtout dans une histoire reposant autant sur le suspense, l’angoisse et l’action ; ce sera d’ailleurs l’occasion de voir qu’en dépit de tous ses muscles, le personnage de Mel Kilgor s’avère en réalité bien plus complexe qu’il en a l’air et notamment en raison d’un passé aussi lourd que peu banal.

À la fois drame et thriller, récit d’action et de suspense, Vixit s’impose comme une œuvre pour le moins protéiforme qui saura bien remplir un long moment de lecture si, comme moi, vous aimez les productions atypiques.

Case tirée de la BD Vixit

Note :

Peut-être en raison de ses spécificités narratives et thématiques peu aptes à s’attirer la sympathie du public, la série Tueur de ville s’arrête à ce premier et unique tome.

Tueur de ville, t.1 : Vixit, Ralph & Jean-Marc Kisler
Vents d’Ouest, janvier 1988
46 pages, entre 1 et 15 € (occasions seulement), ISBN : 2-86967-037-0


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