Archive for the 'Séries' Category

BrainDead

Visuel de promotion de la série télévisée BrainDead

Laurel Healy, réalisatrice de documentaires engagés, accepte de travailler dans le cabinet de son frère sénateur démocrate pour financer son prochain film. Mais alors que la gouvernance américaine est en crise, des insectes venus de l’espace prennent peu à peu le contrôle de membres du Congrès et d’employés de la Maison Blanche, poussant le pays au chaos. Entre sa relation avec un membre du parti républicain et son job dans les relations publiques, Laurel doit à présent sauver le monde d’une invasion extraterrestre.

À la fois un des plus anciens et des plus récurrents thèmes de la science-fiction, le concept de l’invasion de la Terre par des extraterrestres fonctionne en fait assez mal la plupart du temps. Rappelons avant de poursuivre que l’invasion se produit dans un contexte de guerre et que celle-ci se fait avant tout pour l’obtention de ressources. Or, une espèce capable de franchir les distances séparant les étoiles peut trouver les ressources qu’il lui faut à peu près n’importe où sans avoir à se lancer dans la stratégie toujours hasardeuse de l’attaque d’une autre civilisation. Des matières premières ? N’importe quel champ d’astéroïdes fait l’affaire. De l’eau ? Les anneaux de planètes gazeuses comme Saturne en sont pleins. De l’énergie ? Il suffit de moissonner la lumière de la première étoile venue.

Outre le contexte particulier de deux civilisations capables de voyager dans les étoiles et qui se disputent un territoire précis de l’espace, on peut néanmoins citer une exception : l’arrivée inopinée et le plus souvent involontaire d’extraterrestres pas forcément belliqueux mais pour lesquels la conquête de leur monde d’adoption semble une solution à leurs problèmes, quels que soient ces derniers. La nouvelle La Couleur tombée du ciel (H. P. Lovecraft ; 1927), parmi bien d’autres exemples, vient tout de suite à l’esprit. Et ce modèle arrange d’autant mieux mes affaires dans ce cas précis puisque un argument comparable sert de point de départ à BrainDead, ce qui au passage en dit assez long sur les inspirations des créateurs de cette production.

Bien sûr, que des êtres voyageant dans une météorite à la dérive puissent survivre pendant des siècles, voire des millénaires de trajet interstellaire, et surtout s’avèrent parfaitement adaptés à la vie sur Terre constituent d’autres problèmes à résoudre pour un auteur de science-fiction préoccupé de réalisme. Mais ces questions restent sans aucun lien avec celle qui nous occupe ici et sur laquelle les auteurs de BrainDead ont soigneusement évité de se pencher puisque ce n’est pas leur sujet. Bref, l’écrasante majorité des récits décrivant une invasion de la Terre par des extraterrestres, quel que soit leur média, ne tiennent tout simplement pas debout en raison d’un postulat de départ pour le moins bancal ou en tous cas très discutable…

Mais comme je viens de l’évoquer, il ne s’agit pas du sujet de BrainDead. Car au lieu de verser dans une tentative supplémentaire de rationaliser ce thème, cette production hors norme sous bien des aspects s’oriente en fait dans la direction opposée, et jusqu’à la caricature ou plutôt la satire. Non celle d’un thème ni même d’un genre, encore que ça pourrait se discuter, mais d’un milieu : la politique. En effet, l’image de ces politiciens professionnels contrôlés par des entités extraterrestres se passe de commentaire, surtout en des temps comme le nôtre où une écrasante majorité de la population s’évertue à tenter de faire comprendre à une classe dirigeante déconnectée combien elle ne comprend rien à ses problèmes.

En fait, ces dirigeants semblent bel et bien autant éloignés de leur peuple que des extraterrestres le seraient des terriens. Et que les envahisseurs, dans ce cas précis, détruisent la moitié du cerveau de leur hôte pour s’y loger avec leur progéniture, complète le tableau à merveille : non seulement ceux qui nous gouvernent ne comprennent plus rien à ceux qu’ils gouvernent mais par dessus le marché ils ne possèdent même plus les capacités de cette compréhension puisque 50 pour cent de leur matière grise manque à l’appel. On voudrait parfois que la réalité se montre aussi simple que certaines fictions. Pour autant, il ne faut pas voir dans BrainDead une réflexion sur l’univers de la politique car il s’agit avant tout d’une satire.

Et une satire très réussie, merveilleusement servie par un casting au meilleur de sa forme – on apprécie notamment les performances de Mary Elizabeth Winstead, ici particulièrement élégante dans la plupart de ses apparitions – ainsi qu’un scénario riche en rebondissements et dont les principaux personnages savent occuper leur espace dédié avec autant d’habileté que d’à propos.

Pour sa pertinence et sa concision comme pour sa réalisation et surtout son humour, BrainDead est définitivement à voir.

BrainDead, Robert & Michelle King, 2016
Paramount Studio, 2016
1 saison, env. 15€ (import seulement)

Casshern Sins

Jaquette DVD de l'édition française de l'animé Casshern SinsDes machines folles arpentent un monde dévasté. Rongées par la Ruine, une seule idée les obsède : trouver Casshern, dont on dit que celui qui goûtera sa chair vivra pour toujours. Mais on dit aussi que Casshern tua le soleil appelée Luna, précipitant ainsi le monde à la Ruine. Casshern, lui, ne se souvient de rien. Errant sur les terres mortes, craint des hommes et proie des robots dont il ne laisse que des monceaux de carcasses derrière lui, il découvrira peu à peu quel péché il doit expier…

Une métaphore frappe dès les premières images de Casshern Sins : celle du Japon de ce début de siècle où les mirages de la technique issus de la croissance d’après-guerre laissent désormais place à un champ de ruines sur le plan social. Une thématique assez récurrente dans les fictions des pays industrialisés mais qui prend dans celles de l’archipel une place toujours plus prépondérante. Les japonais, après tout, ne voulurent jamais vraiment de cette technique pour commencer et seule leur défaite qui marqua la fin de la guerre du Pacifique les poussa à l’accepter. Malheur aux vaincus. Ici, ce malheur se caractérise par la déchéance des traditions face au rouleau compresseur d’un modernisme dont les limites, pourtant, se firent voir bien plus vite que celles du modèle précédent.

C’est une différence de taille entre cette itération de Casshern et ses versions précédentes, chacune d’elle ou presque se réclamant du genre Super sentai ou du moins quelque chose de ce goût-là. Dans Sins, ce qui arriva avant le meurtre de Luna importe en fin de compte assez peu, de même que les origines de Casshern d’ailleurs, et seule compte la situation immédiate. Un éternel présent où les machines aussi peuvent mourir et les humains se réduisent à des ombres vivant comme des rats entre les restes d’une civilisation technicienne trop arrogante pour durer. Ici, et au contraire de ce que dépeint l’univers d’un Bullet Armors (MORITYA, 2010), le système technicien lui-même devient victime de la décomposition sociale qu’il provoque.

D’où le rythme narratif de l’œuvre. Mélancolique dans la tragédie décrite et définitivement contemplatif, il ne laisse à l’action pure que le minimum vital pour souligner les enjeux du récit et la tension de la situation de chaque protagoniste. Désormais seul immortel dans un monde à l’agonie, Casshern ne s’interroge pas sur l’intérêt de cette spécificité au sein d’un tel contexte et au lieu de ça apprendra à renouer avec la figure du héros qu’il incarne. Les robots, eux, désormais mortels, comprendront en quoi cette nouvelle situation les rapproche de leurs créateurs et ainsi les libère de leur servitude autrement que par la révolte simpliste et somme toute réactionnaire. C’est bien connu : tout au fond des ténèbres se trouve la lumière…

Quant aux images proprement dites, elles font preuve d’un style graphique pour le moins surprenant et qui sous bien des aspects renoue avec les racines de la franchise Casshern tout en les sublimant. Minimaliste et bien loin des poncifs du genre super-héros dont le Super sentai n’est jamais qu’un avatar parmi d’autres, il présente un protagoniste principal presque filiforme et des machines aux allures de faux cartoons sans laisser la moindre place à quel que réalisme que ce soit, peut-être pour mieux souligner l’aspect métaphorique décrit plus haut, ou plus simplement pour écarter davantage cette technique dont le réalisme pictural est souvent le but, voire le prétexte. Quoi qu’il en soit, si le résultat étonne d’abord, il charme très vite avant de finir par s’imposer comme une évidence.

Grande réussite de cet exercice toujours délicat qu’est le remake, Casshern Sins compte parmi ces succès de l’animation japonaise qui méritent bien plus qu’un simple coup d’œil. Vous en passer manquera certainement à votre culture et à votre plaisir de spectateur avisé.

Casshern Sins, Shigeyasu Yamauchi, 2008
WE Productions, 2013
24 épisodes, env. 10€

Les Soprano

Packaging de l'édition DVD de la série TV Les Soprano

Fin des années 90, dans le New Jersey. Une crise d’angoisse soudaine amène Anthony Soprano à consulter un psychiatre. Pourtant, ce dirigeant d’une entreprise de conseil en traitement des déchets semble mener une vie tranquille. Mais en réalité, Tony est capitaine dans la famille mafieuse DiMeo et le décès prochain du parrain va projeter toute l’organisation dans une crise de succession sans précédent…

Aux origines des mafias italiennes se trouve la chute des monarchies qui permit l’essor d’une bourgeoisie phagocytaire. Car, c’est bien connu, entre le crépuscule d’un monde qui s’éteint et l’aube de celui qui le remplace, les ténèbres engendrent des monstres. En l’occurrence, certains des paysans dépouillés des communs dont ils dépendaient, et parfois même chassés de leurs terres par ces nouveaux seigneurs trouvèrent dans le chantage, l’extorsion et l’homicide le moyen de subsister. Voilà peut-être pourquoi les mafieux se considèrent comme des soldats, parce que leur propre violence répond à celle de leurs bourreaux, même si au fond il ne s’agit que d’une de ces autojustifications caractéristiques des sociopathes, un simple prétexte pour laisser libre cours à leurs pulsions.

Un schéma comparable se produisit avec les immigrés italiens partis vers les États-Unis. Considérés comme des sous-citoyens par une élite protestante qui les négligeait, au mieux, ou bien les exploitait jusqu’à la mort dans les travaux les plus avilissants, au pire, quelques-uns d’entre eux trouvèrent là l’occasion de poursuivre la tradition séculaire de leurs aïeux avec toujours pour ambition affichée de lutter contre une forme d’oppression. Notons au passage que la délinquance issue d’une frange de l’immigration maghrébine, en France ou ailleurs, tient d’une logique semblable : en fait, l’exclusion nourrit la précarité et celle-ci engendre la criminalité d’une fraction de cette population qui s’estime à plus ou moins juste titre méprisée, si ce n’est condamnée.

Ainsi, les mafias italiennes en particulier et occidentales en général sont toutes ou presque des rejetons du capitalisme et de son élitisme structurel, d’abord en les engendrant, puis en les laissant s’épanouir. Car cette relation se prolonge à travers une collusion toujours plus profonde entre les états et ces organisations criminelles. Par exemple, les liens entre les mafias américaines et italiennes contribua beaucoup à permettre le débarquement des forces alliées en Europe lors de la campagne d’Italie, et notamment l’opération Husky de juillet-août 1943, ce qui permit ensuite à Cosa Nostra de placer ses hommes dans l’administration italienne d’après-guerre, avec tous les avantages que procurent de telles positions à tous les échelons d’une bureaucratie publique.

Aux États-Unis, pour en revenir à notre sujet, il est reconnu que la mafia américaine joua un rôle important dans plusieurs scrutins, y compris pour des élections présidentielles, par la pression sur les populations italiennes locales et sur les syndicalistes ou plus simplement en contribuant significativement aux financements des campagnes. Ainsi, Franklin D. Roosevelt (1882-1945) d’abord, avec la complicité de Lucky Luciano (1897-1962), puis John Fitzgerald Kennedy (1917-1963), grâce aux relations de son père avec l’Outfit de Chicago, purent accéder à la fonction suprême. Et comme on ne rend pas de tels services gratuitement, il va de soi que les plus hauts sommets du pouvoir américain ont été eux aussi gangrénés durablement par la mafia.

Voilà, au fond, ce qu’illustre Les Soprano : l’autre face du rêve américain, celle faite d’ombres et de violences, où prospère le plus habile, le plus rusé, et surtout le plus monstrueux. Car Tony Soprano incarne à merveille la réussite sociale, du moins en apparence : avec sa villa digne d’un château et son train de vie typique d’une middle class qui ne se soucie que de son nombril, il jouit d’un confort matériel sans aucune commune mesure avec ceux qui luttent dans le respect de la loi et de leur prochain. Dans ce rêve devenu cauchemar, l’honnêteté et la « valeur travail » ne rapportent plus rien ou juste des peccadilles, et les méthodes ancestrales de cette société qui n’a d’honorable que le nom donnent de bien meilleurs résultats. Du moins, jusqu’à ce que le couperet tombe : les mafieux meurent rarement dans leur lit…

Mais il s’agit aussi d’une création qui compte encore aujourd’hui comme une des plus réussies de la télévision américaine. Responsable avec quelques autres, comme Profit (John McNamara & David Greenwalt, 1996), d’une maturation sans précédent du domaine, elle installa des techniques de narration qui produisent encore de nets échos dans les productions actuelles, notamment à travers une bande-son qui montre une sophistication sans précédent et presque maniaque dans ses détails. Mais son plus gros pari reste sans doute d’avoir tenté ce mélange de drame et de polar, ou assimilé, en une alchimie au final aussi improbable que réussie. En témoigne une liste impressionnante de récompenses et de nominations en plus d’un succès public et critique rarement atteint.

Un autre portrait de l’éternelle désillusion américaine, Les Soprano demeure 10 ans après sa dernière saison une œuvre de référence qui en dit long sur l’Amérique de ce début de siècle et, par extension, sur le reste du monde occidental. Vous ne perdrez pas votre temps à la voir, ni même à la revoir.

Les Soprano (The Sopranos), David Chase, 1999
Warner Bros., 2010
6 saisons, env. 60€

Gundam Reconguista in G

Jaquette DVD de l'édition japonaise de l'anime Gundam Reconguista in G

Regild Century 1014. Il y a plus de mille ans qu’a pris fin le calendrier Universal Century, époque marquée par la colonisation de l’espace, et avec lui son cortège de guerres incessantes pendant lesquelles l’humanité faillit bien disparaître plus d’une fois. À présent, la Capital Tower, un ascenseur spatial, permet de ramener sur Terre toute l’énergie nécessaire pour maintenir la paix. Mais cet édifice appartient à une nation en particulier, celle de Capital, dont cette prérogative sur toutes les autres créé bien des tensions.

La défense de la Capital Tower revient à la Capital Guard, qui suit à la lettre les principes de l’ordre religieux de la SU-cord. Celle-ci a pour crédo d’éviter la guerre à tout prix en limitant le développement technologique tout en assurant le dialogue avec la nation lunaire de Towasanga d’où provient l’énergie. Lors d’un entraînement de routine, des cadets de la Capital Guard capturent un mobile suit inconnu et sa pilote. Mais il s’avère que celle-ci vient de la nation rivale d’Améria et que son mecha est une violation des tabous du SU-cordisme. De plus, son engin a été repéré peu de temps plus tôt, piloté par une autre personne depuis faite prisonnière et qui semble provenir de la Lune. Alors, que se passe-t-il vraiment là-haut, et que faut-il craindre des alliés de Capital ?

Pour le pire mais surtout le meilleur, Yoshiyuki Tomino semble bel et bien avoir renoncé à ce surnom de « Kill’Em All » qu’on lui attribua il y a plus de quarante ans à présent. Pour le meilleur car si un récit se doit de présenter des conflits afin de conserver l’attention du public, on ne peut pour autant affirmer que les luttes ainsi décrites doivent obligatoirement se conclure par des meurtres de masse et autres atrocités dont le principal intérêt semble avant tout de flatter les penchants sadiques d’une certaine catégories de spectateurs. Les évolutions du genre mecha lui permettent maintenant de se passer de ce genre de facilités qui, au reste, n’ont jamais vraiment convaincu personne même si elles participèrent à une certaine maturation du domaine. Il faut bien grandir après tout.

Voilà pourquoi les spectateurs habitués aux carnages à grande échelle dont Tomino fut sans conteste le précurseur se trouveront sans doute fort déçus en constatant que Gundam Reconguista in G s’aligne bien moins sur les œuvres du réalisateurs qui firent sa renommée que sur celles plus récentes, comme Brain Powered (1998), Overman King Gainer (2002), voire The Wings of Rean (2005) et bien sûr Turn A Gundam (1999), avec laquelle, justement, la production chroniquée ici entretient une parenté assez floue, pour ne pas dire contradictoire – mais il ne s’agit pas du sujet de ce billet. Le reste du public, lui, se félicitera de voir un auteur qui n’a plus rien à prouver depuis longtemps tenter de se renouveler en s’orientant dans une direction différente et somme toute bienvenue.

Car il y a de la joie dans Reconguista…, pour ne pas dire une certaine légèreté, qui peut décontenancer au départ avant de devenir la première raison d’y retourner pour prendre sa dose de bonheur. Or, cette gaieté transpire de l’ensemble du récit, à travers ses personnages en particulier et son protagoniste principal en tête de liste : Bellri Zenam, et c’est là une particularité qui le rapproche beaucoup de Loran Cehack, le pilote du Gundam de Turn A, on y revient, ne présente du moins en apparence aucun trait de caractère négatif, au contraire de ses prédécesseurs Amuro Ray, Camille Bidan ou Judau Ashatan, voire même Uso Ewin – encore que ce dernier, et peut-être en raison de son très jeune âge, restait remarquablement équilibré par comparaison avec les autres ici cités.

En témoigne l’animation du générique de fin où tous ces personnages se retrouvent liés dans une espèce de farandole sans aucune distinction entre les différents camps pourtant en opposition les uns envers les autres, comme si ceux-ci, en fin de compte, ne prenaient qu’une signification somme toute mineure, pour ne pas dire négligeable. Comme pour tout récit, l’intérêt de Reconguista… se trouve avant tout dans ses personnages. La nouveauté, ici, vient de ce qu’il s’agit d’une série Gundam et qu’une telle focalisation sur les caractères au lieu du groupe qui suscite en général leurs motivations respectives reste un procédé narratif assez inédit. Reconguista… s’affirme donc comme un récit de personnages avant d’être un récit de guerre, ce qui permet au passage de mesurer le chemin parcouru par son auteur.

Pour le reste, on ne peut passer sous silence la complexité du scénario qui tend nettement à rendre celui-ci assez difficile à suivre. D’une part parce que Tomino présente son univers alors que l’histoire avance, ce qui reste d’ailleurs une méthode narrative typique de la science-fiction littéraire, plongeant ainsi le spectateur dans le bain sans réelle explication, du moins jusqu’à ce que celle-ci se présente enfin, parfois un peu tard. D’autre part parce que le nombre d’épisodes ici réduit de moitié par rapport à ce que le réalisateur manie d’habitude dans une série Gundam force la narration à expédier les événements à travers nombre d’ellipses. Enfin, on ne trouve pas deux, ni même trois, mais rien de moins que quatre factions différentes, et chacune avec ses propres motifs bien évidemment.

Soulignons néanmoins que ce détail se montre peu trivial dans le sens où il permet de focaliser la réalisation sur ses personnages, encore eux, en rendant finalement assez secondaire l’environnement dans lequel ils évoluent : perdu dans ce maelström d’antagonismes, de stratégies et de diplomatie, le spectateur ne peut plus se raccrocher qu’au plus évident, les protagonistes eux-mêmes. Et si certains auraient peut-être apprécié un peu plus d’approfondissement des divers éléments composant cet univers, il vaut néanmoins de préciser que ceux-ci se trouvent tous bien assez explicités pour justifier les agissements des personnages sans qu’il soit nécessaire pour le réalisateur de perdre du temps sur des expositions finalement assez secondaires.

Bref, il s’agit bel et bien d’un récit, non d’une encyclopédie d’un futur possible, et comme il se doit les protagonistes y prennent la plus belle part. Quant à ceux qui trouvent que Tomino a mal vieilli, ils se verraient bien inspirés de mûrir le proverbe bien connu à propos des vieilles marmites et des meilleures soupes plutôt que celui tout aussi célèbre concernant les naufrages : Reconguista… est peut-être ce que le réalisateur a fait de moins marquant dans la franchise mais c’est tout aussi assurément ce que celle-ci peut présenter de plus exceptionnel sur le plan de la narration.

À une époque où les reboots et les préquelles se perdent dans tous les sens, on ne voit pas souvent une référence aussi vénérable que celle-ci parvenir à une réinvention aussi réussie.

Notes :

Reconguista vient de l’espagnol Reconquista, ou Reconquête en français, qui désigne la période du Moyen-Âge où eut lieu la reconquête, par les royaumes chrétiens, des territoires de la péninsule Ibérique et des îles Baléares occupés par les musulmans. Tomino en modifia l’orthographe afin d’y insérer un son nettement en G. Cette racine espagnole est aussi une référence au territoire de la nation Capital, situé en Amérique du Sud. L’autre G du titre fait référence à ground, soit le sol en anglais.

Gundam Reconguista in G obtint les meilleurs taux d’audience de l’automne 2014 selon Sony Computer Entertainment. Dans le numéro de janvier 2015 de Newtype Magazine, la série est citée comme étant la troisième meilleure, la quatrième la plus regardée et la dixième la plus téléchargée de l’année.

Si la série fait plus souvent référence à la chronologie Universal Century qu’à celle précédant le Regild Century, Tomino a précisé lors d’une interview que Reconguista in G se déroule en fait cinq cent ans après Turn A Gundam et donc après le Correct Century.

L’élévateur spatial autour duquel s’articule l’intrigue semble référencé dans l’épisode 33 de Turn A, à travers un dialogue entre Quoatl et Sid Munzer.

Reconguista in G est la première série Gundam depuis Turn A qui n’utilise pas de séquence précédant le générique.

Le terme Gundam n’apparaît dans aucun dialogue avant l’épisode 16.

Gundam Reconguista in G, Yoshiyuki Tomino, 2014
Wakanim, même année
26 épisodes

Star Trek: Enterprise

Visuel de promotion pour la série TV Star Trek: Enterprise

Près d’un siècle après le Premier Contact (1), les relations entre les humains et les vulcains restent tendues. Si les premiers estiment leur temps venu d’explorer les étoiles, les seconds ne jugent pas leurs alliés prêts à s’aventurer dans l’espace profond. Mais une crise soudaine avec les klingons pousse Starfleet à envoyer le tout nouveau vaisseau Enterprise sur Qo’noS. Personne ne sait alors que cette expédition va participer à déclencher une guerre à travers le temps même…

À l’exercice toujours délicat de la préquelle, je crois pouvoir dire que Star Trek: Enterprise s’en tire malgré tout avec les honneurs. De par sa scène politique assez complexe d’abord, où les terriens se trouvent en quelque sorte inféodés aux vulcains et qui donne à ces derniers un aspect qu’on ne leur connaissait pas, ou mal. Puis pour son concept de guerre temporelle qui, chose inédite, permet de suggérer au moins un futur assez lointain de l’univers Star Trek. Pour sa troisième saison surtout, qui raconte une autre guerre, ouverte celle-ci, avec les Xindi et au cours de laquelle bien des héros se saliront les mains. Enfin, pour sa dernière partie, dont les arcs narratifs distincts reviennent avec élégance sur des thèmes caractéristiques de Star Trek.

En fait, Enterprise ose aller là où aucun homme n’est jamais allé : dans ces zones sombres d’un futur bien connu pour son optimisme parfois un brin béat, voire franchement naïf, qui valut bien des critiques, pas toujours mal inspirées d’ailleurs, à une franchise qui reste pourtant un des meilleurs exemples sur le petit écran de ce que la science-fiction peut offrir. Ici, la Fédération des Planètes Unies n’est même pas un songe pour commencer et personne ou presque ne sait quoi que ce soit des dangers tapis entre les étoiles, tout préoccupés qu’ils se trouvent à découvrir des mystères. Cette candeur laissera peu à peu place à des considérations plus adultes alors que, paradoxalement, le récit s’oriente vers cet avenir radieux déjà mentionné.

Bien sûr, qu’Enterprise soit arrivée sur les écrans plus de 30 ans après Star Trek (Gene Roddenberry ; 1966) explique la plus grande partie de cette maturation : la télévision d’aujourd’hui peut se permettre d’aborder des thèmes jadis proscrits, et même si la série originale, déjà, avait su briser certains tabous. Mais quand on aborde de front des choses telles que l’homosexualité, le viol, l’addiction, la torture ou la piraterie, on s’attend à bousculer des sensibilités – or, c’est bien le propre d’une œuvre d’art de susciter, voire de provoquer des émotions… Bien sûr, des spécialistes de la franchise hurlèrent au scandale en raison de divers retcons et autres facilités narratives ; d’autres se contentèrent d’apprécier les récits.

Car voilà de quoi il s’agit : d’histoires. Et si aucune d’entre elle ne restera un classique, sauf peut-être pour la guerre contre les Xindis déjà évoquée, aucune ne laissera vraiment indifférent. Pour toutes ces raisons, mais aussi toutes celles que j’oublie, passer à côté d’Enterprise paraît dommage : même s’il s’agit de la plus faible des séries Star Trek à ce jour, elle reste malgré tout du bon Star Trek.

On ne boude pas ce genre de plaisir.

(1) événements relatés dans le film Star Trek: Premier Contact (Jonathan Frakes, 1996).

Notes :

Star Trek : Enterprise s’appelait Enterprise tout court jusqu’au troisième épisode de la troisième saison.

Avec seulement quatre saisons, Star Trek : Enterprise reste la plus courte série Star Trek après la série originale de 1966.

Cette série est la première, et unique à ce jour, de la franchise Star Trek à présenter un générique chanté au lieu d’instrumental.

L’annulation de Star Trek : Enterprise en février 2005 marque la fin d’une présence ininterrompue de 18 ans de la franchise à la télévision américaine.

Star Trek : Enterprise, Rick Berman & Brannon Braga, 2001
Paramount Television, 2001-2005
4 saisons, env. 50€

– la page officielle de Star trek : Enterprise sur StarTrek.com
– d’autres avis : Les Téléphages anonymes, ASS, Le Monde de Neko-elfie

The Expanse

Visuel promotionnel de la série TV The ExpanseUn futur proche. La Terre, à présent unifiée, mais aussi Mars, devenue une nation indépendante, se partagent le système solaire alors que, dans l’espace, colons et prospecteurs peinent à extraire les matières premières pour fournir leurs ressources à ces deux grandes puissances. Entre celles-ci, des relations tendues depuis trop longtemps arrivent soudain au point de rupture avec la destruction subite d’un navire civil qui révèle l’existence d’une technologie procurant un avantage militaire décisif…

Dans la ceinture d’astéroïdes, l’enquêteur Josephus Miller se voit proposer de retrouver Julie Mao, fille d’un richissime industriel terrien qui a coupé les ponts avec sa famille pour rejoindre les colons et les prospecteurs. De son côté, James Holden compte parmi les rares survivants du Canterburry, ce navire de transport de glace saturnienne détruit par des forces inconnues, et il est bien décidé à découvrir pourquoi. Enfin, sur la Terre, la diplomate Chrisjen Avasarala enquête sur un trafic de pièces détachées qui menace les relations entre Mars et la Terre. Quel lien unit ces trois investigations ? Qui peut bien vouloir jouer ainsi avec la paix dans  le système solaire ?

Qui, ou « quoi » ?

Adaptation d’une série de récits par l’auteur à quatre mains James S. A. Corey, dont le premier volume se vit nominé pour les très prestigieux prix Hugo et Locus, et dont le second tome obtint d’ailleurs ce dernier, The Expanse nous intéresse avant tout pour sa description d’un futur probable où l’impasse de l’exploitation des ressources de la Terre poussa les habitants de cette dernière à chercher ailleurs ce dont ils ne pouvaient se passer pour perpétuer leur civilisation technicienne – un discours pour le moins classique dans le genre de la science-fiction et qui préoccupa assez vite la communauté scientifique (1) mais dont les diverses productions sur écran, du moins en occident, se montrent hélas assez avares.

L’évidence ne demandant aucune démonstration, je ne m’attarderais pas à expliquer ce qui nous menace à un horizon d’ailleurs assez proche si nous nous entêtons à ignorer les quantités quasi infinies de ressources qu’offre le système solaire, et au lieu de ça évoquerais plutôt ce portrait d’un avenir possible qui me semble constituer le principal intérêt de cette création. Car The Expanse ne nous décrit pas une destinée radieuse où la race humaine unie dans un effort commun dépassant tous les clivages se lance avec audace là où aucun homme n’est jamais allé afin de bâtir un monde nouveau qui sent bon l’utopie, pour ne pas dire la naïveté et comme on en vit de nombreuses itérations dans bien des productions antérieures.

Bien au contraire, les lendemains ici décrits montrent bien comme cette conquête de la nouvelle frontière se pavera de sueur et de larmes, si ce n’est de morts pures et simples pour fournir confort et douceur de vie à une forme d’élite restée bien confortablement sur un monde peut-être très amoché par les erreurs du passé mais néanmoins toujours plus clément que la vie dans l’espace. Il n’y a aucune raison, en effet, pour que l’avenir fasse rimer colonisation avec autre chose qu’exploitation, à moins d’ignorer les leçons de l’histoire. Pour cette raison, The Expanse ne se contente pas de dénoncer la lutte des classes en la transposant dans un avenir fictif : sur bien des aspects, et c’est bien là ce qu’il y a de plus dérangeant, elle la prolonge…

Sur le pur plan de la réalisation, on apprécie comme le scénario, les dialogues, la mise en scène et puis bien sûr les images illustrent chacun à leur manière cette civilisation de l’espace, depuis ses moindres aspects de la vie de tous les jours jusqu’à ses éléments techniques les plus obscurs – mais sans pour autant tomber dans l’abscons, voire le rébarbatif qui caractérise souvent ce type de productions. Ainsi, cet horizon pas si lointain que ça devient-il plus que crédible : il se montre tangible. Et de telle sorte que regarder un épisode de The Expanse revient à plonger tête première dans le futur tel qu’il nous attend ou presque, pour le pire comme pour le meilleur. C’est bien là une définition possible du sense of wonder (2) après tout.

Pour le reste, il s’agit avant tout d’un thriller rondement mené, à la structure narrative bâtie autour des classiques suspense, révélations, coups de théâtre et autres retournements de situation caractéristiques de ce type de production mais qui se trouvent tous ici assez bien dosés pour tenir le spectateur en haleine sans pour autant trop tirer sur la corde de l’invraisemblance ou bien du spectaculaire gratuit, parmi d’autres défauts typiques du genre. On peut aussi apprécier la description d’une scène politique complexe farcie de toutes sortes de complots et de trahisons qui rappellent assez Games of Thrones (David Benioff et D. B. Weiss, 2011) mais en plus léger bien que pas forcément plus digeste – on s’y perd toujours un peu.

D’ailleurs, si cette première saison se termine comme il se doit en cliffhanger, elle propose malgré tout un récit dans l’ensemble très appréciable et laisse augurer une seconde saison qui, on l’espère, se montrera aussi passionnante. À dire le vrai, The Expanse s’annonce comme la meilleure réalisation de science-fiction sur le petit écran depuis trop longtemps.

(1) j’en veux pour exemple le très recommandable essai de Gerard K. O’Neill (1927-1992) paru en 1976 et intitulé The High Frontier (Collector’s Guide Publishing, 2001 pour la 3ème édition révisée, ISBN : 1-896-52267-X), qui examinait les possibilités de colonisation de l’orbite terrestre afin d’utiliser les ressources de l’espace proche pour autoriser la poursuite de notre développement industriel.

(2) cette expression désigne en général le sentiment de vertige, ou ressenti du même ordre, qui saisit le lecteur face à l’exposition de certains faits techno-scientifiques qui bouleversent sa perception du réel et/ou sa compréhension du monde ; c’est un effet typique de la science-fiction.

Notes :

L’écriture de la seconde saison a commencé en mai 2015, avant que l’épisode pilote de la première soit diffusé, et cette suite se vit confirmée en décembre de la même année. Cette seconde saison doit être diffusée en 2017.

The Expanse est à ce jour la production télévisuelle la plus coûteuse qu’ait produite la chaîne Syfy.

The Expanse, Mark Fergus et Hawk Ostby, 2015
NBC Universal Television Distribution
10 épisodes (1 saison) à ce jour

– le site officiel de The Expanse
– d’autres avis : Small Things, ÀMHÁ, Le Kamikaze de l’écran, A.V. Club

 

Gundam: Reconguista in G, premier trailer

Il y a 35 ans cette année que sortit Mobile Suit Gundam, la série originale qui lança la franchise. Pour fêter cet anniversaire, Sunrise compte sortir le tout dernier épisode de Mobile Suit Gundam Unicorn au cinéma le 17 mai et lancer l’adaptation en anime du manga Mobile Suit Gundam: The Origin ce printemps, encore dans les salles obscures ; toujours dans le contexte de cet anniversaire, une exposition intitulée The Art of Gundam rassemblera environ un millier de travaux de production et autres créations artistiques à Osaka et à Tokyo, de juillet à septembre.

Mais ce qui nous intéresse concerne le retour de Yoshiyuki Tomino à la franchise, à travers une nouvelle production intitulée Gundam: Reconguista in G qui présente ceci de particulier qu’elle se situe dans une nouvelle chronologie appelée Reguild Century mais faisant néanmoins suite à la chronologie traditionnelle Universal Century – celle de Mobile Suit Gundam, donc, la toute première série de la licence évoquée en début de billet… Reconguista in G s’affirme donc non seulement comme le grand retour du créateur de Gundam à cette franchise après un hiatus de presque 10 ans depuis Mobile Suit Zeta Gundam: A New Translation, l’adaptation de la série éponyme de 1985 en une trilogie de films pour le cinéma, mais aussi comme la première véritable séquelle de Mobile Suit Victory Gundam, la toute dernière série officielle de la chronologie originale diffusée il y a plus de 20 ans.

Cette nouvelle épopée sera centrée sur le personnage de Beruri Zenamu, jeune aspirant pilote de la Garde Capitale, une organisation dédiée à la protection d’un ascenseur spatial. Pour le reste, on y retrouvera Kenichi Yoshida au chara design, Akira Yasuda, Ippei Gyōbu et Kimitoshi Yamane au mecha design, et Yuugo Kanno à la musique. Du beau linge, donc, pour une réalisation qui s’annonce comme assez atypique et dont la diffusion débutera cet hiver.

Le site officiel de la série (jp)

Le Visiteur du futur

Jaquette DVD de la première saison de la web-série Le Visiteur du futurAD 2550 : suite à une série de catastrophes, la Terre est en ruines ; dans les décombres de la surface, les survivants affamés le disputent aux zombies cannibales alors que dans les sous-sols règnent des nécrophiles dégénérés. Un homme presque seul, à peine épaulé par un ami savant aux origines mystérieuses, va tenter de sauver le monde en se lançant dans un projet fou : à l’aide d’une machine à voyager dans le temps, il va tout faire pour réécrire l’histoire – y compris, et surtout, le pire…

Avec le thème du voyage dans l’espace, souvent considéré par les profanes comme la quintessence de la science-fiction, celui du voyage dans le temps reste un des plus populaires du genre. Une raison plausible du succès de ces deux sujets en particulier tient peut-être à ce qu’ils couvrent à eux seuls l’ensemble de la réalité passée, présente et à venir, soit la quasi totalité des possibles et donc un éventail de potentialités narratives infini ou presque. Quant aux diverses variations de la matière du voyage dans le temps, ou plutôt son évolution depuis le roman La Machine à explorer le temps (H. G. Wells ; 1895), qui inventa le thème, j’ai eu l’occasion de les évoquer dans ma chronique d’un autre roman, La Fin de l’Éternité (Isaac Asimov ; 1955), qui demeure peut-être l’itération la plus aboutie sur le sujet ainsi qu’un des deux meilleurs livres de son auteur.

De son côté, la mode des web-séries se présente comme un phénomène récent dont la popularité semble proportionnelle à l’amateurisme de ces productions : on peut croire, en effet, que les moyens techniques et financiers pour le moins limités qui caractérisent ce type d’œuvre jouent un rôle crucial dans leur appréciation auprès d’un public blasé par les créations à plus gros budget, celles-ci souffrant par là même d’un certain formatage afin d’assurer à leurs producteurs le succès nécessaire pour rentrer dans leur investissement. Ainsi, les web-séries doivent-elles s’articuler autour d’une originalité de traitement, de ton, d’humour,… bref d’une personnalité sans aucune mesure possible non seulement avec les séries télé classiques mais aussi avec les autres web-séries. Parmi les plus gros succès de ce nouveau média, on peut citer Noob (Fabien Fournier ; 2008), Flander’s Company (B. Gilliet & R. Pomarede ; même année) ou Nerdz (D. Mourier, D. Richard & M. Poulpe ; 2007).

Le Visiteur du futur compte parmi les grands succès des web-séries françaises mais aussi, ce qui lui vaut un billet ici, parmi les créations contemporaines de science-fiction qui méritent qu’on en parle. Si dans un premier temps les différents épisodes s’articulent autour d’un comique de chute ou bien de situation somme toute assez classique bien que tout à fait réussi, le récit d’ensemble s’oriente néanmoins peu à peu vers un traitement plus subtil du voyage dans le temps, même s’il s’agit encore de la tournure narrative assez convenue où un protagoniste venu du futur tente d’éviter des catastrophes à venir (1). Par la suite, la narration montre plus d’originalité comme de profondeur, à travers des thèmes tels que l’uchronie et les univers parallèles, sans oublier les aussi fameux qu’inévitables paradoxes temporels qui, à force de multiplier les aller-retours dans le temps en nous piégeant dans nos raisonnements et en poussant le récit jusque dans ses extrémités les plus folles, restent peut-être encore à ce jour une des formes les plus abouties de la science-fiction (1).

Mais on peut aussi évoquer les splendides qualités littéraires et d’interprétation de cette œuvre décidément hors-norme sous bien des aspects. Car outre des prestations d’acteurs souvent bien supérieures à la moyenne des web-séries, Le Visiteur… présente une écriture finement ciselée, pleine de retournements de situation, de coups de théâtre, de révélations et de suspens tous aussi bien amenés les uns que les autres et à l’efficacité sans faille sur le plan narratif tout en se montrant hilarants en général, ce qui ne gâche rien. Pour toutes ces raisons, cette production s’affirme comme un véritable plaisir à suivre, tant sur le plan de la simple distraction que sur celui de l’émotion pure : on s’attache en effet très vite aux différents personnages, de par leurs tribulations comme de par leurs relations souvent compliquées, bien sûr, et de par leur évolution qui réserve leur lot de surprises.

À dire le vrai, tout ce qu’on peut regretter, et encore seulement dans la troisième et dernière saison complétée à ce jour, concerne une augmentation de moyens techniques, et vraisemblablement financiers, qui tendent à gommer l’aspect amateur de cette web-série tout en la rendant plus formatée, faute d’un meilleur terme : se dépouillant ainsi peu à peu de ce qui lui a peut-être valu une partie de son succès au moins, on peut craindre que la personnalité de cette création finisse par s’étioler au fil du temps.

Mais ça, seul le futur nous le dira…

(1) Jacques Goimard, Temps, paradoxes et fantaisie, préface à Histoires de voyages dans le temps (Le Livre de poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3772, 1975, ISBN : 2-253-00769-2).

Notes :

D’abord publiée sur Dailymotion, la première saison du Visiteur… se vit ensuite diffusée sur la chaîne Nolife. Depuis, les trois saisons de la série sont disponibles sur les principaux sites de partage de vidéos mais aussi dans le commerce, sous forme de coffrets DVD édités par Ankama.

La troisième saison, lancée en novembre 2012 et intitulée Les Missionnaires, est à ce jour la dernière complétée mais aussi la première produite par Ankama.

Le premier épisode de la quatrième saison, Neo Versailles, encore produite par Ankama, doit sortir le 19 janvier 2014.

Le Visiteur du futur, François Descraques, 2009
Ankama, 2011
3 saisons complétées à ce jour

– le site officiel du Visiteur du futur
Frenchnerd, le blog de François Descraques
– d’autres avis : Passe moi le popcorn !, Krinein, Série-All, Le Point du geek

Real Humans

Jaquette DVD de l'édition française de la série TV Real HumansLa Suède, de nos jours. Depuis plusieurs années, des robots d’apparence humaine appelés hubots font partie du quotidien. Employés pour toutes les tâches, des plus banales aux plus lubriques, ils donnent à la société un nouveau visage qui ne plaît pas à tous. Si le parti politique « Les Vrais Humains » milite ouvertement pour un abandon complet de la robotique et un retour aux véritables valeurs humaines, d’autres en revanche trouvent celui-ci trop timide et adoptent des méthodes qui dépassent le stade du militantisme pacifique.

Mais l’équation prend une tournure inattendue quand un groupe d’hubots libres, chose pourtant jugée impossible, perd soudain un de ses membres : enlevée par des trafiquants, Mimi se voit revendue au marché noir après que ses ravisseurs lui ont effacé la mémoire. Alors que part à sa recherche le seul humain du groupe, Léo, elle est vendue à la famille Engman où son arrivée va provoquer bien des remous dans ce foyer jusqu’ici plutôt conservateur sur le sujet des hubots. Et pourtant, le pire reste encore à venir car dans son programme se trouve dissimulé un code qui pourrait bouleverser le statut des hubots dans la société et que beaucoup voudraient voir effacé pour toujours…

Bien qu’un des thèmes fondateurs de la science-fiction, depuis au moins le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818) de Mary Shelley (1797-1851), le robot reste encore à ce jour bien mal exploité dans les œuvres audiovisuelles en général qui, la plupart du temps, se cantonnent à raconter une variation ou une autre de la révolte des machines contre leurs créateurs. Si on peut voir dans ce type de récit une expression de ce « système technicien » incontrôlable par définition (1) et au point qu’il donne parfois l’impression de se rebeller, soit une idée somme toute pas inintéressante, sa répétition tend néanmoins à en appauvrir le potentiel et surtout l’impact – dit plus prosaïquement : on s’en lasse…

Real Humans nous intéresse car cette production suédoise se montre bien plus aboutie que la moyenne, et en particulier en montrant les divers impacts que provoquent sur la société l’apparition d’une invention nouvelle, ce qui reste la marque d’une science-fiction prétendant à une certaine qualité (2) : ici en effet, les robots domestiques induisent des bouleversements sociaux et ceux-ci ne s’avèrent pas toujours positifs, par exemple en contribuant à la hausse du chômage à force de remplacer la main-d’œuvre humaine ou bien à l’éclatement de cellules familiales sur le déclin et où la docilité du serviteur mécanique donne une fausse impression de partenaire idéal – bien plus, en tous cas, que celui, humain, qui dispose d’un libre arbitre…

Au fond, et pour ne pas tourner autour du pot trop longtemps, Real humans explore les limites de ce qui reste la fonction principale du robot, servir l’homme (3), une tâche d’autant plus complexe qu’elle implique une interaction permanente avec ce qui demeure sans doute la créature la plus complexe, la plus imprévisible, et donc la plus difficile à servir. Le potentiel narratif, immense, atteint dès lors des sommets que seule limite l’imagination de l’auteur. Or, ici, le scénariste montre une inspiration bien à la hauteur du sujet et si on peut regretter quelques facilités narratives ici et là, surtout au début du récit, l’ensemble reste malgré tout d’une très bonne tenue même s’il semble s’égarer vers le polar tendance techno-thriller en fin de première saison.

Pour le reste, il s’agit avant tout de tranches de vie toutes plus ou moins bouleversées par la généralisation des robots dans leur quotidien. Du remplacement d’un compagnon fidèle et complice par un autre bien plus austère, jusqu’à la brusque irruption d’un androïde dans un foyer mal préparé à un tel bouleversement, en passant par l’incapacité de certains à vivre en harmonie avec leurs compagnons de métal et prêts à tout pour y remédier, mais aussi à travers de brefs portraits de ceux qui ne peuvent se passer de ces machines à l’apparence humaine quitte à en venir à des contacts charnels, Real Humans aborde de front et sans tabou des problématiques variées, souvent inattendues et quoi qu’il en soit toujours intéressantes.

Bien sûr, les connaisseurs en matière de science-fiction littéraire ne manqueront pas de faire remarquer qu’on ne voit rien ici qu’ils ne connaissent déjà, et à juste titre, sous une forme ou une autre. Les autres, par contre, bien plus nombreux ceux-là, trouveront néanmoins dans cette production somme toute bien assez atypique de quoi satisfaire leur curiosité quant à un des thèmes principaux du genre qui gagne ici une réalisation à sa mesure sur un support véritablement « grand public » – soit bien plus capable que d’autres de permettre à une large audience de se cultiver sur un sujet précis…

(1) Jacques Ellul, Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).

(2) pour le rapport entre science et société dans la science-fiction, lire l’article « Social Science Fiction » d’Isaac Asimov au sommaire de « Modern Science Fiction: Its Meaning and Its Future » (New York: Coward-McCann, 1953) ; lire un exemple dans l’article « Asimov’s Three Kinds of Science Fiction » sur le site tvtropes.org (en).

(3) Gérard Klein, préface à Histoires de robots (Le Livre de poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3764, 1974, ISBN : 2-253-00061-2) ; lire ce texte en ligne.

Notes :

Si Real Humans ne rencontra qu’un succès honorable dans son pays d’origine, elle se vit néanmoins renouvelée pour une seconde saison actuellement en cours de production.

Vendue à plus de 50 pays, dont l’Allemagne, l’Australie, la France (Arte) et la Corée du Sud, la série connaît un succès international notable et se voit même très bien reçue par de nombreux critiques spécialisés : si certains la comparent à Blade Runner (Ridley Scott ; 1982), d’autres y voient plus simplement la meilleure réalisation de SF sur le petit écran depuis longtemps.

Diffusée sur Arte au moins d’avril 2013, Real Humans s’affirme comme un vrai succès pour la chaîne avec une part d’audience de 5,2% pour une moyenne de 1,3 million de téléspectateurs.

Real Humans (Äkta Människor), Levan Akin & Harald Hamrell, 2012
Arte Éditions, 2013
10 épisodes, env. 30 €

– le site officiel de la série (sv)
– la page de la série sur le site de Arte
– d’autres avis : Nick’s Paradise Lost, Traqueur Stellaire

Il était une fois… l’Espace

Jaquette DVD du premier volume de l'édition intégrale en deux coffrets de la série TV Il était une fois... l'EspaceLe XXXe siècle. Tout comme la Terre mais aussi plusieurs autres mondes et systèmes habités par des cultures extraterrestres, la planète Oméga fait partie de la Confédération, cette grande puissance galactique qui joue un rôle majeur dans le maintien de la paix entre les différentes civilisations de l’univers connu. Ce rôle de gardien de l’équilibre des forces échoit pour l’essentiel à sa police spatiale dont font partie les jeunes cadets Pierrot et Mercedes, alias Psi, qu’épaule leur partenaire robot Métro.

Leurs différents missions vont des patrouilles de routine aux prises de contact avec d’autres mondes susceptibles de rejoindre la Confédération, en passant par la neutralisation des différents groupes qui menacent les peuples. Parmi ceux-là, la planète Cassiopée pose toujours plus de problèmes. D’ailleurs, l’ombre d’une autre puissance semble se profiler derrière elle : s’agit-il d’une culture jusqu’ici inconnue, ou au contraire la résurgence d’un ennemi oublié ?

Quoi qu’il en soit, l’équilibre qui maintient la Confédération depuis des siècles semble bel et bien sur le point de s’effondrer…

Il y eut une époque où on ne voyait pas d’inconvénient à joindre l’utile à l’agréable même dans des créations destinées à un public en général d’autant plus facile à satisfaire qu’il se trouvait jeune ; au contraire, cette jeunesse devenait la première raison derrière la dimension didactique de l’œuvre qui servait de la sorte à apprendre tout en s’amusant. Si nombre de productions Walt Disney adoptèrent ce principe, on peut aussi évoquer parmi les créations européennes la série TV d’animation Il était une fois… l’Homme (1978) d’Albert Barillé (1920-2009), une pionnière dans le genre, qui vulgarisait avec intelligence des éléments tant scientifiques qu’historiques à travers une narration de l’histoire de l’humanité – j’insiste sur ce terme de narration puisqu’on trouvait bel et bien dans cette œuvre des personnages récurrents dont les destins s’entrecroisaient en formant de véritables récits.

Pourtant articulée autour d’une idée semblable, celle de la transmission d’un savoir et d’une connaissance grâce à une réelle pédagogie, Il était une fois… l’Espace (1982) donne au premier abord l’impression d’ambitions plus simples : avec son univers futuriste typique du space opera sur lequel plane l’ombre évidente de Star Trek (Gene Roddenberry ; 1966-1969) et où trouvent lieu nombre d’aventures laissant une place abondante à l’action, cette production-là semblait plus axée sur le pur divertissement que son prédécesseur, et ce malgré l’exposition de plusieurs éléments relatifs aux techno-sciences – comme celles concernant les connaissances astronomiques par exemple. Malgré tout, cette série parvenait avant tout à vulgariser avec une sensibilité certaine un genre jusqu’alors hors de portée des jeunes enfants : la science-fiction.

Car on trouve dans Il était une fois… l’Espace nombre de thèmes typiques du domaine, mais ici traités avec finesse à la différence de la plupart des autres productions audiovisuelles relevant du genre et qui n’en conservaient alors que les éléments les plus spectaculaires. Parmi ces axes, on peut citer en particulier : l’intelligence qui se développe dans une forme de vie ne pouvant normalement pas l’accueillir ; les visiteurs de l’espace qui se font passer pour des divinités aux yeux des habitants d’une planète au niveau technologique préhistorique (1) ; la révolte des robots qui s’estiment supérieurs aux hommes quand ceux-là pensent que la pure logique mécanique ne peut rivaliser avec sensibilité et compassion ; les voyageurs de l’espace qui ont passé tant de siècles en hibernation que l’Histoire les a rattrapés à leur réveil ; l’Atlantide comme une colonie fondée jadis par des extraterrestres ; les navires de l’espace tueurs de mondes ; une scène politique complexe, à l’échelle de la galaxie et où les rapports de force se montrent souvent délicats.

Mais on y trouve aussi une description des faits marquants du troisième millénaire, à travers ce qui prend presque l’allure d’une « histoire du futur » (2) résumée lors d’un épisode et où d’autres thèmes marquants se trouvent évoqués dans un portrait de l’avenir où transparaît une véritable conscience historique des rapports entre les événements qui ne laisse aucune place à l’optimisme béat : la destruction de l’environnement due à la surpopulation menant à l’eugénisme qui provoque les tensions sociales où prend racine une guerre mondiale dont la planète ressort anéantie, précipitée dans un nouvel Âge sombre étalé sur plusieurs siècles ; dans la troisième Renaissance qui s’ensuit, la guerre se trouve bannie mais les progrès techniques qui donnent aux hommes l’impression de se sentir inutiles les poussent à détruire leurs machines et leurs robots, en les renvoyant ainsi à nouveau en arrière : seule la conquête de l’espace, enfin, permet à l’humanité de dépasser ses limites, et notamment à travers la fondation d’Oméga…

Il vaut néanmoins de noter qu’on trouve aussi dans Il était une fois… l’Espace de nombreux autres thèmes sans rapport avec la science-fiction mais malgré tout intéressants et parfois même assez innovants pour l’époque. Ainsi, de nombreux éléments à caractère progressiste tiennent une place centrale : par exemple, si la Confédération d’Oméga est dirigée par une femme – présidente démocratiquement élue –, elle comprend aussi plusieurs types raciaux – la protagoniste principale féminine, Psi, affiche une couleur de peau non conventionnelle. De plus, plusieurs épisodes illustrent les problématiques de mythes classiques comme celui de Prométhée, de la Pomme de Discorde ou de David contre Goliath, parmi d’autres. Enfin, des questionnements d’ordre philosophique, ou du moins métaphysique se trouvent au centre de plusieurs épisodes : le sentiment d’insécurité des hommes face au système technique (3), l’impossibilité pour celui-ci de remplacer un jugement humain, l’opposition entre la solidité apparente des dictatures et la fragilité des démocraties, etc.

Et cette richesse thématique trouve un écho dans une créativité artistique qui de nos jours encore reste étonnante par sa qualité et sa réalisation. Si l’animation en elle-même correspond aux standards de l’époque, les différents designs échafaudés par Procidis et le studio japonais Eiken démontrent une volonté de réalisme encore assez rarement affichée en ce temps-là, du moins dans les séries d’animation : les décors et les différentes machines, vaisseaux et véhicules, tous très détaillés, se veulent résolument palpables – à défaut de tout à fait réalistes. On ne peut, sur ce point, passer sous silence le travail de Philippe Bouchet, alias Manchu, qui à l’époque avait déjà collaboré à Ulysse 31 (1981) et dont l’immense talent, déjà, parvenait à donner une personnalité peu commune à ses designs ; il est d’ailleurs assez étonnant de voir comme ce jeune artiste se trouvait à l’époque encore profondément influencé par le style de Chris Foss, ce qui d’ailleurs donne à Il était une fois… l’Espace une bonne partie du classicisme de ses visuels – et je parle bien de classicisme SF…

Pour toutes ces raisons, ceux d’entre vous qui connaissent le bonheur de la parenté et qui souhaitent sensibiliser leurs enfants aux problématiques courantes de la science-fiction, mais aussi d’autres, relatives à des domaines différents bien que tout aussi importants, se verront bien inspirés de se procurer l’intégrale de cette œuvre à bien des égards exceptionnelle.

(1) ce qu’on appelle la troisième des lois de Clarke.

(2) dans le vocable de la science-fiction, ce terme désigne une suite de récits qui dépeignent un avenir en évolution et dont chaque histoire permet d’en explorer un segment ; beaucoup d’écrivains de science-fiction ont produit des séries de ce type, tels qu’Isaac Asimov (1920-1992), Arthur C. Clarke (1917-2008) ou Robert A. Heinlein (1907-1988), pour citer les plus connus.

(3) pour plus de détails sur ce point, se reporter à l’ouvrage-phare de Jacques Ellul intitulé Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).

Il était une fois… l’Espace (Ginga Patrol PJ), Albert Barillé & Tsuneo Komuro, 1982
IDP Home Video, 2006
26 épisodes, environ 20 € l’intégrale en deux coffrets


Entrer votre e-mail :