Akira : 20 ans après (7)

Screenshot du film AkiraSommaire du dossier

Introduction

L’œuvre et son auteur
1) Avant Akira

2) Pendant Akira
3) Après Akira

Une œuvre cyberpunk ?
1) Cyberpunk et science-fiction

2) Cyberpunk et Akira

Les personnages (le présent article)
1) Tetsuo Shima (le présent article)
2) Kanéda Shotaro
3) Kay
4) Le Colonel Shikishima

L’image du surhomme
1) Akira et… Akira

2) Akira et Tetsuo

Conclusion et sources

Les personnages

Bien que de nombreux personnages évoluent dans Akira, seul un nombre restreint y possède un rôle vraiment moteur : « Il n’y a pas qu’un seul héros dans Akira,  » déclare Otomo dans Mad Movies. « Vous avez quatre personnages centraux (Kay, le Colonel, Kanéda et Tetsuo). Tous peuvent être considérés comme le principal protagoniste de cette histoire. Jamais je n’ai eu envie de baser Akira sur un seul visage. Je préfère la description de plusieurs personnalités, de plusieurs aspects de la vie de Neo-Tokyo. » Si ces personnages ne manquent pas d’intérêt, comme on va le voir, il faut bien admettre que la plupart des autres restent assez  « clichés » : on y trouve un groupuscule « rebelle » à l’ordre établi et dirigé par un traître avide de pouvoir, un conseil municipal borné et vraisemblablement corrompu, des chercheurs obsédés par leur quête de savoir au point d’en négliger les risques, des copines plus que superficielles pour les jeunes héros masculins, le leader spirituel d’un groupe qu’on suppose religieux mais dont on est assez certain qu’il est illuminé, etc. Bref, seuls les motards et les mutants sortent vraiment du lot, et ils sont tous porteurs de traumatismes de l’enfance : c’est bien là l’origine de leurs doutes envers les enseignements et les expériences des adultes, à l’instar de cette jeunesse de « L’Éxpérience Originelle » d’après-guerre dans laquelle le manga moderne trouve ses racines.

On ne peut pas s’empêcher de penser que la profondeur et la complexité du manga original ont probablement « grandi » les qualités du film, celui-ci ne pouvant pas atteindre le même niveau de détails (biographiques) et d’explications (techniques) par son format même. Pour cette raison, une bonne partie de ce chapitre se base sur le manga d’Akira au lieu du film, ce qui permet de constater encore une fois l’importance du lien qui unit la narration graphique au cinéma d’animation chez les japonais.

1) Tetsuo Shima :

Certainement le personnage le plus important de l’histoire puisque celle-ci n’aurait pas eu lieu sans lui, mais aussi le plus intéressant du point de vue psychologique, et surtout à travers sa relation avec Kanéda.

Orphelin ou enfant abandonné, ce n’est pas vraiment précisé à ma connaissance, Tetsuo a perdu ses parents très jeune et fut confié à un centre spécialisé alors qu’il n’avait peut-être pas encore six ans. C’est là qu’il rencontra Kanéda.

Très fragile sur le plan psychologique, probablement à cause de la perte de sa famille et par le changement d’environnement que représente son arrivée à l’orphelinat, Tetsuo se voit rejeté par ses nouveaux camarades qui en font le souffre-douleur et la tête de turc de l’établissement sur qui tout le monde passe ses humeurs, en groupe de préférence. Il se lia d’amitié avec Kanéda – lui aussi un nouveau pensionnaire mais au tempérament plus combatif – qui le prit en sympathie, pour des raisons qui ne sont pas non plus précisées, et qui devint en quelque sorte son protecteur : c’est un élément fondamental de la personnalité de Tetsuo car cette relation « de dépendance » avec Kanéda ne fit qu’empirer sa fragilité, en montrant à Tetsuo qu’il était incapable de se défendre seul et en le plaçant dans un éternel rôle de « petit frère » vis-à-vis de Kanéda. Quand la bande se forma avec Yamagata, Kai et les autres, Kanéda en prit naturellement la tête, et ceci renforça le complexe dont souffrait Tetsuo de par sa fragilité et sa dépendance envers son ami : comme beaucoup de caractères de ce type, il se retrouva d’une part à toujours vouloir prouver sa valeur, que personne ne reconnaissait lui semblait-il, et le plus souvent à travers des actes aussi téméraires qu’idiots (son attitude durant la bagarre avec le gang des Clowns, au tout début du film, en étant la parfaite démonstration), mais aussi d’autre part à développer une réaction de « rébellion » contre cette autorité puisque le frère aîné, même au figuré, n’est jamais qu’une autre image du père ; ajouté à tout ça que la compétition est systématiquement de mise dans les rapports entre jeunes garçons, et le tableau est complet. Bref, consciemment ou non, Tetsuo se mit à revendiquer la tête du groupe, non sans heurts bien évidemment, d’où la « rivalité » qui oppose les deux amis.

Celle-ci se retrouve en quelque sorte catalysée à travers la moto de Kanéda, symbole d’autorité dans le groupe de motard car c’est le véhicule le plus sophistiqué de la bande – elle a été customisée pour lui, et tout porte à croire qu’il l’a volée – en plus d’être un élément phallique par essence puisqu’elle représente force, vitesse et indépendance. C’est pourquoi, si Tetsuo ne fait que désirer la moto de Kanéda dans un premier temps, il en vient vite à la revendiquer ouvertement quand il croit, à tort, son ami mort : le « rival » désormais écarté, Tetsuo estime qu’elle lui revient puisqu’il est parvenu à prouver sa supériorité sur son « protecteur », jusqu’ici l’unique symbole de force qu’il craignait. Cette place de l’élément moto dans la bande est aussi démontrée par la réaction de Kanéda à la mort de Yamagata quand Kanéda détruit la moto de son ami décédé en la précipitant contre un mur à toute allure dans le but de « l’envoyer à Yamagata » : ce passage ne va pas sans rappeler les traditions de certaines civilisations, le plus souvent machistes, tels que les vikings qui enterraient leurs chefs dans l’océan en déposant leurs dépouilles dans un drakkar auquel ils mettaient ensuite le feu, ou n’importe quelle autre culture qui inhumait ses guerriers avec leurs armes pour qu’ils puissent en disposer dans l’au-delà ; s’il va de soi que les motards de la bande de Kanéda n’ont certainement jamais entendu parler de telles mœurs, puisqu’ils sont tous dans un cursus de réinsertion sociale et professionnelle qui laisse peu de place à la culture générale, leur propre rapport à ce qui fait d’eux des motards ne va pas sans évoquer une phallocratie semblable : à l’instar du cavalier de jadis, la moto est bien entendu le destrier du motard, c’est-à-dire ce qui le définit, et même dans la mort.

C’est la combinaison de l’ensemble de ces éléments qui sert de base à la trame narrative quand, sous l’influence du pouvoir, Tetsuo oublie toutes les valeurs humaines péniblement inculquées par un système social que, de toutes manières, il sent bien en faillite, au moins au fond de ses tripes, et depuis longtemps : cette crainte permanente et irraisonnée de l’Autre couplée à son désir enfin exaucé de se rendre maître de son destin par la force le conduit à éliminer tous ceux qui lui semblent se placer sur sa route, dont Harukiya, le patron du troquet qui sert de QG à la bande de motards, puis Yamagata, donc un membre de la bande, c’est-à-dire l’unique famille de Tetsuo

Mais en dépit de ce pouvoir, Tetsuo éprouve des souffrances déchirantes ; des souffrances d’abord physiques alors que le pouvoir se développe et qu’il faut recourir à tout un arsenal de médicaments toujours de plus en plus puissants pour le contenir et apaiser la douleur, à la manière des junkies pour lesquels il en faut toujours plus (de drogue, qui est techniquement à peu près la même chose qu’un médicament) ; mais aussi des souffrances morales quand il pleure l’amitié perdue et les parents disparus, puisque autant de violence n’est bien sûr rien d’autre que la manifestation d’un immense chagrin. Car c’est bien la perte de sa famille qui, on l’a vu plus haut, provoqua la toute première blessure de Tetsuo, à la fois directement, par la disparition de l’amour parental, mais aussi indirectement, par la rupture avec la vie d’avant cette perte quand il arriva à l’orphelinat. Plusieurs éléments du manga indiquent de façon claire que c’est sa mère qui manque le plus à Tetsuo, ce qui n’a rien d‘étonnant car des deux parents c’est celui qui a le plus d’importance pour un petit garçon : « abandonnée » par sa protectrice légitime, Tetsuo s’est bien entendu replié sur lui-même à travers une réaction assez typique servant d’échappatoire à la douleur, à juste titre considérée comme intolérable. La reconstruction se fit peu à peu – il est rare qu’elle n’advienne pas après tout – mais pas totalement, et malgré sa bande Tetsuo resta un « enfant perdu » jusqu’à ce qu’il rencontre la jeune Kaori au lycée professionnel. Figure maternelle par définition, les sentiments que lui porte Tetsuo dépassent largement ceux que les autres membres de la bande ont pour leurs copines respectives alors qu’elle est pourtant, et de loin, la moins jolie du groupe, mais la moins superficielle aussi, et la plus sincère certainement : si son parcours à elle reste pour le moins obscur, on peut supposer qu’elle a vu dans la fragilité de Tetsuo ce que cherchait son instinct de mère probablement plus développé chez elle que chez les autres filles de son entourage ; Tetsuo hurle de douleur lui aussi quand elle meurt, broyée vivante, dans la gigantesque plaie qu’il devient lors de sa mutation finale, il hurle car lui aussi sent la douleur de Kaori en lui – certainement par l’intermédiaire de ses facultés psioniques – mais aussi parce qu’il perd ainsi pour la seconde fois la personne qui avait le plus d’importance pour lui et qu’il avait recherché toute sa vie : sa mère.

Tetsuo est donc un personnage complexe, torturé et œdipien, porteur d’une de ces ambiguïtés morales fréquentes dans les productions japonaises : à l’instar des mutants X-Men ou du monstre Godzilla, il n’est ni coupable ou même seulement complice mais bel et bien une victime.

Suite du dossier (Les personnages : Kanéda Shotaro)

Sommaire du dossier

Introduction

L’œuvre et son auteur
1) Avant Akira

2) Pendant Akira
3) Après Akira

Une œuvre cyberpunk ?
1) Cyberpunk et science-fiction

2) Cyberpunk et Akira

Les personnages (le présent article)
1) Tetsuo Shima (le présent article)
2) Kanéda Shotaro
3) Kay
4) Le Colonel Shikishima

L’image du surhomme
1) Akira et… Akira

2) Akira et Tetsuo

Conclusion et sources